Partout dans le monde démocratique, les médias d’information crient famine. Au Canada, depuis que la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a entrepris sa grande consultation sur la culture, on ne compte plus les appels au secours.

La révolution numérique rend l’information plus accessible que jamais, mais tue les médias à petit feu, notamment la presse écrite d’information, imprimée ou numérique. Les rapports désespérants se multiplient sur des mises à pied massives, la désaffection envers les abonnements payants et la baisse dramatique des revenus publicitaires de sources privées ou gouvernementales. Quand les mises à pied ne suffisent plus, on met la clé sous la porte. L’information régionale dépérit ; la nationale s’affaiblit. On était habitués à voir les télévisions privées se plaindre de la concurrence « déloyale » de Radio-Canada. Dernièrement, aux audiences du Comité permanent du patrimoine canadien, même le Globe and Mail récrimine contre la fréquentation du site Web de CBC.

La ministre du Patrimoine a inclus l’ensemble de l’industrie de l’information dans sa réflexion sur la politique culturelle, mais le sujet est vaste et les délais risquent d’être longs pour une industrie aux abois. Récemment, les télévisions régionales indépendantes ainsi que celles des grands réseaux privés ont obtenu un peu de répit quand le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes a mis sur pied de nouveaux fonds pour l’information régionale. Les sommes disponibles dans ces fonds proviennent des abonnements aux signaux de télévision et non pas directement du gouvernement. Pour les autres médias, le problème reste entier.

Au Québec, le ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin, a accueilli favorablement les demandes pressantes de la Coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec. Toutefois, rien de concret n’est encore annoncé. Cette coalition regroupe Le Devoir, 6 grands quotidiens de Groupe Capitales Médias de Martin Cauchon (dont Le Soleil de Québec et Le Droit d’Ottawa), plus d’une centaine d’hebdos régionaux (propriété de TC Media ou regroupés chez Hebdos Québec), de même que 27 journaux de la Quebec Community Newspapers Association. Elle réclame un soutien de l’État, notamment sous la forme de crédits d’impôt et d’exemption de certaines taxes comme l’a plaidé le directeur du Devoir, Brian Myles.

L’aide gouvernementale aux journaux imprimés ou numériques de même qu’aux services d’information des télévisions privées est déjà bien établie dans plusieurs pays d’Europe, avec des résultats plus ou moins heureux selon le cas. Au Canada, il s’agit d’une idée nouvelle. Jusqu’à présent, ces médias sont pratiquement exclus des nombreux programmes d’aide en vigueur, tandis que les périodiques, par exemple, reçoivent un soutien du fédéral, et les médias communautaires, l’aide de Québec. À notre connaissance, seule l’Ontario a ouvert cette porte depuis peu à la presse écrite quotidienne, entre autres pour soutenir le virage numérique.

Une idée qui comporte des pièges

Plusieurs spécialistes des communications, même s’ils sont conscients de l’urgence, formulent des inquiétudes quant aux conséquences possibles de ce genre d’aide et recommandent de l’aborder avec la plus grande prudence, surtout au nom de l’indépendance de la presse, si précieuse et si fragile. Certains craignent qu’on injecte de l’argent public dans un puits sans fond puisque la définition de l’entreprise de presse est de plus en plus large. Ils dénoncent l’exemple de la France où les journaux et magazines sont à l’agonie malgré d’importants investissements gouvernementaux. D’autres suggèrent des balises serrées pour éviter de subventionner des entreprises qui appartiennent à des milliardaires ou de financer des contenus qui n’ont rien à voir avec l’information, comme les recettes de cuisine. Ainsi, Marc-François Bernier, professeur au Département de communication à l’Université d’Ottawa, estime que les fonds publics ne devraient pas financer des contenus légers et rentables comme les faits divers, le sport ou les spectacles. D’autres encore voudraient lier l’aide à la qualité de l’information diffusée en la limitant aux seules entreprises qui reconnaissent des règles déontologiques comme celles du Conseil de presse du Québec. Dominique Payette, professeure au Département d’information et de communication à l’Université Laval, propose la création d’un organisme lié au Conseil de presse qui choisirait les entreprises admissibles à l’aide gouvernementale. Cette proposition est vivement dénoncée par un des membres de la « Coalition », le directeur général d’Hebdos Québec, Gilber Paquette.

Comme on le voit, le débat est engagé, même s’il reste un peu confiné aux milieux d’initiés.

Comment assurer la survie et la diversité de nos médias en évitant les pièges ? Comment s’assurer que l’aide soit équitable et bien ciblée, qu’elle ne subventionne que des contenus originaux produits par des journalistes qui ont mené leur recherche sans pression indue et qui ne se contentent pas de reproduire des communiqués de presse, des dépêches d’agences, ou des contenus d’autres éditeurs ? Faut-il subventionner seulement des contenus originaux qui traitent de la vie publique ? Si oui, quelle proportion d’un journal ces contenus doivent-ils occuper ? Faut-il créer un organisme pour compter les pages d’information pure et dure ? Faut-il subventionner seulement les entreprises existantes qui « investissent déjà dans le journalisme » et offrir des crédits d’impôt sur la masse salariale comme le réclame Le Devoir ? Faut-il, au contraire, accorder du soutien aux médias émergents sur Internet dont les modèles de financement sont innovants ? Faut-il subventionner seulement les propriétaires d’un seul média et exclure les grandes chaînes pour réduire la concentration et encourager la diversité ?

De tous temps, il a été difficile de définir ce qu’est un journaliste et une entreprise de presse comme de tracer la ligne entre information sérieuse et légère (hard ou soft information en anglais). Si la définition est trop large, elle peut inclure n’importe quel blogueur qui diffuse une opinion ou n’importe quelle « publicité native ». Si elle est trop serrée, elle risque d’entraver la liberté qui permet en principe à tout le monde de lancer un organe de presse.

La liberté de presse est un droit qui s’applique aussi bien à un individu qui croit aux mérites d’une information de qualité qu’à celui qui ne cherche qu’à faire des profits ; à ceux qui croient aux vertus de la neutralité comme à ceux qui veulent propager une idée ou une idéologie. La liberté signifie que des partis politiques, des groupes militants ou religieux, même des gouvernements étrangers peuvent investir dans un organe de presse destiné au public québécois ou canadien. Souhaite-t-on que les fonds publics financent n’importe quelle propagande ? Bien sûr que non. Mais comment faire la différence entre information et propagande sans se retrouver avec une définition étatique de ce qu’est une presse de qualité ?

On peut aussi se demander si l’aide doit être temporaire (pour soutenir le virage numérique) ou permanente. Beaucoup d’expériences sont réalisées en ce moment pour trouver de nouveaux modèles de financement. On peut citer le Washington Post digital partner program, les micropaiements à l’article du Winnipeg Free Press, le projet de Média Boutique des hommes d’affaires québécois Guy Laliberté et Alexandre Taillefer (ce dernier vient d’acquérir le magazine L’actualité). On pourrait mentionner aussi une myriade d’expériences européennes, répertoriées dans le rapport du sociologue Jean-Marie Charon (2015) au gouvernement français. Une intervention gouvernementale risque-t-elle d’étouffer cette ingéniosité ?

Devrait-on refuser de subventionner des médias qui ne demandent aucune contribution de leurs abonnés ? Par exemple La Presse+ qui diffuse gratuitement sur tablette et qui, par ricochet, a peut-être forcé le Journal de Montréal à offrir gratuitement ses contenus en ligne ?

Il est difficile de prévoir quels nouveaux stratagèmes les géants d’Internet vont encore trouver pour détourner les revenus des producteurs de contenus et les impôts que devraient recouvrer les gouvernements. Comment éviter qu’ils s’approprient des contenus financés par des fonds publics et tous les revenus qui en découlent ?

Des précautions à prendre

On le voit, les questions sont nombreuses. Il sera sans doute nécessaire que les gouvernements répondent à l’urgence pour éviter des fermetures d’institutions essentielles à notre vie publique. Cependant, les décisions en ce domaine peuvent être lourdes de conséquences, et une réflexion plus approfondie devrait se poursuivre le temps nécessaire pour concevoir un écosystème viable. Il faut être conscient aussi que l’environnement continue d’évoluer et que les modèles devront s’ajuster encore et encore.

Cette réflexion doit s’engager avec des spécialistes des médias provenant des universités, du milieu des propriétaires de médias, des associations professionnelles de journalistes (comme la Fédération professionnelle des journalistes du Québec), des syndicats, ainsi que d’organismes comme le Conseil de presse du Québec. La réflexion bénéficierait aussi des compétences de spécialistes du droit, de la fiscalité et des structures d’entreprise. Un débat ainsi élargi serait plus susceptible de définir des règles claires et équitables, de préserver la santé de l’information à long terme et de convaincre les contribuables que la dépense est justifiée, si c’est la conclusion à laquelle on en vient. En faisant bien les choses, on réussira peut-être à éviter que tout soit remis en question à chaque changement de gouvernement ou chaque fois qu’un média réussit à dévoiler des nouvelles qui déplaisent aux dirigeants politiques.

Cet article fait partie du dossier L’avenir du journalisme canadien.

Photo : Shutterstock.com


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Geneviève Guay
Geneviève Guay est journaliste à la retraite. Elle a travaillé durant 35 ans à Radio-Canada, principalement comme journaliste et rédactrice en chef.

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