(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Avant le 27 septembre 2020, la plupart des Canadiens n’avaient probablement jamais entendu parler du conflit du Haut-Karabakh. Le 27 septembre 2020, l’armée azerbaïdjanaise a répondu aux attaques de l’Arménie en avançant sur le vaste territoire reconnu par la communauté internationale comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Pendant presque trois décennies, l’Arménie a maintenu l’occupation de près d’un cinquième des territoires azerbaïdjanais (y compris l’ancienne région autonome du Haut-Karabakh ainsi que les sept districts adjacents) à la suite de la guerre de 1991-1994. Selon l’Observatoire des déplacements internes, au cours des nettoyages ethniques systématiques commis par l’Arménie dans cette région durant les années 1990, près de 700 000 Azerbaïdjanais natifs du Karabakh ont été assujettis aux forces arméniennes et expulsés de leurs foyers (voir la page 8). Aucune partie impliquée autre que l’Arménie ne reconnaît cette occupation arménienne du Karabakh comme étant légitime, même sur la scène internationale.

Le récent article d’Options politiques intitulé « La responsabilité du Canada dans la crise du Haut-Karabakh » traite des territoires occupés par l’Arménie ― que les auteurs appellent « République du Haut-Karabakh » (ou Artsakh) ― et décrit la récente guerre comme étant un résultat de « l’agression de l’Azerbaïdjan et de la Turquie ». Les auteurs se réfèrent au principe de la responsabilité de protéger et accusent les politiciens canadiens ainsi que le gouvernement de ne pas reconnaître la soi-disant « République du Haut-Karabakh » face aux « atrocités ».

L’article est fallacieux pour plusieurs raisons.

Quel est le contexte ?

La dernière guerre, aussi regrettable et affreuse fût-elle, ne résultait pas d’une initiative de l’Azerbaïdjan. En revanche, l’Arménie a semblé vouloir faire prolonger les pourparlers afin de gagner du temps pour manifester ses intentions : annexer les territoires souverains de l’Azerbaïdjan (Haut-Karabakh et les sept districts avoisinants). Afin d’y parvenir, l’Arménie a formé des milices arméniennes armées et illégales sur les territoires occupés, tout en présentant le conflit à la communauté internationale comme une question de lutte pour l’autodétermination de plus de 100 000 Arméniens dans le Haut-Karabakh.

Les auteurs ont défini la contre-offensive azerbaïdjanaise de libérer ses propres territoires des occupations arméniennes comme une « agression ». Toutefois, les normes juridiques internationales ― telles que définies dans la Charte des Nations unies et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies de 1993 (822, 853, 874, 884) ― confirment l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, et ce, en faisant explicitement référence à la « région du Haut-Karabakh de la République d’Azerbaïdjan ». La récente guerre ainsi que toutes les opérations militaires ont été strictement menées sur les territoires qui sont reconnus internationalement comme faisant partie intégrante de l’Azerbaïdjan.

Les auteurs affirment que la Turquie a participé directement à la guerre, alors qu’aucun militaire turc n’a pris part aux opérations militaires. La Turquie a seulement offert un soutien politique et moral à l’Azerbaïdjan. Tout comme le Canada est membre de l’OTAN, l’Azerbaïdjan, en tant que pays indépendant, est libre de choisir ses alliés et d’acheter des armes à n’importe quel pays, y compris la Turquie, pour se défendre.

En outre, les auteurs ont faussement affirmé que l’accord du 9 novembre 2020, qui avait pour but de mettre fin à la guerre, avait été signé par l’Arménie de la part d’« Artsakh ». La première clause de l’accord indique très clairement qui signe le document : la République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie, dénommées les « parties », et il n’y a aucune référence au terme « Artsakh » dans ce document.

 Qu’est-ce qui a déclenché les plus récents événements ?

A) La déclaration du ministre de la Défense de l’Arménie en mars 2019 révélant que l’Arménie se préparera à poursuivre une « nouvelle guerre pour de nouveaux territoires » est l’un des principaux déclencheurs des plus récents événements. Les escarmouches qui ont éclaté à la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en juillet 2020 étaient un signe prémonitoire de ce qui allait arriver par la suite.

B) La déclaration du premier ministre arménien Nikol Pashinyan en août 2019, selon laquelle « Artsakh [le mot arménien pour Karabakh] appartient à l’Arménie, et c’est tout », a indiqué à l’Azerbaïdjan que l’Arménie n’accepterait jamais de rétrocéder les sept districts adjacents autour de la région autonome du Haut-Karabakh de l’Azerbaïdjan.

La perception de l’Azerbaïdjan qu’il existe une menace est donc fondée sur les déclarations des dirigeants. La contre-attaque visant à dépasser les territoires occupés en septembre 2020 n’était rien d’autre que le corollaire logique des actions de la part de l’Arménie.

Était-il possible d’éviter la guerre ?

En effet, ce l’était. « Nous aurions pu éviter la guerre si nous avions accepté de céder les sept districts, y compris Shusha, à l’Azerbaïdjan », a déclaré Pashinyan le 16 novembre 2020. Pour être clair, rétrocéder les sept districts était une question que la communauté internationale entière ainsi que les médiateurs des pourparlers de paix s’efforcent de résoudre depuis des années en tentant de convaincre l’Arménie de s’y conformer. Par conséquent, la récente guerre est entièrement la responsabilité de l’Arménie.

Le principe de responsabilité de protéger est-il pertinent dans ce conflit ?

Les contre-attaques militaires de l’Azerbaïdjan lors de la dernière guerre n’ont pas visé les civils arméniens, a déclaré le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev. Au cours des premières semaines de la guerre, l’opération militaire de l’Azerbaïdjan s’est limitée pratiquement aux territoires où aucun civil ne vivait.

La responsabilité de protéger est un engagement politique de la communauté internationale, y compris le Canada, de prévenir des génocides, des crimes de guerre, des massacres ethniques systématiques et des crimes contre l’humanité. La responsabilité des États et de la communauté internationale est clairement établie dans le paragraphe 139 du document final du sommet mondial des Nations unies de 2005 ; ils ne peuvent agir que par l’intermédiaire du Conseil de sécurité, conformément à la Charte des Nations unies incluse dans le chapitre VII.

Un pays comme le Canada qui agit unilatéralement pour reconnaître une entité formée illégalement dans les territoires occupés d’une autre nation souveraine n’a rien à voir avec la responsabilité de protéger. Même dans les scénarios extrêmes des crimes que la responsabilité de protéger cherche à prévenir, les pays n’agissent pas seuls. Selon les derniers rapports, 100 civils azerbaïdjanais et 60 civils arméniens ont été tués au cours des hostilités. Il est important de noter que les 100 civils azerbaïdjanais se trouvaient en dehors de la zone de conflit, tandis que les 60 civils arméniens étaient dans la zone. Les auteurs ont jugé que la mort des civils arméniens doit être considérée comme une « atrocité de masse » et que « la communauté internationale doit agir rapidement pour pallier l’absence de protection ». Qu’en est-il des civils azerbaïdjanais qui ont été tués 40 à 60 kilomètres à l’extérieur de la zone de conflit alors qu’ils dormaient dans leur lit ?

S’il y a un horrible crime commis durant la guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie qui justifie l’appel à la responsabilité de protéger, c’est le massacre de 613 civils azerbaïdjanais par les forces armées arméniennes le 26 février 1992 dans la ville de Khojaly à Karabakh. La liste des personnes tuées comprend des enfants, des femmes et des personnes âgées.

Conclusion

Maintenant que la guerre est finie, je peux comprendre la frustration des Arméniens vivant au Canada et dans le reste du monde. Ce qu’ils pensaient leur appartenir est maintenant perdu, et cela doit faire mal. Pourtant, aucun pays n’envisageait la question sous cet angle. Durant toutes ces années, au lieu de préparer la population à la paix et au compromis, les dirigeants arméniens leur ont inculqué un rêve irréaliste. L’ancien conseiller du président arménien, Jirair Libaridian, a récemment abordé cette question d’erreur de leadership.

À la lumière de tous ces faits, il est impossible d’accuser le Canada d’avoir échoué en Arménie ; il ne s’est pas ingéré dans un conflit qui a été créé par l’Arménie elle-même. Le Canada n’est pas un assureur mondial qui devrait assumer les risques des pays qui ne se conforment pas aux normes et principes du droit international.

Les villes, villages et quartiers que près de 700 000 habitants azerbaïdjanais ont dû quitter au début des années 1990 lors du déplacement de la population du Karabakh sont désormais des tas de pierres, avec des infrastructures squelettiques, des sites religieux profanés et des cimetières saccagés. De vastes champs de mines séparent les réfugiés azerbaïdjanais des lieux de leurs ancêtres et empêchent leur retour. L’Azerbaïdjan est confronté à une énorme tâche de déminage de cette zone. Là serait une occasion pour le Canada de jouer un rôle.

Aujourd’hui, il est temps de travailler ensemble pour apporter de la prospérité à la fois à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan en améliorant l’économie, en ouvrant les voies de transports, en stimulant le commerce et en favorisant les contacts interpersonnels. En Azerbaïdjan, comme le président Aliyev l’a déclaré à plusieurs reprises, « les Arméniens du Karabakh seront considérés comme des citoyens égaux, comme tout autre citoyen du pays multiethnique ». Travailler à atteindre cet objectif est réaliste et garantira une paix durable entre les deux nations. Continuer à faire pression sur les parlements dans le monde pour qu’ils s’engagent sur une voie irréfléchie de « reconnaissance d’entités étatiques inexistantes » est voué à l’échec.

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Anar Jahangirli
Anar Jahangirli est président du conseil du Réseau des Canadiens azerbaïdjanais, une organisation vouée à la défense des Canadiens d’origine azerbaïdjanais. Il a travaillé dans les domaines de la diplomatie, du développement international, des communications et des affaires publiques, et est titulaire d'un diplôme en administration publique de la Kennedy School of Government de l'Université de Harvard. Twitter @AnarJahangirli

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