Cette semaine se tiendront à la Commission des relations avec les citoyens des consultations particulières et des auditions publiques sur le projet de loi 70, qui a été présenté par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette. Ce projet de loi vise à « protéger les personnes contre les thérapies de conversion dispensées pour changer leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leur expression de genre ». Il sera désormais interdit, sous peine d’amende, de conclure des contrats proposant de telles thérapies, celles-ci étant considérées comme contraires à la déontologie professionnelle.

Il faut certes saluer l’initiative du gouvernement du Québec de prohiber des pratiques qui s’attaquent au bien-être et à la dignité des personnes LGBTQ+ de la province. Ces thérapies sont incompatibles avec la science et n’ont pas de place dans une société libre et égale comme la nôtre. Toutefois, à notre avis, ce projet de loi ne va pas assez loin.

Dans la note explicative introduisant le projet de loi, il est écrit que celui-ci « établit que toute thérapie de conversion est présumée porter atteinte au droit à l’intégrité et à la dignité de la personne ». Le projet de loi se base donc sur une présomption d’atteinte à la dignité plutôt qu’une réelle atteinte, se référant à des « faits présumés » plutôt qu’à des « faits réputés » (voir le Code civil). Des « faits réputés » n’auraient plus besoin de preuves, et la loi reconnaîtrait que toutes les thérapies de conversion sont des atteintes à la dignité. Une terminologie qu’il faudra donc revoir.

Plus fondamentale encore est la question du principe qui sous-tend la loi. Celle-ci présume que le simple fait de prohiber une pratique suffit pour la faire cesser. Le projet de loi est donc très court. Or des lois similaires adoptées dans d’autres provinces et certains États américains montrent plutôt que la prohibition ne suffit pas pour faire cesser les thérapies de conversion.

Pour décourager une pratique, il faut savoir si un acte est réellement prohibé. Mais le manque de précision de la loi contribue à une culture d’impunité. Les personnes qui offrent des thérapies ayant trait à l’identité de genre misent souvent sur leur éloquence pour convaincre leurs vis-à-vis que leurs pratiques sont morales et qu’il ne s’agit pas réellement de thérapies de conversion. En proposant un projet de loi qui décrit en détail les différentes formes de thérapies de conversion, le gouvernement donnerait aux communautés LGBTQ+ les armes dont elles ont besoin pour se défendre contre certaines pratiques, et montrerait l’exemple. La loi devrait clarifier, entre autres, si les pratiques psychothérapeutiques et béhavioristes visant à éviter que des garçons et des filles grandissent comme enfants trans sont prohibées — ce qui devrait être le cas. De même, elle devrait reconnaître que les psychothérapies cherchant à décourager les personnes trans de s’affirmer dans leur genre, d’entamer la transition de genre ou d’avoir des comportements sexuels avec une personne de même sexe sont des thérapies de conversion, et ce, même si la personne qui les propose affirme ne viser que les comportements et non pas l’identité ou l’orientation sexuelle.

En proposant un projet de loi qui décrit en détail les différentes formes de thérapies de conversion, le gouvernement donnerait aux communautés LGBTQ+ les armes dont elles ont besoin pour se défendre contre certaines pratiques.

Il est aussi essentiel de s’interroger sur la manière dont les politiques et les institutions publiques au Québec contribuent à la présence de thérapies de conversion. Plusieurs personnes trans se retrouvent soumises à des thérapies de conversion à cause du manque de prise en charge par le système public. Dans le système public, il est difficile sinon impossible pour elles d’obtenir des lettres de professionnels qui permettent d’accéder aux chirurgies de transition et à l’hormonothérapie. Peu de professionnels du système public ont reçu la formation requise en santé trans, et il semble même que des personnes qui voudraient s’y spécialiser soient dissuadées de le faire. Certains services sont encore plus difficiles d’accès en région, que ce soit par manque de formation, de ressources ou d’absence de politique. Cette situation amène plusieurs personnes qui souhaitent entamer une transition médicale à se tourner vers le système privé, où il arrive fréquemment que des spécialistes proposant cette transition exigent qu’elles se soumettent d’abord à quelques années de thérapies de conversion. En assurant la pleine prise en charge des personnes trans dans le système public au moyen d’une politique claire sur le niveau de service à leur offrir, notamment en ce qui concerne les lettres de professionnels, cette porte aux injustices se fermerait.

D’autres changements de politique sont nécessaires pour faire cesser les thérapies de conversion. Ainsi, le système de protection de la jeunesse devrait informer les familles sur les dangers de certaines thérapies proposées qui sont en fait des thérapies de conversion, et sur les bienfaits d’un soutien de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et de l’expression de genre de l’enfant. Il devrait aussi assister les parents lorsque des personnes offrant des thérapies de conversion ne leur ont pas fourni des renseignements sur la nature et les conséquences de leurs pratiques. De plus, il faudrait assurer une aide particulière aux jeunes LGBTQ+ dans les centres d’accueil.

Il est aussi nécessaire que le gouvernement finance des soins en santé mentale accessibles aux personnes ayant vécu des thérapies de conversion et adaptés à elles. Par ailleurs, l’éducation sur les thérapies de conversion et la santé LGBTQ+ devrait faire partie des exigences pour obtenir un permis d’exercer dans des domaines comme la médecine, le travail social, la psychothérapie et la psychologie. Il serait aussi important que l’aide juridique prenne en charge les poursuites contre les personnes dispensant des thérapies de conversion, compte tenu de la pauvreté dans les communautés LGBTQ+.

En résumé, plusieurs voies sont à considérer pour amender le projet de loi actuel. J’ose espérer que celui-ci ne sera pas une offre à prendre ou à laisser, mais bien une invitation au dialogue entre le gouvernement et les communautés concernées. Si son but est de décourager les thérapies de conversion à travers le Québec et de proposer des pratiques exemplaires à ce sujet, j’invite le gouvernement à travailler avec des experts communautaires et scientifiques pour l’améliorer son projet de loi afin d’assurer le bien-être et la dignité des personnes LGBTQ+ du Québec.

Photo : Shutterstock / itakdalee

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Florence Ashley
Florence Ashley est juriste et bioéthicienne transféminine. Ille étudie au doctorat en droit et bioéthique à la Faculté de droit de l’Université de Toronto et publiera sous peu un livre sur les thérapies de conversion. Ses travaux portent notamment sur le droit des personnes trans, leur santé et leur accès aux soins. On peut suivre sur compte Twitter à @ButNotTheCity.

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