Alors qu’une très forte majorité de Canadiens craignent l’éventualité d’une présidence de Donald Trump, l’une des questions que l’on pose souvent aux chercheurs de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (dont les analyses se trouvent sur le microsite usa2016.uqam.ca) est la suivante : Donald Trump représente-t-il l’avenir du Parti républicain ou un simple incident de parcours dans l’histoire de cette formation politique ?

La réponse à cette question dépendra bien sûr du résultat du scrutin du 8 novembre. Au moment d’écrire ces lignes, Trump s’embourbe dans les scandales : une vidéo le montrant en train de tenir des propos sexistes et machistes sur les femmes ainsi que des accusations d’attouchement sexuel dont il aurait été l’auteur plombent sa candidature à un point tel que des observateurs n’hésitent pas à dire qu’Hillary Clinton est assurée de gagner. Cela étant, le nom de Trump figurera sur les bulletins de vote le 8 novembre, et ses chances de l’emporter ne sont pas nulles, même si elles sont nettement plus minces qu’au lendemain des conventions nationales de juillet.

Si Trump est élu à la présidence, le Parti républicain sera confronté à l’un des plus grands défis de son histoire. En effet, les républicains ont de bonnes chances de conserver le contrôle de la Chambre des représentants le 8 novembre. Or l’actuel président de la Chambre, le représentant Paul Ryan, rejette l’attitude protectionniste de Trump, sa volonté d’interdire aux musulmans d’entrer sur le territoire américain et son attitude cavalière à l’égard des alliés de l’OTAN. (Trump juge que des pays comme le Canada devront dépenser plus en matière de défense s’ils souhaitent continuer à profiter de la protection américaine en cas de besoin.) Qui plus est, Ryan est un conservateur fiscal plaçant l’équilibre budgétaire au cœur de ses priorités, alors que les réductions d’impôt et les dépenses proposées par Trump (augmentation du budget militaire, congés de maternité payés par l’État, etc.) creuseraient davantage le déficit et la dette que les plans fiscaux et économiques d’Hillary Clinton !

Sur le plan personnel, Ryan a par ailleurs désavoué Trump au lendemain de la parution de la fameuse vidéo mentionnée plus haut, déclarant qu’il ne le défendra plus publiquement d’ici le 8 novembre. Trump a rétorqué que Ryan était un poltron et un leader inefficace, incapable de convaincre les troupes républicaines d’appuyer leur candidat présidentiel. S’il gagne le 8 novembre, Trump aurait donc beau jeu de dire qu’il a remporté sa victoire seul, sans l’aide des bonzes du Parti républicain. Le milliardaire y verrait certainement la preuve qu’il a reçu le feu vert des électeurs pour transformer le Parti républicain et en faire une formation politique plus fidèle à sa vision qu’à celles de Ryan et d’autres républicains qui l’ont abandonné (notamment le gouverneur de l’Ohio John Kasich, l’ancien gouverneur de la Floride Jeb Bush et le candidat présidentiel de 2012 Mitt Romney). La « révolution Trump » prendrait au moins trois formes.

D’abord, Trump continuerait à tenir un discours ultraconservateur sur la question de l’immigration latino-américaine et du mur entre les États-Unis et le Mexique, allant à l’encontre de la stratégie que le Parti républicain avait énoncée au lendemain de l’élection de 2012 et en vue des prochains scrutins. Lors du duel de 2012 opposant Mitt Romney à Barack Obama, les Latino-Américains représentaient 10 % de l’électorat américain, et 71 % d’entre eux ont voté pour Obama. Alors que les projections démographiques permettent de croire que les Blancs seront minoritaires au pays d’ici une trentaine d’années, l’establishment du Parti républicain tremble à l’idée de s’aliéner encore davantage le vote latino-américain à cause de Trump. En effet, cet électorat pourrait doubler d’ici 2030, et le discours anti-immigration du milliardaire n’est pas une stratégie électorale gagnante à long terme.

Ensuite, une victoire de Trump obligerait le Parti républicain à prêter une oreille plus attentive à l’une des principales clientèles électorales de leur président, les Blancs sans formation universitaire, appartenant souvent à la classe ouvrière et s’estimant lésés par les politiques économiques adoptées au lendemain de la crise financière de 2007-2008. Alors que le Parti républicain a souvent été décrit comme le parti des riches, il est représenté cette année par un milliardaire promettant une vie meilleure aux cols bleus et aux moins nantis. Pour y arriver, Trump propose des politiques économiques parfois plus proches de celles d’un Bernie Sanders que d’un Paul Ryan : réduire la puissance de Wall Street, préserver les régimes fédéraux de sécurité sociale et d’assurance maladie pour les personnes âgées, stimuler l’emploi grâce à des investissements gouvernementaux pour des programmes d’infrastructure, etc. Comme on le voit, Trump a peut-être emprunté le slogan de Ronald Reagan « Let’s make America great again » de la campagne de 1980, mais il prendrait le contrepied de Reagan et de conservateurs fiscaux comme Ryan en augmentant la taille de l’État fédéral.

Enfin, Trump romprait avec la plupart des républicains, car son programme commercial est également plus proche de celui de Bernie Sanders que de celui du vieux parti. Parfois qualifié de candidat présidentiel le plus protectionniste depuis Herbert Hoover, Trump souhaite protéger les travailleurs américains contre la compétition économique étrangère en renégociant, ou en abrogeant même, des accords de commerce comme l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en rejetant le Partenariat transpacifique et en forçant la Chine à cesser de manipuler sa devise pour rendre ses exportations attrayantes sur le marché américain. Trump donne peu de détails sur la manière dont il s’y prendrait pour réaliser de telles politiques. Il y a par exemple un débat à savoir si le président pourrait à lui seul retirer les États-Unis de l’ALENA considérant que la mise en œuvre de l’accord est fondée sur une loi fédérale adoptée par le Congrès en 1993. Dès lors, des républicains favorables aux accords commerciaux exigeraient sans doute que Trump reçoive l’autorisation du Congrès avant de jeter l’entente aux oubliettes.

Donald Trump représente-t-il l’avenir du Parti républicain ou un simple incident de parcours dans l’histoire du parti ?

Ces divergences de vue illustrent à quel point le Parti républicain est à la croisée des chemins, tiraillé entre un candidat présidentiel paranormal, qui répudie plusieurs des grandes valeurs du parti, et des centaines d’autres élus qui, comme Ryan, sont également en élection le 8 novembre, et qui voient leurs propres ambitions politiques et l’avenir de leur formation politique compromis par l’un des candidats présidentiels les plus controversés de l’histoire des États-Unis. Dans de telles circonstances, peut-être la défaite de Trump le 8 novembre représente-t-elle le meilleur scénario pour les Paul Ryan, John Kasich, Jeb Bush et Mitt Romney de ce monde. Les républicains pourraient alors dire que Trump n’a été qu’un simple incident de parcours, un novice en politique qui a pris en otage le Parti républicain et dont les propositions contredisaient la plupart des valeurs qui ont fait la force du parti depuis Reagan. Soudés par leur volonté commune d’empêcher Hillary Clinton de gouverner le pays à sa guise, les républicains n’auraient alors qu’à espérer que les primaires de 2020 se soldent par la victoire d’un candidat plus semblable à celui qui leur aurait peut-être permis de remettre la main sur la Maison-Blanche dès 2016, un John Kasich, Marco Rubio ou Ted Cruz par exemple. Leurs appuis dans les sondages dépassaient parfois nettement ceux de la démocrate.

Le succès de Trump jusqu’ici illustre toutefois que le Parti républicain ne sera pas au bout de ses peines même si Clinton gagne la présidence. En effet, rien n’indique que les 40 % d’électeurs susceptibles de voter pour Trump le 8 novembre resteront sous la tente républicaine et appuieront un candidat plus traditionnel dans quatre ans. La reconstruction du parti amorcée après la défaite de Mitt Romney à la présidentielle de 2012 est donc loin d’être terminée.

Photo: Jim Larkin / Shutterstock.com

Cet article fait partie du dossier L’élection présidentielle aux États-Unis.

 


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Frédérick Gagnon
Frédérick Gagnon est titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis au sein de cette chaire, et professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal.

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