Cet article a été traduit de l’anglais.

Malgré un taux de mortalité inférieur à celui de la plupart des pays du G7, le Canada risque de se retrouver avec 20 000 cas de COVID-19 par jour, touchant tous les groupes d’âge, si on maintient le nombre de contacts quotidiens. Des voix s’élèvent donc demandant que le  gouvernement fédéral oblige les provinces à adopter des mesures plus sévères en réponse à la pandémie. On pense qu’un contrôle fédéral plus étroit aiderait à endiguer la deuxième vague.

Ces interventionnistes avancent que des directives claires et systématiques à l’échelle nationale devraient remplacer l’actuel bouquet hétéroclite de politiques provinciales. Le gouvernement fédéral pourrait ainsi rendre plus claires les différentes mesures de confinement pour les citoyens et les agences de santé publique à travers le pays.

Certains considèrent donc que le caractère décentralisé du pays pose problème, alors que d’autres y voient un atout important. Ces derniers soulignent qu’une approche pancanadienne ne porterait pas suffisamment attention à la situation sur le terrain. Le fédéralisme permet à chaque province d’adopter des politiques qui tiennent compte de son environnement particulier.

Mais dans les faits, est-ce bien ce qui s’est passé dans les provinces ?

Depuis le mois de mars, le Centre d’excellence sur la fédération canadienne suit de près les différentes mesures adoptées par les provinces en réponse à la pandémie, dans le but de mesurer et de comparer la sévérité des mesures. Nos données montrent que bien que la pandémie de COVID-19 soit planétaire, les variations dans les mesures provinciales font en sorte qu’elle est vécue différemment selon l’endroit où une personne habite.

L’index de sévérité des mesures

Afin de mesurer les restrictions liées à la santé publique, nous avons suivi la méthode mise au point par l’équipe de l’Université Oxford, appelée COVID-19 Government Response Tracker, qui retrace les différentes mesures instaurées par les pays depuis le début de la pandémie. Nous avons donc adapté cette approche aux provinces canadiennes.

Le tableau ci-dessous décrit les restrictions dont nous avons tenu compte et la façon dont elles ont été codées. Pour chaque mesure, nous considérons aussi si elle s’applique à l’échelle de la province ou seulement à certains endroits. En suivant la méthode de l’équipe d’Oxford, nous aboutissons à un index de sévérité fondé sur huit mesures.

Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des mesures de santé publique mises en place, nous croyons tout de même que ces huit mesures brossent un portrait exact de la sévérité relative des mesures au pays. La figure 1 montre l’évolution de la sévérité des mesures du 18 au 25 novembre pour chaque province par rapport au nombre de cas moyen de COVID-19 (cas par 100 000 habitants).

Il est à noter que notre analyse est purement descriptive et n’établit pas de lien de causalité entre le nombre de cas et la sévérité des mesures. Certains provinces et territoires ont décidé de maintenir des mesures de sévérité moyenne sans qu’il y ait un grand nombre de cas par personne. C’est le cas de la plupart des provinces maritimes.

D’autres provinces ont plutôt opté pour une approche moins sévère malgré un nombre de cas relativement élevé (l’Alberta et la Saskatchewan par exemple). Jusqu’à la mi-novembre, le Nunavut et le Manitoba faisaient aussi partie de ce groupe, mais ils ont élargi considérablement leurs mesures de confinement alors que les cas augmentaient massivement.

Pour certains, la figure 1 montre clairement pourquoi le gouvernement fédéral devrait jouer un plus grand rôle en ce qui a trait aux mesures de santé publique et pourquoi il devrait obliger des provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan de renforcer leurs mesures. Celles-ci devraient être d’une sévérité comparable aux autres provinces ayant un nombre de cas par personne semblable.

Toutefois, il est important de noter que l’index offre un portrait partiel de la situation sur le terrain. Certaines provinces ont laissé le champ libre aux municipalités pour que celles-ci adoptent des mesures de santé publique plus sévères par le truchement de règlements municipaux. Le port du couvre-visage dans les lieux publics en est un exemple.

Alors que le Manitoba, l’Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse exigent le port du masque dans tous les espaces publics clos, l’Alberta et le Yukon ne le font pas. La Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard demandent le port du masque depuis une semaine à peine. Malgré cela, la majorité des Albertains se trouvent dans une situation fort similaire à celle que vivent les Québécois, car Calgary et Edmonton ont toutes deux rendu obligatoire le port du masque dans les espaces publics fermés.

C’est donc dire que même si certaines provinces ont mis en place des mesures moins sévères que d’autres, la plupart des citoyens des grandes villes canadiennes doivent vivre avec des restrictions similaires.

Des disparités régionales qui créent la confusion

Adapter la réponse à la pandémie au contexte local peut avoir certains effets négatifs. Depuis le printemps, plusieurs provinces ont adopté un système de zones régionales et y ont associé un code de couleur afin que les mesures tiennent compte de la situation particulière de chaque région. Toutefois, cette approche a créé de la confusion tant à l’intérieur des provinces qu’entre les provinces. Quand on regarde les zones les moins restrictives, les zones vertes, dans chaque province et compare les mesures qui s’y appliquent, on constate en effet qu’une telle approche peut générer de la confusion et servir d’argument à ceux qui souhaitent avoir des directives pancanadiennes.

Au Manitoba, pour qu’une région soit en zone verte (« risque limité »), un vaccin et un traitement efficace doivent exister. Dans une zone verte (« mesures préventives ») en Ontario, il faut tout de même porter un couvre-visage dans la plupart des espaces publics fermés et limiter les rassemblements à 100 personnes. Le Nouveau-Brunswick se trouvera en zone verte lorsqu’un vaccin sera accessible et que l’immunité collective sera atteinte, ou lorsqu’on connaîtra davantage sur la façon de protéger les citoyens contre le virus. Au Québec, dans les zones vertes (« palier 1 – vigilance »), les bars ne pourront accueillir que 50 % de leur clientèle, la danse y sera interdite et les rassemblements intérieurs seront limités à 10 personnes. À l’heure actuelle, aucune province n’a de zone verte ; autrement dit, le niveau de sévérité le plus bas n’existe pas.

Étant donné que les points de référence des provinces sont si différents, peut-on penser que des normes provenant d’Ottawa pourraient facilement remplacer celles défendues par les élus provinciaux ? Ce ne sera probablement pas le cas. À un moment ou l’autre, tous les dirigeants de la Santé publique et les élus provinciaux ont eu des problèmes à communiquer ces différentes mesures dans leur province même. Il est très difficile de croire que le gouvernement fédéral, en s’ingérant dans ces mesures, ferait autre chose que d’ajouter à la confusion.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’une plus grande coordination intergouvernementale visant à lancer un message plus clair et unifié soit impossible. L’exemple allemand peut l’illustrer. Les gouvernements fédéral et des Länder sont passés de la politique d’asymétrie qui avait caractérisé la réponse à la première vague à une approche plus coordonnée pour répondre de manière plus uniforme à la pandémie. Mais là encore, certaines variations demeurent. La nécessité de porter attention au contexte fera toujours en sorte que l’application d’une approche identique en tous points sera difficile.

Alors que les cas de COVID-19 de la deuxième vague continuent d’augmenter, les appels à un plus grand rôle du gouvernement fédéral semblent avoir du mérite. Mais en pratique, l’ingérence du fédéral dans les mesures de santé publique brouillerait la reddition de comptes, forcerait Ottawa à agir en dehors de son champ d’expertise habituel et offrirait donc peu de promesses de meilleurs résultats. L’aspect décentralisé de notre fédération et les normes actuelles de collaboration intergouvernementale résistent aussi à de tels changements.

Le fait que l’expérience vécue de la pandémie est avant tout locale devrait orienter notre réponse à cette pandémie. Avant la COVID-19, seulement 19 % des Canadiens souhaitaient que des provinces transfèrent plus de pouvoirs au gouvernement fédéral. La pandémie changera peut-être leur perception de la centralisation, mais le fait demeure que la réponse des provinces à la pandémie a été locale. Elle ne s’adapterait que très lentement à une approche menée par Ottawa. Plutôt que de faire fi des compétences provinciales, le gouvernement fédéral devrait travailler à l’intérieur du cadre existant en explorant d’autres avenues ― comme des transferts fiscaux conditionnels ― et en ouvrant un débat sur de possibles restrictions de voyage entre les provinces et les territoires.

Une séparation claire des pouvoirs et des responsabilités a marqué la réponse canadienne à la pandémie, mettant en lumière un aspect important, soit la reddition de comptes. Les Canadiens de toutes les provinces savent que c’est leur gouvernement provincial qui est responsable d’avoir renforcé (ou non) les mesures de santé publique. Au final, ce sont ces gouvernements qui devront faire face à la musique postpandémie.

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Charles Breton
Charles Breton est le directeur du Centre d’excellence sur la fédération canadienne à l’IRPP, et l'ancien directeur de la recherche à Vox Pop Labs. Il détient un doctorat en science politique de l’Université de la Colombie-Britannique.
Paisley Sim
Paisley Sim est chercheuse associée à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle a travaillé auprès de l’ancienne première ministre de l’Alberta Rachel Notley et comme conseillère spéciale du ministre de la Justice de l’Alberta. Elle détient une maîtrise en politiques publiques de l’Université McGill.

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