Le titre de ce papier est un clin d’œil à Montréal Horizon 2000, un exercice de prospective dont les résultats avaient été livrés en grande pompe en 1967 à la Place des Arts. Si les professionnels du service de l’urbanisme de la Ville avaient vu relativement juste quant à la configuration future de la région métropolitaine, ils avaient passablement erré en ce qui a trait aux effectifs démographiques — on prévoyait 7,5 millions d’habitants pour l’an 2000 — et en ce qui concerne les superficies qui seraient urbanisées. En effet, les quelque 3,5 millions d’habitants que comptait la métropole au tournant du millénaire consomment presque deux fois plus d’espace par individu que ce qui avait été envisagé. Aussi, pour paraphraser Yogi Berra, joueur et gérant légendaire des Yankees de New York, est-il bon de se rappeler qu’il est difficile de faire des prédictions, surtout quand ça concerne l’avenir.

Explorons donc avec prudence ce que nous réservent les 25 années qui nous séparent du 400e anniversaire de la fondation de Montréal.

Une grandeur métropolitaine retrouvée ?

L’adoption du projet de loi no 121 intitulé Loi augmentant l’autonomie et les pouvoirs de la Ville de Montréal, métropole du Québec devrait permettre à Montréal de jouir d’un statut que plusieurs réclament depuis nombre d’années. La lecture attentive du projet de loi montre toutefois qu’en termes de gouvernance, les changements apportés à la Charte de la Ville seront relativement limités. Il n’y a en conséquence guère de risques d’assister à des manifestations d’indignation de la part des élus des autres municipalités québécoises. La grandeur métropolitaine enfin reconnue sera malgré tout bien loin de celle dont s’enorgueillissait Montréal au début du 20e siècle. La portée symbolique de l’initiative gouvernementale suffira-t-elle à faire oublier le peu de moyens qu’elle procurera ?

Rappelons que la déchéance de la métropole canadienne n’a pas été compensée, jusqu’à présent, par une reconnaissance formelle de la part de l’Assemblée nationale du statut de Montréal à titre de métropole québécoise. Cela n’a évidemment pas empêché géographes, économistes, sociologues, politologues et urbanistes de reconnaître d’emblée que Montréal est bel et bien une métropole. Pourquoi dès lors cette quête politique du statut de métropole ? N’y aurait-il pas quelque chose qui tient de la nostalgie d’une époque où Montréal dominait sans partage son aire métropolitaine ? Une époque pas si lointaine où les banlieues n’étaient considérées que comme des débordements un peu inévitables d’une ville-centre qui avait au surplus absorbé des dizaines de petites municipalités vouées à la faillite.

Or, manifestement, on n’en est plus là. Les banlieues de la grande région métropolitaine ont pris un ascendant certain dans quelques domaines — croissance démographique, création d’emplois —, tout en gagnant en autonomie, notamment en matière de culture, d’éducation, de santé, de sports et de loisirs. La traversée des ponts réserve des surprises à ceux qui considèrent que le principal défi de Montréal est de contrer un étalement résidentiel qu’alimente en partie le départ des jeunes familles. Le temps de la banlieue dortoir est bel et bien révolu.

Une ville-région qui peine à s’assumer

Par la substitution de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) en 2000 à la Communauté urbaine de Montréal (créée en 1970), on aura formellement reconnu, avec un retard considérable, l’émergence d’une ville-région de plus de 4 200 kilomètres carrés désormais articulée à un centre-ville qui a perdu de son exclusive et à une hiérarchie étendue de sous-centres.

L’adoption, en 2012, du premier Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) a été saluée par tous ceux qui attendaient depuis longtemps une telle mise en perspective des enjeux et des défis à l’échelle régionale et une première tentative d’apporter une solution à certains des problèmes reconnus depuis quelques décennies. Force est de constater que cette avancée est toutefois timide… et fragile, comme le montre la volte-face des élus en regard de certains énoncés du PMAD à l’annonce récente de la construction du Réseau électrique métropolitain par la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Mais il y a plus. Les données du plus récent recensement de Statistique Canada (2016) montrent que l’étalement urbain a toujours cours dans la région métropolitaine de Montréal, qu’il se déploie en partie à l’extérieur du territoire de la CMM et qu’il est désormais aussi alimenté par les banlieues d’après-guerre les plus anciennes, notamment Laval. Révélée par le prolongement du train de banlieue jusqu’à Saint-Jérôme et par les attentes en la matière d’autres villes-satellites (Sorel-Tracy, Saint-Hyacinthe, Saint-Jean-sur-Richelieu), cette dynamique porte à quelque 6 000 kilomètres carrés le territoire fonctionnel de la ville-région. Aussi bien dire qu’on est à des années-lumière de la ville dense et compacte souhaitée par plusieurs.

Il est évidemment difficile de croire que le territoire de pertinence de la gouvernance métropolitaine puisse être ajusté pour correspondre à un espace régional d’une telle envergure — ne serait-ce qu’en raison du poids politique relatif qu’il représenterait à l’échelle du Québec. Il n’en reste pas moins que faire abstraction de ce qui se passe hors CMM serait déraisonnable, même si les dynamiques démographiques et économiques prévisibles ne seront guère susceptibles d’alimenter des transformations de grande ampleur. Soutenir une aire métropolitaine de cette dimension, notamment en termes d’infrastructures de transport et d’équipements collectifs, et ce, dans un contexte où les chantiers de réfection et de reconstruction des réseaux existants se multiplient, constituera un enjeu économique de premier plan.

Feu retour en ville ?

L’insoutenabilité de l’étalement urbain avait incité certains observateurs à suggérer, à la fin du siècle dernier, un inévitable retour en ville. Si certains quartiers montréalais ont effectivement été réinvestis par de jeunes familles ou par de jeunes professionnels, le phénomène n’a pas permis d’inverser les tendances les plus lourdes. La décision de fonder une famille et l’arrivée d’un deuxième enfant se traduisent encore massivement par une évasion résidentielle en banlieue. Quant aux personnes âgées qui quittent leur maison, elles optent en grande proportion pour un lieu de résidence dans le quartier ou la ville où elles ont habité de plus ou moins longue date. L’immigration reste en conséquence un vecteur significatif de la stabilité démographique montréalaise, même si la banlieue attire de plus en plus d’immigrants, particulièrement de deuxième ou troisième génération.

Les défis que représenteront, au cours des 25 prochaines années, le vieillissement de la population, l’accueil des immigrants, la dépendance à l’automobile, la reconfiguration inévitable de l’offre en transport collectif, la distribution géographique de l’emploi, la répartition équitable des ressources et des équipements collectifs, la transformation du centre-ville de Montréal, des quartiers centraux et des banlieues les plus anciennes, ainsi que les indispensables arbitrages en matière de distribution des poussées d’urbanisation, devront être relevés sans que ne soit envisageable un retournement majeur de situation. Quand bien même le coût du pétrole atteindrait des sommets difficilement prévisibles, on voit mal en effet comment des citoyens, pour qui la résidence ou le logement dont ils sont propriétaires constitue le plus important investissement et souvent le seul avoir financier, pourraient se résigner à l’abandonner, ou à le céder à rabais à des acheteurs qui s’en porteraient acquéreurs malgré un contexte défavorable, ce qui en définitive ne règlerait rien.

La croissance de la population s’avère la matière première de toute consolidation et de toute densification d’envergure des périmètres urbanisés.

Si le ralentissement démographique et le vieillissement de la population peuvent être perçus favorablement par ceux qui souhaitent que soit freiné l’étalement urbain, il n’en reste pas moins qu’à défaut de pouvoir compter sur le déplacement de résidents au profit des secteurs à densifier et au détriment des voisinages ainsi délaissés, la croissance de la population s’avère la matière première de toute consolidation et de toute densification d’envergure des périmètres urbanisés. Compte tenu que nous ne pourrons miser sur des croissances démographiques apparentées à celles que connaîtront beaucoup de régions métropolitaines du reste du Canada ou des États-Unis, il nous faudra faire des gains encore plus significatifs en regard du contrôle des poussées d’étalement, puisque la densification devra tabler pour une grande part sur la mobilisation de cette faible croissance des effectifs démographiques.

Selon toute vraisemblance, le prochain quart de siècle devra donc se décliner sur le mode de l’innovation. Déjà, un peu partout sur le territoire métropolitain, on voit émerger de nouvelles pratiques, notamment en ce qui concerne les typologies d’habitat et les manières de considérer les enjeux de mobilité. Le patrimoine urbain et paysager, bien que toujours menacé, contribue davantage et de manière souvent originale à définir les ancrages d’une identité métropolitaine plurielle. Les effets cumulatifs souhaitables se font toutefois attendre. Les avancées sont encore trop conjoncturelles.

Un design urbain souvent médiocre, une trop grande complaisance envers l’automobile, le laisser-faire en matière de distribution de l’emploi industriel et commercial, la persistance, chez plusieurs ministères et autres instances publiques, de façons de faire inféodées à l’idéologie de la croissance constituent trop souvent des freins à l’innovation. Il faut souhaiter que la reconnaissance en cours des municipalités comme gouvernements de proximité permettra une mobilisation citoyenne qui contribuera à vaincre ces obstacles et à relever avec succès les défis auxquels nous seront confrontés. Qui sait, ce pourrait être objet de fierté pour ceux qui célébreront le 400e anniversaire d’une ville devenue l’une des grandes régions urbaines du Nord-Est américain.

Cet article fait partie du dossier Les politiques publiques à l’horizon 2067.

Photo: dennizn / Shutterstock.com


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Gérard Beaudet
Gérard Beaudet, urbaniste émérite, est professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Il est aussi codirecteur de l’Observatoire de la mobilité durable et chercheur associé à l’Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier.

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