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Dans son plus récent budget, le gouvernement Trudeau a dit vouloir lancer un examen approfondi d’une durée d’un an des programmes de formation professionnelle qu’il finance, afin de déterminer si des améliorations peuvent être apportées. Ce n’est pas trop tôt.

Des experts signalent depuis un certain temps déjà que l’offre de formation ne répond pas aux besoins des travailleurs. Lors d’ateliers organisés par l’Institut de recherche en politiques publiques, notre groupe de travail – composé d’associations d’employeurs, de représentants syndicaux et d’experts en politiques publiques – s’est largement prononcé en faveur de programmes de formation mieux conçus et plus efficaces afin d’aider les travailleurs à résister et à s’adapter aux perturbations du marché de l’emploi.

Par exemple, la société Ada Support Inc., basée à Toronto, a récemment mis sur le marché un logiciel qui permet aux entreprises d’utiliser l’intelligence artificielle (IA) générative plutôt que des employés en chair et en os pour répondre à la plupart des demandes de service à la clientèle. Les technologies de l’IA ne sont pas la seule source d’agitation à l’horizon. Le travail à distance pourrait entraîner une concurrence internationale accrue pour les emplois du secteur des services, tout comme la mondialisation l’a fait pour le secteur manufacturier il y a vingt ans. Par ailleurs, le passage à des émissions nettes de carbone nulles devrait entraîner la disparition de nombreux emplois dans les secteurs pétrolier et gazier, et en créer de nouveaux dans celui des énergies propres. Le plan pour des emplois durables, la stratégie d’Ottawa pour aider les travailleurs à quitter les industries des combustibles fossiles, reconnaît que certains nouveaux emplois ne nécessiteront pas de nouvelles compétences ou un recyclage important. Dans d’autres cas, les programmes de formation et un soutien financier seront essentiels.

Le gouvernement fédéral consacre près de 3 milliards $ par an aux programmes de formation. Le plus récent budget ajoute 625 millions $ pour l’année en cours. La plupart de ces sommes transitent par le programme d’assurance-emploi (en vertu de la deuxième partie de la loi sur l’AE) et servent à financer des initiatives de formation fournies soit directement par le gouvernement fédéral, soit par le biais de transferts aux provinces et territoires. Cela inclut notamment la formation professionnelle, les subventions salariales, l’orientation professionnelle et l’aide à la préparation de curriculum vitae.

Malgré une série d’investissements dans les récents budgets fédéraux, les programmes de formation existants n’ont pas de cadre cohérent (figure 1).

Parmi les programmes actuels, plusieurs sont peu utilisés, reçoivent un financement insuffisant ou ne ciblent pas adéquatement les plus vulnérables (soit les travailleurs à faible revenu et les personnes plus exposées à une perte d’emploi ou au travail précaire). Selon les règles actuelles, les bénéficiaires de l’assurance-emploi peuvent s’inscrire à un programme de formation qu’ils paient eux-mêmes pendant qu’ils perçoivent de l’assurance-emploi. Par contre, ils doivent être prêts à travailler s’ils reçoivent une offre d’emploi, ce qui peut signifier l’abandon de la formation. Les travailleurs qui quittent leur emploi ne peuvent pas percevoir de prestations d’assurance-emploi, même s’ils occupent des emplois précaires et faiblement rémunérés et qu’ils quittent leur emploi pour s’inscrire à une formation.

Comment améliorer les programmes de formation financés par l’assurance-emploi ?

Un récent commentaire publié par l’IRPP propose un certain nombre d’initiatives pour améliorer les programmes de formation financés par l’assurance-emploi.

Réduire les cotisations pour les entreprises offrant des formations

Dans sa structure actuelle, le Programme de réduction du taux de cotisation permet aux entreprises qui offrent des prestations d’invalidité de courte durée à leurs employés de réduire les cotisations d’assurance-emploi qu’elles paient. Cette mesure vise à encourager un plus grand nombre d’employeurs à offrir des prestations d’invalidité de courte durée et à réduire la dépendance à l’égard de l’assurance-emploi. Le commentaire suggère d’étendre la réduction des cotisations aux petites et moyennes entreprises qui proposent des programmes de formation aux compétences de base.

Permettre à plus de travailleurs de recevoir de l’AE tout en suivant une formation  

Action Compétences, un autre programme financé par l’assurance-emploi, permet aux demandeurs d’assurance-emploi qui ont perdu leur emploi après plusieurs années de travail de demander à Service Canada l’autorisation de continuer à recevoir des prestations d’assurance-emploi tout en suivant une formation à temps plein. Mais l’utilisation de ce programme a été tiède : en 2020-21, l’année la plus récente pour laquelle des chiffres sont disponibles, seulement 612 personnes qui ont demandé une telle autorisation l’ont reçu, soit moins d’un pour cent des prestataires qui travaillaient depuis plusieurs années. Le commentaire propose d’élargir le programme afin d’inclure davantage de travailleurs, notamment ceux qui travaillent depuis moins longtemps et qui sont peu qualifiés.

Favoriser le travail partagé jumelé à de l’apprentissage

Le gouvernement fédéral devrait également envisager d’étendre le programme de Travail partagé, une initiative destinée à aider les employeurs à éviter les licenciements en période de crise. Dans le cadre de ce programme, les employés qui acceptent de réduire leurs heures de travail peuvent percevoir des prestations d’assurance-emploi en complément de leur salaire pendant une période pouvant aller jusqu’à neuf mois. Ils peuvent s’inscrire à un programme de formation pendant qu’ils participent à un accord de partage du travail, mais la formation doit être suivie en dehors des heures de travail et ils ne peuvent pas recevoir de prestations d’assurance-emploi pour le temps qu’ils consacrent à la formation.

L’une des options consisterait à ramener une version revampée d’un programme de travail partagé jumelé à de l’apprentissage. Mis en place brièvement au début des années 2000, ce programme permettait aux travailleurs des industries situées dans des régions à fort taux de chômage et confrontées à des changements structurels de percevoir des prestations d’assurance-emploi pendant une période pouvant aller jusqu’à un an, tout en suivant une formation financée par l’employeur. Le commentaire recommande de le rétablir, mais de le rendre accessible à tous les travailleurs.

Permettre aux démissionnaires de percevoir de l’assurance-emploi?

Notre groupe de travail a débattu de la question de savoir s’il fallait permettre aux salariés qui quittent leur emploi de percevoir des prestations d’assurance-emploi, ce qu’ils n’ont pas pu faire depuis 1993, lorsque les critères d’admissibilité ont été resserrés et les prestations rendues moins généreuses. Les regroupements d’entreprises craignent qu’un retour à la situation qui prévalait jusqu’en 1993 n’augmente les coûts du programme et n’aggrave les pénuries de main-d’œuvre. Pourtant, l’accès à un réservoir de travailleurs qualifiés serait une aubaine pour les entreprises et l’économie.

Le commentaire recommande de ne rendre éligibles que les personnes qui n’ont pas suivi d’études postsecondaires et qui quittent leur emploi pour poursuivre une formation ou des études à temps plein. Pour limiter le temps consacré à la formation, il est suggéré d’accorder aux salariés un nombre déterminé de semaines au cours de leur carrière, qu’ils pourraient utiliser pour suivre plusieurs programmes courts ou un programme plus long, selon leur convenance.

L’Allocation canadienne pour la formation, qui est distincte des programmes financés par l’assurance-emploi, est un autre domaine qui mérite d’être réformé. Le programme a été introduit en 2019 afin de rendre des fonds de recyclage professionnel accessibles directement pour les travailleurs. L’une de ses composantes, le crédit canadien pour la formation, offre aux travailleurs admissibles un crédit d’impôt annuel de 250 $, dans la limite d’un plafond à vie de 5000 $. Les fonds s’accumulent dans un compte administré par l’Agence du revenu du Canada et peuvent être utilisés pour couvrir jusqu’à la moitié du coût de certains programmes universitaires et collégiaux. Mais les Canadiens doivent payer les frais à l’avance et demander le crédit au moment de la déclaration d’impôts, ce qui n’est pas bien adapté aux besoins des travailleurs à faible revenu. Il n’est pas non plus adapté aux besoins des travailleurs plus âgés, puisqu’il faudrait 20 ans pour accumuler la totalité du crédit.

La deuxième partie, la prestation de soutien à la formation de l’assurance-emploi, vise à accorder aux travailleurs jusqu’à quatre semaines de prestations pendant qu’ils suivent une formation, afin de les aider à couvrir leurs frais de subsistance. Mais cette disposition, promise depuis longtemps, n’est toujours pas entrée en vigueur.

Une vraie réforme passe par une collaboration entre Ottawa et les provinces

Lors des tables rondes de l’IRPP, nous avons également entendu des appels à l’amélioration des services d’orientation personnelle et de planification de carrière, afin que les Canadiens puissent plus facilement demander de l’aide pour identifier les programmes qui répondent le mieux à leurs besoins. Dans de nombreux cas, ces services existent déjà, mais ils sont peu utilisés.

Le gouvernement fédéral a fait un pas dans la bonne direction en 2019 en mettant les services d’aide à l’emploi – tels que la préparation de CV et l’aide à la recherche d’emploi – à la disposition de tous les Canadiens, et non plus seulement de ceux qui sont au chômage. Une nouvelle section sur la formation est également en cours d’ajout au Guichet-Emplois. Mais il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.

Bien sûr, une réforme significative ne peut se faire que si les gouvernements travaillent ensemble. La plupart des fonds destinés aux formations financées par l’assurance-emploi sont versés aux provinces et aux territoires dans le cadre des ententes de développement du marché du travail (EDMT). Bien que les fonds proviennent du compte de l’assurance-emploi, les programmes sont conçus et mis en œuvre par les gouvernements provinciaux et territoriaux. Les deux niveaux de gouvernement devraient travailler ensemble pour identifier les lacunes du système actuel et les possibilités d’une meilleure coordination.

Dans son rapport de 2022, le vérificateur général du Canada a constaté que les travailleurs qui avaient perdu leur emploi en raison de la fermeture progressive des centrales électriques au charbon n’avaient pas été bien servis par l’approche habituelle du gouvernement fédéral, qui consistait essentiellement à leur verser des prestations d’assurance-emploi. À mesure que le marché du travail évolue et exige un ensemble différent de compétences, les travailleurs auront besoin de programmes de formation de haute qualité ainsi que d’une aide au revenu pour les accompagner afin de réussir leur transition.

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Rosanna Tamburri
Rosanna Tamburri est rédactrice et réviseure senior à l’IRPP. Elle a précédemment été journaliste économique, et responsable des publications de recherche au Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.
Ricardo Chejfec
Ricardo Chejfec est analyste principal de données à l’Institut de recherche sur les politiques publiques.  Twitter @ricardochejfec.

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