L’idée d’un revenu de base inconditionnel pour tous les citoyens est à l’ordre du jour. La Finlande a mis en place un ambitieux projet pilote, des municipalités néerlandaises planifient des expériences et un peu partout, les débats publics évoquent la possibilité d’un revenu de citoyenneté.

En juin 2016, le Québec a posé un premier geste en mettant sur pied un comité d’experts pour réfléchir à l’idée d’un revenu minimum garanti. Ailleurs au Canada, c’est clairement l’Ontario qui a pris les devants avec un projet pilote concret, lancé ce printemps dans les régions de Hamilton, Lindsay et Thunder Bay.

Avant d’aller plus loin, il convient de préciser que ces premiers projets demeurent bien en deçà de l’idée audacieuse d’un revenu de citoyenneté parfaitement inconditionnel, défendue par des philosophes comme Philippe Van Parijs. En Ontario comme en Finlande, on parle davantage de revoir la logique de l’aide sociale et le soutien du revenu pour les travailleurs pauvres que de créer le revenu socle envisagé par Van Parijs.

En effet, tandis que les arguments des promoteurs les plus enthousiastes des premiers projets pilotes ont tendance à les justifier en évoquant les avantages d’un revenu universel simple et non contraignant, ce dont il est question, en Ontario comme en Finlande, c’est plutôt d’une forme d’impôt négatif pour les plus pauvres, c’est-à-dire d’un transfert qui diminue quand le revenu augmente.

Prenons le projet pilote ontarien, inspiré du rapport d’un comité présidé par Hugh Segal. Le projet, à participation volontaire, consiste à offrir un revenu de base à 4 000 personnes en âge de travailler qui ont un faible revenu et résident dans les régions désignées. Ce revenu de base équivaut à 75 % du seuil de faible revenu, soit 16 989 dollars. Il remplace l’aide sociale, mais est toujours complété par les mesures fiscales et transferts existants, notamment les prestations pour enfants. Pour les personnes qui occupent un emploi, le revenu de base est réduit de 0,50 dollar pour chaque dollar gagné. Pour celles qui touchent de l’assurance-emploi ou une rente du Régime de pensions du Canada, le revenu de base est réduit d’un dollar pour chaque dollar obtenu. Ni les remboursements pour les médicaments ou les soins dentaires ni les suppléments pour les personnes avec un handicap ne sont pris en compte.

Concrètement, une mère monoparentale avec deux enfants qui recevait jusque-là de l’aide sociale, obtient un revenu de base de 16 989 dollars (plutôt que 12 228 dollars en aide sociale) et voit son revenu annuel total, avec les prestations pour enfants, passer de 28 896 dollars à 33 657 dollars. Si elle travaille à temps plein au salaire minimum, cette mère reçoit un revenu de base de 6 245 dollars, qui s’ajoute à son revenu de travail de 20 106 dollars, pour passer, avec les prestations pour enfants, d’un revenu annuel de 37 774 dollars à 42 583 dollars.

Ce simple exemple montre le potentiel de la formule mise au point par le comité Segal pour réduire la pauvreté sans diminuer les incitations au travail. En effet, le revenu d’aide sociale s’améliore sensiblement, mais le revenu de travail augmente également.

La grande vertu de cette forme d’impôt négatif consiste justement à intégrer les revenus d’aide sociale et de travail dans une même logique de soutien. Si la mise en œuvre de cette nouvelle mécanique risque de poser des défis, notamment pour concilier le fonctionnement mensuel de l’aide sociale et la logique annuelle de l’impôt sur le revenu, au total, les effets devraient être positifs.

Le projet pilote vise à mesurer les effets d’un meilleur soutien du revenu sur la sécurité alimentaire, le stress, la santé, l’éducation et la participation au marché du travail. Sur ce plan, les résultats seront fort probablement positifs. On se doute déjà, en effet, qu’une bonification des revenus des plus pauvres contribuera à améliorer leurs conditions de vie. La grande question concerne plutôt la possibilité de généraliser une telle formule à l’ensemble de la société.

Dans un commentaire préparé pour le National Post, l’économiste Kevin Milligan estimait que le revenu de base ontarien rejoindrait beaucoup de jeunes adultes qui vivent encore chez leurs parents et qui ne sont pas nécessairement dans le besoin. Surtout, Milligan évaluait le coût d’un déploiement dans l’ensemble de la province à environ 15 milliards de dollars. Il faudrait hausser la taxe de vente ontarienne d’au moins cinq points pour soutenir un tel transfert, concluait-il.

Dans le même ordre d’idées, une note de recherche de l’OCDE parue en mai 2017 évaluait les coûts et les conséquences d’un revenu universel qui remplacerait l’ensemble des assurances et des transferts existants. Dans tous les pays, une telle réforme laisserait le revenu de base à un niveau bien en deçà du seuil de pauvreté, et elle ferait de nombreux perdants. Pour hausser ce revenu de citoyenneté à un niveau à peu près décent, il faudrait augmenter substantiellement les impôts. Mais même à ce coût, il y aurait des perdants, et la pauvreté reculerait assez peu.

À cet argument économique et budgétaire, on pourrait ajouter que l’abolition des assurances et des transferts existants n’irait pas de soi, puisque ce sont des droits sociaux établis que l’on remettrait alors en question.

Entre un projet pilote touchant 4 000 personnes et une mise en œuvre à l’échelle de toute une société, il y a donc une très haute marche à franchir. Compte tenu des difficultés de la solution maximaliste, l’OCDE propose de réfléchir à des avenues intermédiaires, qui cibleraient de façon plus précise les interventions, sans tout remettre en question.

C’est un peu ce que proposait le rapport Segal qui favorisait une forme d’impôt négatif pour les seules personnes à faible revenu. En ce sens, le projet pilote de l’Ontario fait œuvre utile en permettant d’avancer la réflexion sur les modalités et les conséquences du soutien du revenu pour les plus pauvres. Mais comme avec la plupart des projets en cours, la question du coût demeure entière. Les contribuables sont-ils prêts à accepter des hausses majeures d’impôt pour offrir un revenu de base pratiquement inconditionnel à toutes les personnes à faible revenu ?

Photo: July 24, 2014 in Trois-Riviere, Quebec, Canada. Symmetrical Staircases in the Poor Old Trois-Riviere Area where the poverty is always present, but where the houses are historical. Shutterstock / Benoît Daoust


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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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