Dans une démocratie en santé, les médias jouent un rôle de garde-fou : ils exposent le favoritisme, forcent les politiciens à rendre des comptes et permettent au public de rester bien informé. Mais lorsqu’ils relaient sans recul des messages trompeurs, ils cessent d’être le contre-pouvoir attendu et parfois, bien malgré eux, deviennent complices de la désinformation.

Les exemples sont particulièrement nombreux depuis que Donald Trump est apparu dans le paysage politique. Un cas survenu peu après le début de son deuxième mandat illustre bien ce phénomène.

Dans un texte repris par La Presse et Le Journal de Montréal, le 5 mars 2025, l’Agence France Presse rapportait les propos de la porte-parole de la Maison-Blanche accusant les démocrates d’être le « parti de la démence et de la haine ». Ces propos faisaient suite au discours de Donald Trump le 4 mars 2025 au Congrès, alors que la plupart des démocrates avaient protesté en silence, refusant de se lever ou d’applaudir, ce qui, aux dires du président américain, avait été un « manque total de respect ».

Rapporter ou relayer : une ligne à tracer

Quel était l’intérêt public de rapporter de tels propos ? La question se pose d’autant plus lorsqu’on sait qu’ils proviennent d’une administration dont le président utilise l’insulte et l’injure au quotidien, épouse des discours extrêmes et pardonne des criminels violents. Ce genre de propos portent atteinte aux institutions démocratiques et mobilisent un espace qui pourrait être consacré à de véritables enjeux.

Imaginons un instant que, sur X (anciennement Twitter), l’influenceur masculiniste Andrew Tate accusait des organismes de protection contre le trafic humain de manquer de respect envers les femmes sur la base d’une anecdote non fondée. Pourrait-on accorder une quelconque crédibilité à ses accusations? Non. Mais la nouvelle ferait sans doute un « bon titre » et génèrerait des vues et des clics. En la relayant publiquement, les médias décupleraient sa visibilité. Elle serait vue par des millions de personnes qui, autrement, ne l’auraient peut-être jamais vue.

Évidemment, il est attendu que les propos du président américain, l’homme à la tête d’une puissance mondiale, soient surveillés. Mais où se trouve la ligne entre ce qui devrait être rapporté et ce qui ne devrait pas l’être, afin de ne pas contribuer à la désinformation ? Quand les messages trompeurs sont-ils d’intérêt public ? Le fait qu’ils proviennent de personnalités publiques ou politiques, à lui seul, n’est pas suffisant.

L’impact de la désinformation est décuplé

L’impact des médias traditionnels à cet effet n’est pas à négliger. Attention : il n’est pas question des balados qui, volontairement, offrent des tribunes à des négationnistes de la science et des promoteurs de théories du complot. Il est question ici des médias traditionnels qui, de bonne foi, rapportent des messages trompeurs, croyant qu’ils sont d’intérêt public, sans procéder d’abord à une vérification des faits. La visibilité des messages trompeurs est alors décuplée. Puis même lorsqu’ils font l’objet d’une vérification des faits, les messages trompeurs peuvent être dommageables.

En effet, lorsque des individus entendent ou lisent des messages (trompeurs), l’effort mental nécessaire pour les ignorer ou les écarter peut être plus important que l’effort nécessaire pour les adopter sur le champ. Le défi est d’autant plus important quand ces messages relèvent du sens commun, confirment des croyances, ou appellent à l’émotion. La vérification des faits, en revanche, peut impliquer des explications contre-intuitives et plus complexes.

Voilà qui, entre autres, explique pourquoi des chercheurs refusent les débats médiatiques avec des charlatans. D’une part, cela les met sur un même pied d’égalité. Les acteurs peu légitimes peuvent alors utiliser la présence de chercheurs à la même table comme argument d’autorité. D’autre part, les propos des charlatans sont généralement plus « sexy » que ceux des chercheurs qui, sans arrêt, les corrigent, les nuancent, et passent pour des rabat-joies.

Les médias doivent faire preuve de courage

Bien entendu, parfois, la distinction entre la vérité et le mensonge nécessite des nuances.

Par exemple, deux témoins peuvent rapporter différemment un même évènement. Leurs propos peuvent être honnêtes, mais contradictoires, chacun rapportant le même évènement selon son propre point de vue. Mais il en est autrement pour un politicien comme Donald Trump qui normalise le mensonge à l’échelle mondiale. Certes, la vérification des faits demeure importante, mais elle devient problématique si elle a l’effet contraire à celui recherché. Parfois, il vaudrait mieux simplement éviter de rapporter les messages trompeurs.

L’exercice demande du temps (et des ressources), ce qui, à l’heure de la tyrannie des vues et des clics, avantage les géants du Web au détriment des médias traditionnels. Mais, en ce moment de l’histoire où la politique américaine a une influence sur les orientations de nos gouvernements, les médias traditionnels ne devraient pas relayer sans recul, et amplifier les messages trompeurs d’un politicien qui domine déjà l’espace médiatique. Cela ne relèverait pas de la censure, mais d’un engagement à remplir leur rôle essentiel pour la démocratie : celui de ne pas contribuer à une vague de désinformation qui la met en péril.

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Vincent Denault
Vincent Denault est professeur adjoint à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Ses travaux portent entre autres sur la détection du mensonge et l’évaluation de la crédibilité.

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