(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Au cours des 18 derniers mois, de nouveaux gouvernements ont Ă©tĂ© portĂ©s au pouvoir dans trois des quatre plus grandes provinces — la Colombie-Britannique, l’Ontario et le QuĂ©bec. L’Alberta ira aux urnes cette annĂ©e, tout comme le Canada dans son ensemble. Quel que soit le rĂ©sultat de l’élection fĂ©dĂ©rale, la majoritĂ© du pays est contrĂ´lĂ©e par de nouvelles administrations qui repensent les choses Ă  la lumière de nouveaux mandats.

Elles ont amplement matière à réflexion. Le monde évolue à un rythme semblable à celui de l’époque de la révolution industrielle. Les décideurs politiques de tous les domaines ont de grandes difficultés même à tenir le rythme – que ce soit en raison des transformations géopolitiques, dont la rivalité grandissante entre les États-Unis et la Chine ; des nouvelles concentrations de pouvoir et de richesses engendrées par les grandes innovations de l’ère numérique ; ou des répercussions de l’intelligence artificielle et de l’automatisation sur l’autonomie et le monde du travail ; ou encore des effets catastrophiques des changements climatiques.

Il faut d’énormes dons de perspicacité non seulement pour comprendre les répercussions de ces changements, mais aussi pour les prévoir et y réagir afin de façonner l’avenir souhaité. La responsabilité de représenter l’intérêt public en cette époque de perturbations revient à deux groupes : les élus et les fonctionnaires qui les conseillent.

La planification est l’une des fonctions clés d’une fonction publique non partisane telle qu’elle existe au Canada et dans d’autres pays qui ont adopté le système de gouvernement britannique. Bon nombre d’administrations ont des comités de cabinet axés sur les priorités et la planification, et des unités correspondantes dans la fonction publique pour les appuyer.

L’aspect des priorités est celui qui obtient le plus d’attention, car il consiste à réaliser les programmes du gouvernement et à réagir aux événements de la journée. C’est le pain et le beurre du gouvernement.

La planification, elle, est différente. Elle nécessite de prendre du recul par rapport aux fonctions quotidiennes de l’administration gouvernementale pour voir ce qui nous attend au tournant ou à l’horizon. Dans certains cercles, le mot « prévoyance » est utilisé pour décrire cette réflexion à long terme. Nul ne peut prédire l’avenir, mais les gouvernements font bien d’essayer de le faire.

En plus d’aider le gouvernement à réaliser ses priorités politiques actuelles, les décideurs politiques doivent préparer le moyen et le long terme, notamment en formulant des politiques et des conseils pour composer avec les tendances émergentes qui affecteront le bien-être futur des Canadiens.

À l’ère numérique, personne n’a le monopole de la compréhension de l’avenir. La planification en période de grands changements est une tâche humble, mais nécessaire.

En parallèle, les partis politiques et les fonctionnaires non partisans du Canada font également plus de consultations que par le passé. Chacun s’efforce d’apprendre, de trier et de résumer afin de bien gouverner. À l’ère numérique, personne n’a le monopole de la compréhension de l’avenir. La planification en période de grands changements est une tâche humble, mais nécessaire.

C’est avec le même genre d’humilité que le Forum des politiques publiques publie le rapport Canada Next: 12 Ways to Get Ahead of Disruption, dans le contexte de la conversation sur la planification au Canada. Le rapport, composé de textes de professeurs, de chefs de groupes de réflexion et d’anciens hauts fonctionnaires, fait suite à des consultations à grande échelle menées auprès de leaders d’opinion et de faiseurs. Le présent dossier dans Options politiques présente le fruit de leurs recherches et vise à aider les décideurs politiques à déterminer les orientations politiques futures de manière à composer avec un éventail de tendances émergentes.

Des fonctionnaires du gouvernement fédéral et de sept provinces ont aussi fait connaître leur point de vue au sujet des prochains enjeux d’importance et de la meilleure façon pour les décideurs politiques de s’y préparer. Le message tiré de ces consultations est que les ruptures peuvent être à la fois positives et négatives. Bien que les collaborateurs du rapport et de la présente série se soient concentrés sur les changements technologiques, y compris leurs répercussions sur la main-d’œuvre ainsi que sur les services publics essentiels aux Canadiens, leurs préoccupations pour l’avenir du pays ne se limitent pas à la planification en cas de rupture. Ils sont aussi préoccupés par les répercussions des valeurs sociales en évolution, des données démographiques et des changements climatiques.

En termes simples, il y a trois façons de composer avec ce que l’on appelle la rupture :

  • laisser aller les choses et s’adapter en consĂ©quence ;
  • mettre en Ĺ“uvre des politiques destinĂ©es Ă  freiner la vague de changement ;
  • utiliser les leviers politiques pour gĂ©rer le changement de manière Ă  en tirer un avantage concurrentiel et Ă  attĂ©nuer les dommages.

Avec la première approche, les dommages aux personnes ou aux groupes de personnes dans une situation similaire (résidents de la « ceinture de rouille », de régions productrices de combustibles fossiles ou de régions rurales, ou personnes peu éduquées) sont difficiles à accepter. À l’ère d’Internet, ces personnes peuvent facilement se laisser emporter par une force réactionnaire luttant contre la vague de changement. Les ajustements en douceur sont difficiles. Des philosophies en opposition à l’économie de marché, les plus célèbres étant les écrits de Karl Marx et de Friedrich Engels, sont nées durant le passage de la ferme à l’usine au 19e siècle. Le communisme a été lourd de conséquences au 20e siècle, tout comme le fascisme, né en réponse aux pressions politiques, économiques et sociales des années 1920 et 1930 en Europe. La naissance de telles idéologies extrémistes est un signe indéniable de manque de leadership éclairé en matière de politiques publiques.

Avec la deuxième approche, l’avantage national à long terme est sacrifié au profit de l’avantage à court terme. C’est parfois la liberté comme telle – l’autonomie politique, les pouvoirs économiques – qui est sacrifiée. Cette suppression des attentes peut aussi entraîner de plus grands bouleversements ultérieurs du système. La destruction créative ne peut pas être niée, seulement reportée, quitte à payer plus tard un prix potentiellement plus élevé en matière d’ajustements.

La voie modérée fait appel à diverses combinaisons de confiance envers le marché et d’intervention politique pour libérer, orienter ou atténuer le processus de changement.

La troisième approche est la voie modérée. Elle a connu le plus grand succès, bien que ce soit par diverses mesures dans diverses circonstances, mises en œuvre par un vaste éventail de sociaux-démocrates, de libéraux et de conservateurs. La voie modérée fait appel à diverses combinaisons de confiance envers le marché et d’intervention politique pour libérer, orienter ou atténuer le processus de changement.

Par exemple, Daniel Munro de la Munk School propose dans son article trois façons de régler les enjeux posés par l’intelligence artificielle (IA), dont une approche axée sur le laissez-faire pour permettre à l’IA de « se développer et de se diffuser sans limites » et une approche prudente qui consiste à limiter son développement jusqu’à ce que « les risques soient mieux compris et que la capacité de les gérer soit en place ». Entre ces deux extrêmes, il y a une « approche de gestion du risque sensible au cas et au contexte ». Selon M. Munro, une telle approche permet « aux technologies et applications d’IA de se développer tout en surveillant et en gérant les risques possibles au fur et à mesure qu’ils émergent dans des applications spécifiques ».

D’autres auteurs de la présente série ont recherché le même juste équilibre. Ils ont mis de l’avant des idées de gestion des ruptures qui empêchent de museler les innovateurs tout en permettant aux technophiles de surfer sur la crête de la vague du changement.  Grâce à leurs propositions, ceux qui ne sont pas aussi bien placés pour tirer avantage de la nouvelle économie ne seront pas laissés pour compte.

Nous espérons que la présente série d’articles et les textes qui les ont inspirés intéresseront un vaste public, tout particulièrement ceux qui sont chargés de la tâche ardue de planifier des politiques publiques intelligentes : les élus et les fonctionnaires qui préparent le Canada à affronter ce qui nous attend au tournant ou à l’horizon. Les politiques publiques sont difficiles à exécuter même dans les meilleures conditions. En période de grands changements, elles deviennent extrêmement difficiles à exécuter. Nous souhaitons bonne chance à ceux qui le feront.

Cet article est adapté du rapport du Forum des politiques publiques intitulé Le Canada de demain : 12 façons de prévenir la rupture, qui regroupe 12 études sur les défis et possibilités des perturbations en cours au Canada.

Cet article fait partie du dossier Des politiques innovantes pour un Canada en mutation.

Photo : Feu d’artifice au-dessus de l’édifice du Centre de la Colline du Parlement lors de la cérémonie d’illumination Lumières de Noël au Canada à Ottawa le 5 décembre 2018. La Presse canadienne / Justin Tang.


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Edward Greenspon
Edward Greenspon est président-directeur général du Forum des politiques publiques. Il a été rédacteur en chef du Globe and Mail, vice-président des investissements stratégiques à Torstar et rédacteur principal à Bloomberg News. Il a obtenu le prix Hyman Solomon pour l’excellence journalistique dans le domaine des politiques publiques ainsi que le prix commémoratif Douglas Purvis pour le meilleur ouvrage en politique économique.
Drew Fagan
Drew Fagan est professeur à la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto et conseiller principal à la firme McMillan Vantage Policy Group. Il a été sous-ministre au gouvernement de l’Ontario et, au niveau fédéral,  chef de la planification des politiques au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, maintenant Affaires mondiales Canada.

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