L’analyse des effets de la pandémie de COVID-19 sur les jeunes exige tout d’abord une compréhension approfondie de la nature de cette étape de la vie qui va de l’adolescence à l’âge adulte. Elle est caractérisée par différentes transitions, notamment la fin de la période de formation, l’entrée sur le marché du travail et le départ du foyer familial. Les jeunes sont plus touchés que leurs aînés par la conjoncture économique et les réorientations gouvernementales ; ils sont plus fragiles socialement et individuellement, et éprouvent souvent des problèmes de surendettement, de précarité d’emploi, d’instabilité sur le plan de l’hébergement, d’isolement et de santé mentale, entre autres. Ces difficultés sont exacerbées chez ceux qui ont un accès limité à des ressources matérielles, familiales, relationnelles et scolaires. C’est à la lumière de ces caractéristiques propres à la jeunesse qu’il faut analyser l’impact d’événements exceptionnels comme la pandémie et les mesures qui en ont résulté.

Les effets socioéconomiques sur l’ensemble des jeunes

Dès le début de la pandémie, alors qu’ils étaient moins touchés par le coronavirus, les jeunes ont subi de plein fouet les conséquences sociales et économiques du confinement, notamment dans l’emploi, l’éducation, les finances et la vie sociale.

Au Québec, le taux d’emploi au début de la pandémie a chuté radicalement pour tous les groupes d’âge par rapport à 2019, mais la baisse a été particulièrement marquée chez les jeunes. Selon nos analyses de l’Enquête sur la population active (EPA), le taux d’emploi en avril 2020 était de 38,8 % chez les 15-24 ans, de 69,5 % chez les 25-34 ans et de 74,3 % chez les 35-54 ans, ce qui représentait respectivement des baisses de 24,4, 15,3 et 10,1 points de pourcentage par rapport à février 2020. Les jeunes de 15 à 34 ans ont ainsi perdu 386 200 emplois depuis les premières mesures de confinement. Même si la situation de tous les groupes s’est améliorée en août, le taux d’emploi demeure inférieur à celui de l’année précédente, particulièrement chez les plus jeunes.

Du côté de la formation, notre analyse des données de l’Enquête sur les répercussions de la pandémie sur les étudiants du niveau postsecondaire de Statistique Canada a permis de constater que 80,1 % des étudiants québécois de moins de 35 ans affirment que leur scolarité, sous une forme ou une autre, a subi les contrecoups de la pandémie. Outre le fait que les cours se sont donnés partiellement ou entièrement en ligne pour presque tout le monde, 7,4 % de ces jeunes déclarent avoir été incapables de terminer certains cours, 23 % mentionnent qu’ils ont dû reporter ou annuler leur stage de travail et 6,3 % indiquent ne pas pouvoir obtenir leur diplôme comme prévu.

Aux problèmes d’emploi et d’éducation s’est ajoutée une importante insécurité financière pour les étudiants du niveau postsecondaire. Selon cette même enquête, près de la moitié des étudiants craignent d’épuiser leurs économies (49,2 %), et le tiers d’entre eux pensent ne pas pouvoir payer leur loyer (29,5 %), d’autres factures (31,2 %) ou leurs droits de scolarité (30,7 %). De même, 31,7 % redoutent une augmentation de leur dette d’études. Cette insécurité se manifeste aussi dans le pessimisme qu’expriment les étudiants quant à leur avenir : 47,6 % se disent préoccupés par les perspectives d’emploi à court terme, et le tiers (33,6 %) appréhendent une dévaluation de leur diplôme en raison de la pandémie.

Par ailleurs, selon la nouvelle série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes de Statistique Canada, tandis que les jeunes Québécois de 15 à 30 ans sont relativement peu nombreux (19,3 %) à être très ou extrêmement inquiets des répercussions de la COVID-19 sur leur santé personnelle, près de la moitié d’entre eux s’inquiètent du maintien des liens sociaux (47,4 %) et le tiers craignent une recrudescence des tensions familiales (33,8 %) et de la possibilité d’un désordre civil (34,5 %) dans la foulée du confinement.

L’augmentation des inégalités parmi les jeunes

La pandémie a par ailleurs eu des effets différents selon les catégories de jeunes. La mise sur pause d’une partie de l’économie a renforcé des inégalités sociales préexistantes, ce qui peut avoir des conséquences durables sur le parcours des jeunes si les gouvernements ne prennent pas les mesures adéquates pour les contrecarrer.

La chute du taux d’emploi a donc davantage touché les plus jeunes, soit ceux de 15 à 24 ans, mais aussi les jeunes femmes, chez qui on note des écarts de taux d’emploi importants par rapport à l’an dernier. Au Québec, le taux d’emploi des jeunes femmes de 15 à 34 ans a diminué de 20 points de pourcentage en avril par rapport à celui du même mois l’an dernier, glissant de 76,2 à 56,2 %. Durant la même période, celui des hommes n’a baissé que de 14,4 points de pourcentage, passant de 69,9 à 55,5 %.

Les pertes d’emploi ont été plus marquées chez les jeunes qui sont peu scolarisés : chez les détenteurs d’un DEP, d’un DEC ou d’un certificat universitaire âgés de 25 à 34 ans, le taux d’emploi était de 68,5 % en avril 2020, comparativement à 88,4 % en avril 2019 ; chez les non‑diplômés et les détenteurs d’un diplôme d’études secondaires, ce taux était plutôt de 55,4 % en 2020 et de 70,1 % en 2019. En revanche, les diplômés universitaires ont subi des baisses moindres : leur taux d’emploi était de 78,8 % en 2020, par rapport à 86,3 % en 2019. Ce sont les jeunes travailleurs faiblement rémunérés qui ont été les premiers à quitter leur emploi à l’annonce des mesures de confinement. De février à avril 2020, le nombre d’emplois à 14 dollars de l’heure ou moins qu’occupaient des jeunes de 15 à 34 ans a diminué de moitié (– 49 %), alors que le nombre d’emplois à 30 dollars de l’heure ou plus n’a baissé que de 13 %. Toujours selon nos analyses des données de l’Enquête sur la population active, les pertes d’emploi chez les jeunes travailleurs de 15 à 34 ans ont aussi été plus fortes dans le secteur privé, où l’on a enregistré une baisse de 22,3 % entre février et avril 2020, comparativement à 8,4 % dans le secteur public.

Les appréhensions quant aux effets de la pandémie sont aussi inégalement réparties. Parmi les étudiants du niveau postsecondaire de moins de 35 ans, ceux qui vivent seuls ou en colocation étaient beaucoup plus nombreux que ceux vivant avec leur famille à se dire très préoccupés par les conséquences de la pandémie sur leur capacité de payer le loyer (45,9 contre 21,6 %), l’augmentation de leurs dettes d’études (47,7 contre 25 %) et la perte de leurs économies (65,5 contre 42,7 %). Cette menace leur pèse et peut aussi remettre en question leur autonomie résidentielle, si importante lors du passage à l’âge adulte. Bien que la situation de l’emploi s’améliore de mois en mois depuis le début du déconfinement, des écarts entre les jeunes persistent, notamment selon le groupe d’âge, le sexe, le niveau de scolarité et la catégorie de travailleurs.

Quelles solutions face aux diverses situations ?

Nous devons réfléchir à des solutions et à des occasions sociales pour les jeunes à court, à moyen, et surtout, à long terme, car les conséquences de la pandémie risquent de perdurer. Dans une vision à long terme, les politiques publiques et les interventions auprès des jeunes doivent reposer sur une approche en fonction de leur parcours de vie. Autrement dit, les mesures pour contrecarrer les effets de la pandémie doivent être établies dans la durée et ajustées aux différentes situations que vivent les jeunes, qu’il s’agisse de chômage, d’emploi précaire, de surqualification, de formation, de bénévolat, de parentalité, etc. Ces mesures doivent permettre d’accompagner et de soutenir financièrement les jeunes durant les périodes de transition et de réorientation de leur parcours.

Dans le domaine de l’emploi, les mesures devront s’ouvrir sur des perspectives d’emploi intéressantes et de qualité, et comporter des améliorations sur le plan des conditions de travail, y compris les salaires. Il faudra aussi envisager des subventions salariales et des primes pour les entreprises qui embauchent des jeunes, notamment celles qui se préoccupent de la relève, qui œuvrent dans la transition écologique, l’économie sociale et solidaire, ou qui offrent des services essentiels et des services publics. Pour les jeunes qui se retrouvent au chômage, l’élargissement de l’assurance-emploi ― tel que promis dans le discours du Trône du 23 septembre ― leur permettrait d’y accéder plus facilement. Les gouvernements devraient aussi supprimer la disparité de traitement selon l’âge et mettre à jour les normes du travail du Canada (notamment la partie III du Code canadien du travail), afin de compenser le manque de protection des emplois atypiques, répandus chez les jeunes.

Quant au soutien à la formation des jeunes, il devrait également tenir compte de diverses situations. On doit toutefois entamer une réflexion fondamentale sur les conditions de financement des études des jeunes au Québec et au Canada, car les crises entraînent trop souvent des hausses des droits de scolarité et des dettes d’études, tandis que les bourses ne sont pas toujours indexées à l’inflation.

Les crises économiques montrent bien que les cadres de régulation des parcours qui visent l’intégration sociale, notamment les systèmes d’emploi et de formation, ne suffisent pas à réduire les inégalités. Outre les mesures d’aide et les indemnités ponctuelles, un débat social sur un soutien financier durable et universel ― un revenu minimal garanti ― s’impose. Un tel revenu est particulièrement pressant pour les générations qui éprouvent davantage de problèmes sur le plan de la précarité d’emploi, de l’incertitude sociale, économique et personnelle, et des difficultés d’accès à la propriété.

L’urgence des premiers mois de la pandémie étant passée, il est maintenant temps que les gouvernements priorisent la consultation démocratique et l’implication citoyenne dans le choix des mesures à adopter. La relance peut alors devenir l’occasion d’entamer un dialogue intergénérationnel qui permette de faire des choix de société essentiels sur la place des jeunes dans un projet de développement durable, sur les conditions de démocratisation d’une formation de qualité accessible à tous et sur la relève économique lors de la relance et de la transformation du marché du travail.

Cet article fait partie du dossier Combattre les inégalités pendant la reprise post-pandémie.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
María Eugenia Longo
María Eugenia Longo est professeure à l’Institut national de la recherche scientifique. Elle est titulaire du volet Emploi et entrepreneuriat de la Chaire-réseau de la recherche sur la jeunesse du Québec.
Sylvain Bourdon
Sylvain Bourdon est professeur au Département d’orientation professionnelle de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Il est titulaire du volet Éducation, citoyenneté et culture de la Chaire-réseau de la recherche sur la jeunesse du Québec.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License

More like this