Cet essai est adapté de la conclusion du livre Valley of the Birdtail : An Indian Reserve, a White town and the Road to Reconciliation (HarperCollins, 2022). Douglas Sanderson a présenté le discours principal du gala du 50e anniversaire de l’IRPP le 23 novembre en s’inspirant de cet ouvrage.

Il suffit parfois d’un événement dramatique pour jeter une lumière crue sur la relation trouble entre les peuples autochtones et le reste des Canadiens. Comme le meurtre de cette jeune Autochtone, violée et jetée du haut d’un pont, après avoir été abandonnée dans un motel alors qu’elle était censée être sous protection. Ou comme ce fermier qui abat un jeune Autochtone en croyant que celui-ci voulait le voler alors qu’il venait demander de l’aide pour une crevaison. Ou le traitement réservé à Joyce Echaquan par les employées de l’hôpital de Joliette alors qu’elle agonisait. Ou cette horrible rumeur, qui circulait depuis longtemps, de tombes anonymes de centaines d’enfants décédés dans des circonstances troubles et ensevelis depuis longtemps sous les broussailles. Mais chaque fois, une nouvelle manchette vient nous distraire et nous soulage de l’intolérable, jusqu’à ce que l’indignation le cède à l’indifférence. 

C’est comme si rien ne changeait, et ne changera jamais. Les Premières Nations restent pauvres, la Loi sur les Indiens est toujours en vigueur et la violence déteint sur la vie de tous les Autochtones. 

En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones décrivait le Canada comme « le terrain d’essai d’une noble idée – l’idée selon laquelle des peuples différents peuvent partager des terres, des ressources, des pouvoirs et des rêves tout en respectant leurs différences. L’histoire du Canada est celle de beaucoup de ces peuples qui, après bien des tentatives et des échecs, s’efforcent encore de vivre côte à côte dans la paix et l’harmonie. » 

Devant les échecs répétés, peut-être est-il temps de tenter une approche différente sur de nouvelles bases. 

Les inégalités actuelles entre peuples autochtones et les descendants des colons européens découlent inévitablement de l’insouciance des gouvernements, de toutes allégeances, envers les besoins des Autochtones. C’est la racine du problème, celle que nous devons arracher. 

Repenser les lois et la fiscalité 

Pour réussir ce changement capital, il faut repenser deux mécanismes fondamentaux du gouvernement. Le premier est le pouvoir législatif. Qui a le droit de faire quels types de lois, et où ? Le second est le financement. D’où vient l’argent pour les routes, les juges, les écoles et les infirmières ? 

Les gouvernements des Premières Nations, notamment les conseils de bande, n’ont qu’un pouvoir limité. Mais même s’ils avaient tout le pouvoir légal voulu, l’argent manquerait toujours, tant pour les policiers, les enseignants et les infirmières, que pour financer et contrôler les industries minières, forestières et autres. 

Les gouvernements taxent et récoltent des fonds, mais les Premières Nations sont hors-jeu parce que les trois paliers – fédéral, provincial et, dans une moindre mesure, municipal – accaparent la quasi-totalité du pouvoir d’imposition. Les Premières Nations peuvent certes percevoir des taxes de vente et foncières sur les réserves, mais leur économie est si réduite que l’assiette fiscale est quasi nulle.  

La fiscalité est le poumon de la gouvernance. Sans capacité de recueillir des fonds, les communautés autochtones n’auront jamais les moyens de leurs propres objectifs. Au lieu de quoi, les bandes indiennes (comme les appelle encore officiellement la loi fédérale) épongent leurs dépenses avec des fonds provenant d’une seule source ou presque : le gouvernement fédéral. 

Accorder aux Premières Nations une assiette fiscale adéquate serait un premier pas vers une gouvernance locale efficace et réellement autonome. 

Valley of the Birdtail: An Indian Reserve, a White Town and the Road to Reconciliation.

Pour mieux comprendre cette notion, considérons le cas des 43 communautés autochtones du nord de l’Ontario. De quels types de ressources et de pouvoirs gouvernementaux auraient-elles besoin pour se gouverner elles-mêmes ?  

Tout d’abord, elles devraient exercer leur compétence sur un territoire beaucoup plus vaste que celui des réserves – pour englober les étendues immenses des terres de la Couronne dans les régions nordiques. Grâce à cette nouvelle assise, les communautés disposeraient de suffisamment de territoire pour en extraire et vendre les ressources, ou taxer les tiers réalisant cette tâche. Elles y gagneraient l’assiette fiscale permettant d’accomplir ce que peut habituellement faire tout gouvernement local normal : gérer ses écoles et son système judiciaire, fournir de l’eau potable, réparer les routes, assurer un service d’incendie, fournir des services de santé, et ainsi de suite. 

L’arbre fiscal qui cache la forêt

Les terres du Nord sont riches. En 2020, le gouvernement de l’Ontario a perçu environ 279 millions de dollars de revenus provenant des droits forestiers. Ces terres se trouvent être les territoires traditionnels des Cris et des Ojibwés, qui en ont tiré leur subsistance pendant des millénaires – et qui devraient encore pouvoir le faire. 

Si les communautés autochtones du nord de l’Ontario obtenaient cette capacité fiscale, il leur serait possible d’éliminer leur dépendance aux fonds fédéraux. Certains pourraient arguer qu’il serait injuste de pousser ainsi les communautés autochtones à exploiter un territoire qui est le leur. Mais c’est pourtant ce que font tous les gouvernements : ils taxent les activités d’extraction (forêts, mines, droits d’eau) et les revenus des entreprises et des particuliers, puis dépensent cet argent pour les citoyens et les infrastructures communautaires (écoles, police, hôpitaux). Il devrait en être de même pour les gouvernements autochtones, auxquels il appartiendrait alors de faire les arbitrages quant à la meilleure façon d’exploiter ce qui est à eux. 

Ces communautés auraient certes besoin de coopérer à travers des sortes de confédérations capables de créer une forme de gouvernance viable sur des questions souvent complexes. Et c’est ainsi que de tels gouvernements seraient en mesure d’utiliser les terres pour, par exemple, le bien-être des enfants autochtones – une priorité longtemps négligée par le gouvernement fédéral. 

Toutefois, une telle solution aurait un prix. Pour l’Ontario, ce scénario produirait un manque à gagner égal aux gains fiscaux des Autochtones concernés. Et cette perte de revenus se ferait sentir. 

Nous devons accepter que la réconciliation entre peuples autochtones et allochtones implique de redistribuer différemment les richesses et les mécanismes de gouvernance. Mais évidemment, un tel plan suppose que les provinces se départissent de leurs riches régions-ressources. 

Une nouvelle péréquation

Et même pour des dirigeants provinciaux et une population ouverte à la réconciliation, cela suppose de renoncer à des milliards de dollars de recettes fiscales annuelles. Or, pour s’épanouir et investir dans leur avenir, les peuples autochtones doivent obtenir une base fiscale fondée sur un territoire suffisamment grand et riche. Et ce territoire devra bien venir de quelque part. 

Pour les Autochtones, un tel transfert de compétences est perçu comme la réparation d’un tort historique envers les premiers peuples. Et inversement, il est probable sinon certain que les populations non autochtones y voient une injustice. 

Pour résoudre ce dilemme, il faut comprendre que ce problème de répartition concerne avant tout un problème de compétence non pas de propriété sur la terre à proprement parler. Les Torontois ou les Vancouvérois se soucieraient-ils de savoir qui gouverne les territoires nordiques de leur province si ça ne fait aucune différence dans les services gouvernementaux ou le taux d’imposition ? Bien sûr que non. Donc, la question n’est pas de savoir qui gouverne, mais qui en profite. 

* * * 

La richesse du Canada n’est pas répartie également entre les provinces et territoires. Elle varie selon la densité de la population et les ressources naturelles en présence, dont la valeur fluctue, par exemple, au gré des stocks de poisson ou du prix du pétrole. 

Or, le fédéralisme canadien se caractérise par son principe de redistribution : chaque citoyen, peu importe où il vit, doit recevoir des services gouvernementaux d’une qualité semblable. Et le Canada respecte largement cet engagement… sauf dans les réserves. La garantie de services provinciaux relativement égaux est fondée sur le programme de péréquation, qui jouit d’un large soutien de la part des Canadiens. 

C’est grâce à cette formule que le gouvernement fédéral aplanit les disparités régionales en répartissant les recettes fédérales entre les provinces. (En 2019-20, par exemple, le Manitoba a reçu une infusion de 2,25 milliards de dollars.) Que vous viviez au Manitoba, à Terre-Neuve ou au Québec, la péréquation vous permet de bénéficier d’une scolarité et de soins médicaux de qualité comparable. Sans la péréquation, les plus petites provinces pauvres en ressources, comme l’Île-du-Prince-Édouard, ne disposeraient pas des recettes fiscales leur permettant d’offrir des services similaires à ceux de la riche Alberta pétrolière. Pourtant, personne ne se demande si les Prince-Édouardiens méritent d’avoir des écoles décentes. 

Guide réaliste pour améliorer le statut des langues autochtones 

La péréquation permet d’équilibrer les inégalités provinciales et régionales. Pourtant, les communautés autochtones ne font pas partie de ce calcul, ni comme contributrices ni comme bénéficiaires. Mais imaginez si ce principe fondamental d’égalité était étendu pour les inclure. 

En vertu de la proposition que nous présentons ici, le pouvoir de taxer l’extraction des ressources permettrait aux communautés autochtones du nord de l’Ontario de profiter d’un revenu d’un milliard de dollars par an – le même milliard qui aurait servi à financer les hôpitaux, la police ou les écoles de Toronto, Windsor, etc. Ces Premières Nations auraient alors les moyens de fournir un niveau de service décent à leurs citoyens. Mais comme il en coûterait certainement beaucoup moins qu’un milliard, on pourrait alors imaginer une formule de péréquation qui redistribuerait la différence vers le gouvernement ontarien, ce qui comblerait alors le manque à gagner provincial. 

Ce que nous proposons ici expose clairement la logique du système actuel où, depuis 150 ans, c’est le Nord qui subventionne le mode de vie des citoyens du Sud. Dans ce nouveau système, le pouvoir de gouverner et de taxer les ressources extraites du territoire appartiendrait aux Premières Nations, qui signeraient les chèques finançant leurs voisins. 

Mis à l’écart et disposant de peu de ressources, les peuples autochtones souffrent depuis longtemps d’iniquités qui les maintiennent dans une pauvreté abjecte. Privées de capacité fiscale, les Premières Nations ont été laissées à la merci du gouvernement fédéral. 

Bien des Canadiens redoutent la création d’un quatrième palier de gouvernement, celui de gouvernements autochtones. D’autres le jugent non viable. Mais notre proposition n’invente rien : elle se fonde sur des principes en application au Canada depuis longtemps. En élargissant aux communautés autochtones le système de transfert d’impôt de la péréquation, les Premières Nations entreraient enfin dans la Confédération sur le même pied que tous. 

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Douglas Sanderson
Douglas Sanderson (Amo Binashii) est titulaire de la Chaire Prichard-Wilson en droit et en politique publique à la faculté de droit de l’Université de Toronto et a été conseiller principal en matière de politique auprès du Procureur général et du ministre des Affaires autochtones de l’Ontario. Il est le co-auteur de Valley of the Birdtail : An Indian Reserve, a White Town, and the Road to Reconciliation (HarperCollins, 2022). Il est un Maskegon du Clan du Castor de la Nation crie Opaskwayak.
Andrew Stobo Sniderman
Andrew Stobo Sniderman est écrivain, avocat et boursier Rhodes à Montréal. Il a plaidé devant la Cour suprême du Canada et conseillé le ministre des Affaires étrangères en matière de droits de la personne. Il est le coauteur de Valley of the Birdtail: An Indian Reserve, a White Town, and the Road to Reconciliation (HarperCollins, 2022). 

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