La nouvelle donne économique de la Chine, à savoir le ralentissement économique, le crash boursier, la fuite des capitaux internationaux, la volatilité de la valeur de la monnaie chinoise, la surcapacité de production, l’endettement, etc., a suscité beaucoup de réactions alarmantes au Canada comme ailleurs dans le monde. De « crise profonde » à « effondrement », de « fin du miracle » à « éclatement du mirage », les qualificatifs accordés à l’économie chinoise actuelle sont légion. Certaines personnes n’hésitent pas à préconiser le retrait du marché chinois, et même la création d’un nouvel ordre économique mondial « post-Chine ».

Incontestablement, après plus de 30 ans de croissance rapide, l’économie chinoise est en train de connaître une turbulente mutation. Le président chinois, Xi Jinping, a même officialisé en 2014 l’expression « nouvelle normalité » pour désigner la situation. Mais que signifie réellement « nouvelle normalité » ? Quel est l’intérêt, pour le Canada, de développer ses relations commerciales avec la Chine dans une telle situation ? Des réponses à ces questions s’imposent, dans un contexte où le gouvernement canadien semble vouloir approfondir les liens économiques du pays avec la Chine.

La « nouvelle normalité » transforme l’économie chinoise

Il est clair que la « nouvelle normalité » signe la fin du modèle de développement adopté en 1978. De la politique du développement « harmonieux » élaborée en 2007 au projet de « Chinese Dream » avancé en 2012, les autorités chinoises ont tenté de concevoir une nouvelle stratégie de développement au cours de ces années. En effet, le rythme effréné de la croissance économique des dernières décennies n’est plus soutenable, en raison du surinvestissement, de la grande dépendance par rapport aux exportations, de la faible valeur ajoutée des activités économiques et de leurs effets dévastateurs sur l’environnement. Imposée ou choisie, la « nouvelle normalité » chinoise implique au moins trois changements majeurs :

  • un ralentissement de la vitesse de la croissance, au profit de la qualité et de la valeur ajoutée ;
  • un ajustement de la structure économique nationale, dominée jusqu’à récemment par la production industrielle de masse, au profit du secteur des services et de l’industrie à haute valeur ajoutée ;
  • un développement des nouvelles forces motrices de la croissance telles que la consommation intérieure, l’innovation et l’approfondissement de la réforme du système économique.

Cette transformation de l’économie chinoise s’accompagne de mesures gouvernementales qui s’inscrivent dans le long terme. La « réforme structurelle du côté de l’offre », la politique de « l’entrepreneuriat populaire et l’innovation de masse », la stratégie de la « montée en gamme », le programme « Made in China 2025 », le projet « une ceinture et une route », la création de zones de libre-échange pilotes et les multiples lois sociales et environnementales récemment promulguées sont autant de moyens déployés par l’équipe actuelle de dirigeants chinois pour que le pays puisse éviter « le piège des pays à revenu intermédiaire ». Les risques comme les bonnes occasions demeurent donc entiers dans cette situation de « nouvelle normalité » chinoise.

Ainsi, la plupart des difficultés actuelles semblent plutôt être les symptômes d’une transformation majeure qui est en train de s’opérer en Chine. Certes, l’avenir de l’économie chinoise demeure incertain, étant donné les problèmes économiques, politiques, sociaux et environnemtaux innombrables auxquels le pays doit faire face. Cependant, dans le vocabulaire chinois, le mot « crise » est composé de deux caractères : l’un signifie « danger » et l’autre « occasion à saisir ». Il est donc harsardeux de parler dès maintenant d’échec de l’économie chinoise.

En fait, la Chine étant un pays très peuplé et en transition, il est inévitable qu’elle doive faire face à de multiples problèmes. En effet, ce dont la Chine ne manque pas aujourd’hui, ce sont bien les problèmes. Une bonne compréhension de la nature et de la gravité de ces problèmes nécessite pourtant de tenir compte de trois points de repère : l’évolution de la Chine dans le temps, la situation actuelle des autres pays et les atouts comme les faiblesses du pays face à l’avenir. Trois particularités de la Chine sont donc à souligner :

  • La taille – Avec une population de près de 1,4 milliard de personnes, la Chine risque d’avoir un parcours de développement plus complexe et singulier que les autres pays. Les États-Unis, par exemple, comptaient moins de 70 millions d’habitants au moment de leur essor économique au début du siècle dernier. Ainsi, aucun modèle et aucune théorie existants ne sont suffisamment puissants pour prédire la situation future de la Chine.
  • Les ressources accumulées – Malgré des inquiétudes liées au niveau d’endettement du pays, la Chine possède aujourd’hui des ressources relativement importantes, accumulées grâce à près de 40 ans de croissance rapide, pour faire face à des crises. Un PIB de plus de 10 000 milliards de dollars américains, une réserve en devises de plus de 3 000 milliards et aussi un taux d’épargne de plus de 40 % sont des atouts non négligeables, auxquels s’ajoutent un tissu industriel assez complet, des infrastructures modernes dans les régions urbaines et un réservoir de capital humain de plus en plus qualifié (avec un nombre grandissant de managers et d’entrepreneurs dynamiques, et au moins sept millions de diplômés universitaires de plus chaque année).
  • La capacité institutionnelle – Malgré le mécontentement grandissant de la population et les résistances des groupes privilégiés au sein du Parti communiste, le régime autoritaire chinois dispose aujourd’hui encore d’une capacité d’action importante. Le capitalisme d’État à la chinoise s’exerce plus que jamais grâce au quadruple rôle de l’État : celui de programmeur de l’évolution du pays selon l’approche « top-down design » ; celui de promoteur, qui met l’économie au centre de toutes les actions ; celui de producteur grâce aux quelque 130 000 entreprises étatiques dans les domaines économiques stratégiques ; celui de protecteur, qui tente de favoriser le développement de la « création chinoise ».

Vers un engagement actif du Canada dans la transformation économique de la Chine

L’expression « nouvelle normalité » n’est nullement une invention chinoise : en fait, elle a été employée pour la première fois en 2009 par Mohamed El-Erian, dirigeant de la Pacific Investment Management Company, aux États-Unis, pour décrire la « médiocrité » de l’économie des pays développés après la crise de 2008. Selon lui, une croissance lente, un taux de chômage élevé, un rendement des investissements faible, entre autres, risquent de caractériser pendant longtemps l’économie mondiale. Et, malheureusement, l’économie canadienne ne semble pas avoir échappé à cette « nouvelle normalité ».

Il y a aujourd’hui un consensus au Canada sur l’importance du commerce international pour la prospérité du pays et sur la nécessité de percer de nouveaux marchés (tout en préservant les marchés américains en priorité). Cependant, les relations commerciales du Canada avec la Chine – le plus important acteur dans les échanges internationaux, la deuxième puissance économique mondiale et le troisième pays fournisseur de capitaux internationaux – demeurent plutôt timides. Le Canada est loin derrière les 10 principaux partenaires commerciaux de la Chine, avec une part de moins de 2 % dans la valeur du commerce international de la Chine.

La Chine a été pendant longtemps, pour le Canada, un fournisseur de biens de consommation et de certains biens industriels bas de gamme, et aussi un acheteur de ressources naturelles et de matières premières. Elle a aussi été considérée, au cours des années, comme un féroce concurrent aussi bien sur nos marchés nationaux que sur nos principaux marchés étrangers, et non seulement dans des secteurs intensifs en main-d’œuvre et en capitaux mais aussi de plus en plus dans les secteurs intensifs en savoir. Toutefois, dans le contexte de la « nouvelle normalité » économique de la Chine et aussi du Canada, l’heure est venue pour les entreprises canadiennes de profiter de multiples nouvelles occasions chinoises.

En effet, la transformation de l’économie chinoise se traduit par un incroyable vivier de possibilités pour les entreprises canadiennes dans le domaine de la consommation. Selon le Bureau de statistiques de la Chine, entre 2011 et 2014, la consommation finale a connu une croissance de 13 % en moyenne par année et a contribué en moyenne à 54,8 % de la croissance annuelle du PIB chinois – et même à 66,4 % en 2015 –, grâce à une augmentation du revenu des Chinois de l’ordre de 7 % à 8 % par année. L’éducation, la santé, le tourisme, le logement, le divertissement, les produits alimentaires de qualité, les soins offerts aux personnes âgées, l’assurance et les services financiers sont autant de domaines prisés notamment par la classe moyenne chinoise, qui est composée de 300 millions de personnes aujourd’hui, et qui sera possiblement constituée de plus 600 millions de personnes en 2020 et près de 900 millions en 2030. Ainsi, en 2012, le secteur tertiaire a dépassé pour la première fois le secteur secondaire en Chine, avec une part de 45,5% du PIB, et il a atteint 50,5 % en 2015. Seulement en 2014, 13 millions de nouvelles entreprises ont été créées en Chine, dont plus de 80 % se trouvent dans le secteur tertiaire. Les entreprises chinoises sont cependant loin d’être en mesure de répondre aux désirs de plus en plus diversifiés et exigeants des consommateurs, alors que le gouvernement chinois prévoit un taux de croissance annuelle de 6,5 % durant le 13e plan quinquennal de la Chine (2016-2020), afin d’atteindre son objectif de doubler, en 2020, le PIB et le revenu par capita de 2010.

Les quelques suggestions de la Chambre de commerce du Canada, déjà présentées en juillet 2010, sont pertinentes : « Le Canada doit mettre l’accent sur ses forces, par exemple dans ses secteurs miniers et énergétiques, son secteur agricole, ses industries manufacturières et technologiques à forte valeur ajoutée et ses services commerciaux, entre autres. […] Non seulement le Canada doit accroître le volume des échanges, mais il doit également les étendre à tous les secteurs pour y inclure un plus grand nombre de produits et de procédés à forte valeur ajoutée. Le Canada doit le faire non seulement dans les secteurs où il possède actuellement des créneaux d’expertises, mais également dans les secteurs émergents tels que les technologies vertes. » Le moment est donc opportun pour que le Canada s’engage activement dans la transformation économique de la Chine.

Nous savons tous que la Chine est un monde très complexe. La concurrence est particulièrement forte aujourd’hui sur le marché chinois, en raison de la présence d’un grand nombre de multinationales occidentales et de plus en plus d’entreprises chinoises performantes. La transformation parfois brutale du pays engendre de multiples risques, confusions et incertitudes, qu’il est parfois difficile d’évaluer et de comprendre. Ainsi, des relations diplomatiques plus actives et un cadre politique et juridique plus élaboré entre le Canada et la Chine seront nécessaires afin de mieux soutenir le positionnement stratégique des entreprises canadiennes qui font des affaires avec la Chine. Par ailleurs, il est temps d’aller au-delà de cette dualité passablement simpliste qui oppose le commerce aux droits de la personne dans les relations avec la Chine. En fait, un engagement actif du Canada dans les relations économiques avec la Chine devra permettre, entre autres, d’élargir la participation des Chinois au développement du système de marché, un élément fondamental pour le progrès politique de ce pays.

Cet article fait partie du dossier Les relations Canada-Chine.

 


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Zhan Su
Zhan Su est professeur titulaire de stratégie de l’entreprise, et titulaire de la chaire Stephen-A.-Jarislowsky en gestion des affaires internationales, Université Laval.

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