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Fox News, la chaîne câblée américaine à la foi détestée et aimée pour ses commentaires grandiloquents et conservateurs sur l’actualité, est en état de siège. Des courriels, des textos et d’autres documents issus de la poursuite en diffamation intenté par Dominion Voting Systems ont révélé des informations surprenantes sur cette chaîne de télévision populaire, mais polarisante.

Rupert Murdoch, président de Fox Corporation et président du conseil de sa société mère, News Corp, a admis que les animateurs de Fox étaient peut-être « allés trop loin » en appuyant publiquement la croyance réfutée selon laquelle l’élection présidentielle américaine de 2020 avait été volée à M. Trump. En privé, ces mêmes animateurs admettaient pourtant le contraire.

Plusieurs sénateurs républicains ont également critiqué l’animateur de Fox Tucker Carlson pour avoir dénaturé l’émeute du 6 janvier en la qualifiant de « chaos essentiellement pacifique » lors de l’émission Tucker Carlson Tonight.

Dans ce contexte incendiaire, l’ancien président Donald Trump, autrefois un allié fidèle, s’en est vertement pris à Fox pour sa couverture de la course présidentielle à venir.

En somme, Fox News se retrouve assiégée de toutes parts, y compris par ses alliés traditionnels, alors même que ses têtes d’affiche les plus connues continuent à diffuser des faussetés sur les événements du 6 janvier et qu’un procès en diffamation de 1,6 milliard $ US américains (2,2 milliards $) est en cours.

La désinformation, c’est toxique

Les conséquences de la désinformation électorale chronique sont troublantes. Un sondage Axios-Momentive a révélé que plus de 40 % des Américains ne croient pas ou ne sont pas certains que M. Biden a gagné l’élection présidentielle de 2020. Plus d’un millier d’Américains ont été arrêtés dans le cadre de l’émeute du 6 janvier sur la colline du Capitole, à Washington. Et les désaccords traditionnels entre républicains et démocrates au Congrès ont atteint des sommets d’acrimonie.

Cette désinformation polarisante a contribué à engendrer de sombres conséquences politiques et sociales aux États-Unis, que le Canada devrait s’efforcer d’éviter. En d’autres termes, un organe de presse étranger comme Fox News qui diffuse sciemment des faussetés fabriquées de toutes pièces ne sert pas l’intérêt public du Canada.

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe plusieurs approches qui pourraient aider le Canada à contenir les chaînes câblées étrangères lorsqu’elles érigent la tromperie en modèle d’affaires et qu’elles ne respectent pas les normes journalistiques de base.

Des sanctions pour la désinformation

La mesure la plus énergique consisterait à sanctionner formellement les chaînes câblées américaines qui mentent délibérément, en allant jusqu’à les retirer des ondes canadiennes. Il existe un précédent pour le retrait d’une chaîne étrangère, comme le montre le cas avec la chaîne de télévision publique russe RT.

« Les chaînes étrangères peuvent être retirées de la liste autorisée si leur programmation n’est pas conforme aux normes auxquelles les services canadiens sont tenus, ou si leur distribution continue ne sert plus l’intérêt public, comme ce fut le cas pour RT et RT France », a déclaré Ian Scott, président et premier dirigeant du CRTC, en mars 2022. Si la programmation de Fox News est jugée incompatible avec les normes canadiennes ou contraire à l’intérêt public, elle pourrait être retirée de la liste révisée du CRTC des services de programmation et de stations non canadiens approuvés pour distribution.

Toutefois, il pourrait être difficile de retirer une chaîne pour des raisons moins graves que dans l’affaire RT, qui s’est déroulée avec la guerre en Ukraine en toile de fond. Dans le cas de RT, on a constaté que la chaîne portait atteinte à la souveraineté nationale, rabaissait les Canadiens de certaines origines ethniques et minait les institutions démocratiques. Il s’agit là d’enjeux très préoccupants, et un simple manque de véracité pourrait ne pas suffire à justifier une mesure aussi radicale. À ce sujet, le porte-parole du CRTC, Éric Rancourt, avait dit en 2014 : « D’après l’historique de ce type de plaintes [relatives à la véracité], il faudrait que ce soit très, très grave pour que le Conseil (révoque ou refuse une licence). Tout cela n’est que spéculation, puisque cela ne s’est jamais produit auparavant ».

Compte tenu de l’épidémie mondiale de fausses nouvelles, l’élaboration d’un processus formel de sanction des médias qui diffusent délibérément de la désinformation constituerait une étape importante pour tenter d’enrayer leur propagation au Canada.

Avertir le public canadien

Des mises en garde pourraient être affichées pour les émissions de Fox News aux heures de grande écoute et pour les autres diffuseurs qui désinforment sciemment, de la même façon qu’on avertit les téléspectateurs avant de présenter de la nudité ou de la violence. Les mises en garde sur Fox News pourraient être basées sur des preuves tirées du procès Dominion et d’une affaire précédente entendue par un tribunal américain, l’affaire McDougal v. Fox News Network.

Dans cette cause, la juge de district Mary Kay Vyskocil a cité les propres arguments de la chaîne en estimant que la « teneur générale » de l’émission Tucker Carlson Tonight « devrait informer le téléspectateur que [Carlson] “n’énonce pas de faits réels” sur les sujets qu’il aborde et qu’il se livre plutôt à des “exagérations” et à des “commentaires non littéraux” ».

Certains téléspectateurs supposent à juste titre qu’une chaîne comme Fox News, dont le nom contient le mot « News », diffuse des informations factuelles. Des avertissements préviendraient les téléspectateurs que, même selon ses propres avocats dans l’affaire McDougal, la programmation de Fox News aux heures de grande écoute n’est pas basée sur les faits.

Une procédure de plainte pour l’émission d’avis aux téléspectateurs pourrait théoriquement être lancée par le biais du formulaire de demande de renseignements en ligne du CRTC. Un nombre suffisant de plaintes pourrait pousser Fox à diffuser des avertissements ou à fournir une solution équivalente.

Mettre en place un comité qualité

Enfin, un panel représentatif de Canadiens informés et d’experts devrait discuter périodiquement de la qualité des nouvelles diffusées par câble par des chaînes étrangères. Le panel pourrait ensuite recommander des mesures appropriées. De tels panels pourraient s’inspirer des consultations ou des audiences publiques du CRTC. En prenant en compte un large éventail d’opinions des téléspectateurs canadiens, le processus pourrait également contribuer à une conversation plus large sur la perte de confiance envers les médias informations. Compte tenu notre environnement de nouvelles pollué, un partage formel des préoccupations honnêtes des téléspectateurs pourrait s’avérer une bonne chose pour assainir l’air de la radiodiffusion.

Le procès en diffamation de Dominion Voting Systems pourrait donner lieu à de nouvelles limites pour les radiodiffuseurs diffusant des contenus prétendument diffamatoires aux États-Unis, et servir d’avertissement pour les Canadiens. La course à l’audimat incite à diffuser des émissions sensationnelles et, dans le cas de Fox News, trompeuses, afin d’augmenter le nombre de téléspectateurs. En introduisant les mesures appropriées, il serait possible d’empêcher que la corrosion sociale telle que nous l’avons vue aux États-Unis, y compris un déclin continu de la confiance du public, ne s’installe au Canada.

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Dino Sossi
Dino Sossi est assistant de recherche à l’Université métropolitaine de Toronto. Il enseigne également les médias sociaux et la mobilisation internationale pour les droits de l’homme à l’Université OCAD, la gestion des systèmes d’information à l’Université de New York et la communication et les médias à la City University of New York.

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