Allan Blakeney a un jour utilisé l’exemple d’un analgésique populaire vendu en pharmacie pour décrire l’objectif des commissions d’enquête officielles. Il a déclaré que les Canadiens les considéraient comme une sorte de liniment Minard, un remède à usage général pour tous les maux dont souffre le corps politique.
Blakeney était un ancien premier ministre de la Saskatchewan, qui a siégé avec moi à la Commission royale sur les peuples autochtones de 1991 à 1996.
Sa remarque répondait de façon imagée à une question cruciale : à quoi servent les commissions publiques d’enquête? Comment leur travail peut-il être testé ou évalué ?
En réfléchissant au travail et à l’héritage de la Commission de vérité et réconciliation (CVR), comment pouvons-nous évaluer l’atteinte de la vérité de la « réconciliation » entre les Canadiens en général et les peuples autochtones au Canada ? Le titre de la CVR est clair quant à son objectif.
Il ne fait aucun doute que, dix ans après son rapport final, le mot « réconciliation » est devenu un mot à la mode et quasi un slogan. Tout est présenté comme un moyen de favoriser la « réconciliation ». Si ce terme n’est pas une métaphore à la Minard, n’est-il alors qu’un slogan publicitaire passe-partout ?
Le défi technique
Compte tenu de l’histoire des relations entre le Canada et les peuples autochtones, toute commission traitant des questions autochtones allait devoir faire face à des vérités dérangeantes.
Mon point de vue reflète mon expérience au sein de la commission royale et de la Commission de mise en œuvre de la justice autochtone du Manitoba de 1999 à 2001.
La notion de réconciliation telle que la conçoit le plaisantin signifie qu’un côté détient tout le pouvoir et que l’autre ferait mieux de s’y habituer. C’est une interprétation juste de la façon dont la Cour suprême du Canada utilise ce terme dans un contexte constitutionnel. Mais nous pouvons probablement rejeter cette définition.
D’un point de vue plus technique, le terme « réconciliation », dans son sens véritable de « renouer des liens amicaux », cache la vérité dérangeante selon laquelle il peut être difficile, dans certains cas particuliers, de retrouver cette histoire d’amitié passée.
Et les mots ont leur importance. Le Canada, comme tous les autres États comptant des populations autochtones minoritaires, contrôle le discours national sur les relations entre l’État et les Autochtones.
Cela inclut le pouvoir d’utiliser les mots pour influencer l’identité même de ces populations, comme en témoignent au Canada les changements de terminologie, passant de « Indien » à « Premières Nations », puis à « peuples autochtones » et enfin à « peuples autochtones » aujourd’hui. Le discours national influence également l’auto-dénomination, poussant les personnes concernées à essayer de s’intégrer dans la catégorie officielle qui leur permet le mieux de conserver leur identité.
Le Canada est-il à l’origine de l’adoption populaire du terme « réconciliation » ?
L’attention mal placée des tribunaux
Quand je pense aux relations entre le Canada et les Autochtones, je vois une évolution depuis la vision officielle et égocentrique des débuts, fondée sur la « doctrine de la découverte », qui justifiait la prise de contrôle des terres ancestrales des Autochtones. Cette ligne se poursuit jusqu’à l’actuel cadre conceptuel des tribunaux canadiens concernant les droits « autochtones et issus de traités » introduits dans la Loi constitutionnelle de 1982 comme des droits qui « réconcilient » le pouvoir ou la souveraineté de la Grande-Bretagne et du Canada avec la « présence » des peuples autochtones.
Dans la vision des tribunaux, c’est la présence des peuples qui importe, et non le fait qu’ils étaient politiquement organisés et capables de participer à la relation d’amitié qu’une vraie réconciliation devrait tenter de rétablir.
L’évolution de la relation doit passer de la simple reconnaissance de la présence des peuples autochtones à la reconnaissance de leur action politique. C’est ce qui a compté historiquement et qui a permis à leurs intérêts collectifs de se concrétiser en droits reconnaissables et applicables dans le système juridique canadien et, depuis 1982, dans le système constitutionnel.
La doctrine de la découverte et son idée de terra nullius – expression latine signifiant « terre qui n’appartient à personne » – se concentrent toutes deux uniquement sur la présence ou l’absence des peuples autochtones. En les rejetant, la véritable réconciliation reconnaît l’égalité des peuples autochtones et la reconnaissance de leurs droits fondamentaux. Elle reconnaît également leur importance constitutionnelle et juridique.
En conséquence, comme le suggère la Cour suprême, le principe selon lequel le consentement est la base de la légitimité constitutionnelle s’applique également aux relations du Canada avec les peuples autochtones. Il s’agit d’une approche tournée vers l’avenir, appropriée à la réconciliation. Elle affirme que l’action politique des peuples autochtones était importante non seulement hier, mais qu’elle l’est aussi aujourd’hui et qu’elle continuera de l’être demain.
Le consentement constitutionnel, en tant que fonction fondamentale de la « réconciliation », invite à un engagement collectif conjoint et national ainsi qu’à une action politique. C’est là que la vérité, première idée contenue dans le nom de la CVR, entre en jeu.
La quête de vérités plus grandes
L’idée de vérité en relation avec la réconciliation est comme la glace printanière fine et fragile qui se forme pendant la nuit dans les fossés et les étangs peu profonds de l’Ouest canadien, où j’ai grandi. Elle est plus fragile, mais aussi plus souple que la glace dure de l’hiver.
Lorsque nous étions enfants, nous aimions tester sa résistance sur le chemin de l’école. Parfois, dans nos jeux, nous brisions cette glace, fine comme une vitre, jusqu’à ce qu’il ne reste que de minuscules éclats que nous brandissions triomphalement pour les faire scintiller au soleil.
La vérité est comme cette fragile glace printanière.
On peut en ramasser un petit éclat seul. Mais un morceau plus vaste ne peut être soulevé qu’avec de nombreuses mains, travaillant ensemble avec soin et précaution. Lorsqu’on y parvient ainsi, nous savons que c’est le printemps de nos relations, et que le soleil en révèle toute la beauté éclatante.
La question est de savoir si le sujet du mandat de la CVR a changé la façon dont les gens perçoivent l’idée de réconciliation. Le véritable objectif d’une commission publique est de réfléchir à voix haute. Une commission est couronnée de succès si elle a changé la façon dont les gens perçoivent son sujet.

