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De sérieuses préoccupations ont été soulevées au sujet de l‘approche d’auto-identification autochtone après que plusieurs cas « d’usurpateurs d’identité autochtone » aient été médiatisés. La question a fait l’objet d’une couverture médiatique nationale.
Plusieurs universités ont alors commencé à adopter des politiques de vérification d’identité autochone. Or dans cette précipitation pour régler un « problème indien », les personnes ayant des revendications légitimes et légalement reconnues d’autochtonité se retrouvent victimes de politiques institutionnelles mal conçues et à courte vue.
C’est un effet pervers qui cause des torts irréparables. Pour diverses raisons, de nombreux Autochtones ne bénéficient pas de la reconnaissance sanctionnée par l’État et doivent désormais se justifier auprès des établissements universitaires.
Ce qui semble complètement ignoré, ce sont les exemples bien documentés de l’effacement des identités autochtones par l’État canadien au fil de décennies de discrimination.
Les universités doivent aller au-delà de la législation étatique pour élaborer des politiques équitables.
Les administrateurs gagneraient aussi à écouter la sagesse des peuples autochtones et à s’inspirer des expériences vécues par ceux qui ne sont pas partie prenante des systèmes étatiques de vérification de l’identité.
Les risques d’une action précipitée
Un sentiment d’urgence règne autour du problème des usurpateurs. À l’Université Dalhousie, par exemple, un groupe de travail recommandait, en 2023, que « toutes les institutions doivent prendre des mesures rapides et décisives pour limiter les préjudices liés aux fausses déclarations d’autochtonité ».
Mais cet appel à agir rapidement est profondément inapproprié.
On s’accorde généralement pour dire que l’auto-identification n’est pas une mesure suffisante de vérification du statut.
La réalité, cependant, est que nous ne disposons pas de mécanismes simples et efficaces pour distinguer un usurpateur d’un véritable Autochtone. C’est un élément crucial. Sans cette reconnaissance, nous risquons d’aliéner et de criminaliser les personnes que ces politiques prétendent protéger.
Les universités ne peuvent se décoloniser seules. La co-gouvernance est la clé
Les politiques institutionnelles sur l’identité autochtone ciblent surtout les personnes non inscrites et les Métis, qui n’ont souvent pas de statut reconnu par le gouvernement fédéral. Ce sont des populations qui subissent déjà certaines des plus grandes inégalités parmi les peuples autochtones. Ils présentent tous des indicateurs de santé et de bien-être inférieurs à ceux des non-Autochtones.
Mais les personnes non inscrites et les Métis font face à une difficulté supplémentaire : elles n’ont pas droit au soutien et aux mêmes services gouvernementaux accordés aux Indiens inscrits.
Des voies juridiques conventionnelles existent pour traiter la fraude sous toutes ses formes. Ces mêmes recours pourraient être utilisés pour pallier le problème des usurpateurs. Ce n’est pas aux peuples autochtones de détecter et de surveiller les comportements frauduleux des non-Autochtones. Toute institution réellement engagée dans la réconciliation devrait le reconnaître.
Les établissements d’enseignement ne peuvent pas se contenter de suivre les politiques de l’État pour traiter un problème qu’il a lui-même créé. Ils doivent conserver une pensée critique face aux complexités liées à la définition de l’identité autochtone au Canada.
Pourtant, comme Dalhousie, d’autres institutions d’enseignement comme l’Université Memorial et l’Université de la Saskatchewan, ont pris des mesures corsées pour contrer la fraude liée à l’identité autochtone.
L’expérience troublante de Dalhousie
À peine douze semaines après la création de son groupe de travail sur l’appropriation par les allochtones de l’identité autochtone, l’Université Dalhousie a publié son rapport avec éclats. La rectrice et vice-chancelière l’a soutenu sans réserve.
Lors d’un événement à Millbrook First Nation, à une heure de route d’Halifax, des leaders mi’kmaqs ont écouté, aux côtés du corps professoral, du personnel et des étudiants de Dalhousie, la rectrice présenter des excuses aux peuples autochtones pour la dépendance excessive de l’université à l’approche d’auto-identification.
Pour les étudiants autochtones les plus vulnérables de l’université, les conséquences sont dévastatrices.
Les premières inquiétudes ont été exprimées par certains professeurs et membres du personnel autochtones, qui ont remis en question la méthodologie, les recommandations et les conclusions du rapport. D’autres membres autochtones de l’Université Dalhousie ne se sentaient pas à l’aise d’exprimer publiquement leur opinion sur la question. Certains ont quitté l’institution.
Deux juristes mi’kmaqs de la Schulich School of Law de Dalhousie ont rédigé une analyse complète des droits de la personne et des droits juridiques, concluant que le rapport était « un instrument trop radical» pour traiter les subtilités de l’identité autochtone.
Ils ont prévenu qu’une application intégrale du rapport « causera de plus en plus de torts considérables (éducatifs, professionnels, émotionnels, psychologiques, etc.) aux personnes ayant une identité autochtone légitime, mais complexe. »
Fait inquiétant : le rapport cherche dès le départ à neutraliser ses critiques (page 11, cinquième et sixième conclusions). Il discrédite et même manipule quiconque le critique, suggérant que ces objections pourraient simplement exploiter les traumatismes historiques vécus par les peuples autochtones ou être eux-mêmes des fraudeurs identitaires. Il laisse entendre que les non-Autochtones qui expriment des préoccupations pourraient avoir « un sentiment d’alliance mal orienté » ou être victimes de « sauveurisme blanc ».
Le rapport recommande que la procédure régulière soit ignorée lorsque des fraudeurs d’identité autochtone sont identifiés, contournant les conventions collectives et les cadres disciplinaires.
Deux ans se sont écoulés depuis la publication de ce rapport « d’une urgence nécessaire », et aucune politique n’a été adoptée. Cela a laissé le corps professoral, le personnel et les étudiants dans un flou et un inquiétude inacceptables. En mai, un des membres du groupe de travail est devenu le premier vice-recteur aux relations autochtones de l’Université. Une partie de son mandat ? Résoudre ce problème.
Des recommandations et conclusions similaires et préoccupantes ont été tirées de rapports et de politiques émanant de l’Université de la Saskatchewan et de l’Université Memorial. Dans chaque cas, des Autochtones ont été affectés par le message selon lequel ils ne sont pas les bienvenus dans ces institutions.
Aggraver la marginalisation des plus isolés
Pour les peuples autochtones, dont la vie et l’identité ont été marquées par l’exclusion, l’isolement social ou l’ostracisation sans qu’ils en soient responsables, de telles politiques institutionnelles sont véritablement dystopiques.
Un rapport commandé par l’Université de la Saskatchewan dresse une liste de « signaux d’alerte » pour aider à déterminer si quelqu’un est un usurpateur d’identité autochtone. Ils incluent :
- Des affirmations vagues sur son identité, comme l’incapacité à nommer ses proches.
- Un recours important aux traumatismes familiaux comme raison de ne pas connaître sa famille autochtone.
- L’adoption d’une relation avec un aîné pour apprendre la culture – une pratique qualifiée de « manipulation par l’aîné » ou d’« aîné-bouclier ».
- Des histoires qui se contredisent ou changent avec le temps.
Beaucoup de ces signaux peuvent en effet identifier un usurpateur. Mais ils peuvent aussi caractériser des peuples autochtones cherchant à se reconnecter à leur identité dans une société coloniale qui visait ouvertement à « tuer l’Indien dans l’enfant ».
Le résultat est que les institutions d’enseignement restent des environnements menaçants et peu sûrs pour de nombreux Autochtones, qu’ils soient étudiants ou employés.
La question de l’identité autochtone est inextricable. Quoi qu’il en soit, ce sont les communautés et nations autochtones, et non les établissements universitaires, qui sont les véritables experts de leurs propres identités.
Fondamentalement, l’identité repose sur la parenté et l’esprit, ce qui ne se traduit pas aisément en politiques universitaires. Elle est relationnelle et humaine, et ne peut être limitée par des cases à cocher, des petits jeux politiques ou des titres fonciers.
Peut-être que le plus grand « signal d’alerte » de ce processus défaillant est l’ingérence institutionnelle, et non les histoires personnelles des Autochtones cherchant à se faire une place dans une société coloniale.

