À bien des égards, l’hydrogène est le carburant parfait : il brûle sans aucune émission de carbone et n’émet que de l’eau. Il est d’ailleurs utilisé comme matière première dans les industries pétrochimiques depuis des décennies. Cependant, à mesure que les industries énergivores s’orientent vers la décarbonisation, on le considère de plus en plus comme le carburant du futur, essentiel pour parvenir à des émissions nettes nulles d’ici 2050.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit en effet que la demande d’hydrogène sera multipliée par six par rapport au niveau actuel d’environ 90 millions de tonnes (Mt) par an, pour atteindre 10 % de la consommation globale d’énergie en 2050. Les analystes de Bloomberg sont encore plus enthousiastes : selon eux, l’hydrogène pourrait fournir près du quart de toute l’énergie produite en 2050, avec une production totale de 700 millions de tonnes par année.

Quoi qu’il en soit, le Canada est bien placé pour produire une grande partie de la future offre mondiale d’hydrogène. Et l’Alberta exerce de fortes pressions sur Ottawa pour qu’il soutienne le plan de la province visant à produire ce qu’elle appelle de l’« hydrogène propre ».

Mais il y a un hic. L’hydrogène albertain est loin d’être propre. Il est produit à partir du gaz naturel via un procédé appelé reformage du méthane à la vapeur (RMV), une réaction chimique qui produit cinq fois plus de dioxyde de carbone que d’hydrogène. Si l’on tient compte des fuites inévitables de méthane produites par l’extraction et le traitement du gaz naturel (environ 3,5 % du volume total en Alberta), le concept de production d’hydrogène « propre » à partir du gaz naturel semble de plus en plus douteux.

À l’échelle mondiale, les émissions de dioxyde de carbone provenant de la production d’hydrogène à l’aide du procédé RMV ont ainsi totalisé 900 Mt en 2020, soit plus que les émissions combinées de l’Indonésie et du Royaume-Uni.

Le pari risqué de l’Alberta

Pour compenser ces émissions de GES, l’Alberta mise sur la séquestration et le stockage du carbone. L’an dernier, Air Products Canada a annoncé qu’elle allait de l’avant avec un complexe de stockage du carbone et de production d’hydrogène d’une valeur de 1,3 milliard $ à Edmonton. L’entreprise se donne pour objectif de capter 95 % du carbone du gaz naturel utilisé dans la production d’hydrogène.

Or, les résultats obtenus jusqu’à maintenant ne sont pas convaincants. Un autre projet de production d’hydrogène et de captage du carbone Quest, déployé par Shell à l’usine de valorisation Scotford, à Edmonton, aurait réussi à capter et à stocker cinq millions de tonnes de carbone sur une période de cinq ans. Mais ce que Shell omet de mentionner, c’est que pendant la même période, les émissions de carbone ont été encore plus importantes, s’élevant à plus de sept millions de tonnes de GES.

En outre, des universitaires américains ont calculé en 2021 que lorsque toutes les fuites de méthane sont prises en compte dans une analyse du cycle de vie, l’hydrogène dit « bleu » – soit celui produit à l’aide du gaz naturel au moyen du procédé RMV avec captage et stockage du carbone – émet davantage de gaz à effet de serre que la combustion de gaz naturel sans aucune mesure d’atténuation (par exemple, pour le chauffage), soit environ 20 % de plus. Cela s’explique par le fait que les processus de captage du carbone et de séquestration en aval sont eux-mêmes très intensifs en énergie.

Si l’Alberta devient un leader mondial de la production d’hydrogène bleu, les émissions de la province – déjà les plus élevées au Canada – continueront donc d’augmenter. La feuille de route de l’Alberta sur l’hydrogène prévoit que la province exportera 10 millions de tonnes de son hydrogène propre par an d’ici 2050. Les émissions de gaz à effet de serre associées à la production d’hydrogène RMV et à la capture et à la séquestration du carbone sont estimées entre quatre et six tonnes d’équivalent dioxyde de carbone pour chaque tonne d’hydrogène produite. Ainsi, sur la base de ce scénario d’exportation de 10 millions de tonnes d’hydrogène, il pourrait y avoir 40 à 60 millions de tonnes supplémentaires d’émissions de GES par an. Ce n’est pas un scénario que le gouvernement fédéral devrait appuyer.

La séquestration du dioxyde de carbone dans le sous-sol est également une proposition à risque élevé. Sa capacité et son efficacité n’ont jamais été démontrées à l’échelle dont l’Alberta aura besoin si la production d’hydrogène bleu devait augmenter considérablement. On comprend pourquoi l’Alberta mise gros, et qu’elle cherche à protéger son industrie pétrolière et gazière, mais son pari est risqué.

La solution propre est dans l’eau

Le seul hydrogène véritablement propre est produit à partir de l’électrolyse de l’eau. Aussi appelé « hydrogène vert », il ne mérite cette appellation que si l’électricité qui alimente le processus provient de sources d’énergie sans carbone. L’électricité affectée à la production d’hydrogène « vert » doit donc émaner de sources renouvelables telles que l’énergie hydroélectrique, éolienne ou solaire.

Bien que les coûts soient en baisse, le coût de l’hydrogène vert est actuellement nettement plus élevé que celui de l’hydrogène bleu issu du procédé RMV avec capture et séquestration du carbone. Toutefois, le plan du ministère américain de l’Énergie pour l’hydrogène – qui fait partie de son initiative plus large Energy Earthshots – vise à faire baisser ce coût d’ici 2030, ce qui rendrait l’hydrogène vert compétitif.

La production d’hydrogène vert par électrolyse de l’eau en Alberta est impossible. Dans un avenir prévisible, la production d’électricité dans cette province sera principalement assurée par le gaz naturel. L’énergie renouvelable provenant de l’énergie solaire et de l’énergie éolienne pourrait apporter une petite contribution, mais compte tenu de la disponibilité du gaz naturel à faible coût et de l’influence des industries pétrolière et gazière sur la politique énergétique de l’Alberta, il est peu probable que la part de l’énergie renouvelable dans la production d’électricité augmente de façon substantielle.

L’Alberta se fait le chantre de la production d’hydrogène bleu parce qu’elle dispose d’un gaz naturel abondant et bon marché. Mais si le Canada veut réellement devenir un leader mondial de l’hydrogène propre, sa production doit être concentrée dans une région où il existe d’importantes ressources d’énergie renouvelable. Cet attribut essentiel se trouve dans l’est du pays, et non en Alberta.

Le Québec à la rescousse

L’est du Canada dispose d’énormes ressources en énergie hydroélectrique et éolienne. Bien que la consommation d’eau de l’hydrogène vert soit importante (il faut neuf tonnes d’eau pour produire une tonne d’hydrogène vert par électrolyse), il est peu probable que cela constitue une contrainte au Québec. Un faible prix de l’électricité est également essentiel pour réduire le coût de production de l’hydrogène vert, et l’hydroélectricité québécoise répond à ce critère. L’exportation d’hydrogène liquéfié nécessite également l’accès à des installations portuaires en eaux libres, dont l’Alberta ne dispose pas.

Le Québec va d’ailleurs déjà de l’avant. À la fin de 2020, Hydro-Québec a annoncé qu’elle fabriquerait de l’hydrogène dans une grande usine d’électrolyse à Varennes, à 24 kilomètres au nord-est de Montréal. L’installation aura une capacité de 88 mégawatts, ce qui en fera l’un des électrolyseurs les plus puissants au monde pour la production d’hydrogène vert.

Au bout du compte, les affinités entre l’hydrogène vert et les énergies renouvelables deviennent de plus en plus évidentes. En janvier 2021, l’Université du Texas à Austin a organisé une conférence sur les synergies potentielles entre l’hydrogène vert et les énergies renouvelables.

Le Texas souhaite ainsi créer une « cité de l’hydrogène » qui sera alimentée non pas par ses vastes réserves de pétrole et de gaz, mais par 60 GW d’énergie solaire et éolienne. Le centre d’hydrogène vert produira plus de 2,5 millions de tonnes d’hydrogène par an. En Europe, British Petroleum prévoit produire 250 MW d’hydrogène vert à Rotterdam, aux Pays-Bas, en profitant des parcs éoliens de la mer du Nord.

Le gouvernement canadien devrait se concentrer lui aussi sur l’hydrogène vert et miser sur les énormes ressources inexploitées d’énergie renouvelable du Québec et du Canada atlantique. En somme, Ottawa doit reconsidérer ses priorités. Subventionner l’industrie du gaz naturel en Alberta sous couvert de production d’hydrogène bleu ne devrait pas en faire partie. Misons plutôt sur le Québec et les provinces atlantiques.

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Martin Bush
Martin Bush, PhD, est un professeur d'ingénierie à la retraite et un gestionnaire de projets internationaux qui possède une vaste expérience des changements climatiques, de la gestion des ressources naturelles et des énergies renouvelables. Il est l'auteur de deux ouvrages sur les changements climatiques.

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