Contre toute attente, François Legault n’aura pas été la cible de tirs groupés de ses confrères lors du dernier Conseil de la fédération, en juillet. On a plutôt vu un front commun des provinces sur plusieurs questions économiques, même autour de certains sujets où le désaccord semblait inévitable. Ce sont les chefs de partis fédéraux qui ont été la cible des premiers ministres des provinces et des territoires, ces derniers allant même jusqu’à leur écrire une lettre, rendue publique, qui faisait état de leurs diverses demandes. Le Conseil de la fédération aurait donc servi à donner le ton à la prochaine campagne électorale.
La collaboration accrue des provinces et des territoires, qui peut paraître surprenante, trouve entre autres racine dans la similitude qui existe entre les nouveaux chefs des gouvernements provinciaux. Depuis deux ans, six nouveaux premiers ministres ont fait leur entrée dans leur gouvernement respectif. Six hommes dont les politiques se positionnent à la droite ou au centre droit et dont le franc-parler est souvent à la source de leur succès. Le Conseil actuel fait donc place à une dynamique difficile pour Ottawa : non seulement les premiers ministres des provinces représentent moins que jamais les électeurs (aucune femme, aucune minorité visible, aucun membre des Premières Nations), mais une majorité de gouvernements s’opposent directement aux politiques du gouvernement fédéral. En Alberta, Jason Kenney perçoit chez ses électeurs la plus forte aliénation à l’égard d’Ottawa des temps récents, tandis que des sondages montrent même une augmentation du soutien pour la séparation dans cette province. Du côté du Québec, François Legault continue d’adopter une position fortement nationaliste, voire autonomiste à l’endroit du fédéral, avec lequel il a beaucoup démordu dans les derniers mois sur la question de la laïcité. Et entre les deux provinces, plusieurs gouvernements s’opposent farouchement à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre du fédéral, aussi connue comme la taxe sur le carbone.
Des conflits évités, un pari risqué
La rencontre de juillet du Conseil de la fédération a débuté dans un contexte intergouvernemental incertain. En effet, à la clôture de la dernière rencontre entre premiers ministres, en décembre 2018, François Legault avait comparé le pétrole albertain à de « l’énergie sale », terme pour lequel il a été vivement critiqué au Canada anglais. Ainsi, le chef de la CAQ aurait pu passer un mauvais quart d’heure à cette nouvelle réunion. Pourtant, même la question de la laïcité n’a pas autant nui à François Legault que certains l’auraient cru. Si le premier ministre manitobain, Brian Pallister, a cherché à obtenir l’appui de ses confrères de l’Ouest pour dénoncer la nouvelle Loi sur la laïcité de l’État adoptée par l’Assemblée nationale, le Québec s’est activé en coulisse pour calmer le jeu avant le Conseil. Résultat : outre une sortie sans mordant de Brian Pallister, la laïcité n’a pas jeté d’ombre sur les discussions.
Les premiers ministres se sont entendus sur plusieurs priorités, dont la sécurité des transports et les cibles énergétiques, et se sont tous engagés à réduire les contraintes de commerce interprovincial comprises dans l’Accord de libre-échange canadien. Fait saillant des discussions, Québec a obtenu l’appui des autres provinces pour demander au gouvernement d’augmenter le pourcentage d’immigrants économiques à 65 %.
François Legault a aussi surpris dans le domaine de l’énergie, en indiquant l’intention de son gouvernement de participer à la contestation judiciaire de la Saskatchewan au sujet de la taxe fédérale sur le carbone devant la Cour suprême. Un pari risqué pour celui qui avait précédemment appuyé cette même taxe. Or, en justifiant sa participation par sa position nationaliste, qui prône le respect du partage des compétences et le désengagement du fédéral des politiques provinciales, François Legault scelle le front commun des provinces à l’endroit du fédéral. On pourrait croire qu’il cherche à limiter la portée des critiques de Jason Kenney, qui rejette d’un côté l’intervention fédérale en matière de taxe sur le carbone tout en argumentant de l’autre qu’il serait constitutionnel pour le fédéral d’imposer une infrastructure interprovinciale comme un oléoduc qui traverserait le Québec.
Toutefois, le Conseil de la fédération n’a pas connu que des succès, particulièrement dans le dossier de l’énergie. Les premiers ministres n’ont obtenu aucune concession de François Legault quant à la création d’un oléoduc pour le transport de pétrole, le chef de la CAQ répétant qu’il n’y avait aucune acceptabilité sociale pour ce type d’énergie fossile au Québec. Il est resté moins ferme, cependant, devant la possibilité d’un oléoduc voué au transport de gaz naturel. De son côté, le premier ministre québécois est revenu bredouille, n’ayant pas pu convaincre l’Ontario d’acheter son hydroélectricité.
La pression sur les chefs : un défi pour Justin Trudeau
Ce qu’on retiendra de ce Conseil de la fédération reste toutefois le ton employé par les premiers ministres à l’égard du fédéral. Alors que les rencontres annuelles du Conseil servent surtout à définir des priorités communes, il n’est pas rare que les provinces y expriment des demandes envers le gouvernement fédéral. Par contre, Ottawa est rarement aussi interpellé qu’il l’a été en juillet dernier. Si on s’attendait, dans le contexte préélectoral, à une liste de demandes des provinces, il reste inusité de voir une lettre envoyée publiquement aux différents chefs des partis politiques fédéraux. Parmi les exigences imposées au prochain gouvernement : rétorquer à la politique Buy American des États-Unis, accepter 65 % d’immigrants économiques, augmenter les transferts en santé de 5,2 % par année ou encore ramener le financement en matière de désastres naturels. Ces désaccords entre le fédéral et les provinces pourraient bien refaire surface durant la campagne. Mais le plus surprenant de cette lettre : elle débute par la volonté des provinces de faire respecter le principe du fédéralisme et le respect des compétences des provinces, ce qu’avait d’ailleurs promis François Legault.
En plus du dossier empoisonné qu’est SNC-Lavalin, Justin Trudeau se frottera à deux sujets potentiellement glissants lors de la prochaine campagne électorale : l’énergie et l’immigration. D’abord, l’idée d’un corridor énergétique d’Andrew Scheer a obtenu plusieurs appuis chez les provinces, particulièrement dans l’Ouest. Le premier ministre sortant devra donc jongler avec sa décision d’acheter l’oléoduc Trans Mountain tout en cherchant à convaincre les Canadiens qu’il dirige un gouvernement ayant l’environnement à cœur. Et s’il peut rétorquer que le centre de sa politique environnementale tourne autour de sa taxe sur le carbone, la contestation judiciaire soumise par la Saskatchewan à la Cour suprême ne sera pas réglée avant la fin de la campagne et pourrait bien être un boulet pour Justin Trudeau. De la même façon, la croissance des besoins en main-d’œuvre et l’appui généralisé des provinces à une augmentation de l’immigration à vocation économique pourraient aussi embarrasser le chef libéral, qui n’a l’intention de diminuer ni l’aide aux réfugiés ni les réunifications familiales.
Ainsi, cette rencontre du Conseil de la fédération aura permis aux nouveaux premiers ministres de trouver plusieurs alliés sur des enjeux économiques importants pour leur province. Le contexte de l’élection fédérale imminente aura aussi permis aux chefs qui ont un ton plus fracassant de trouver une cible commune — le gouvernement fédéral — ce qui a sûrement facilité les discussions et réduit les tensions.
Cet article fait partie du dossier Élections 2019.
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