(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Nous assistons actuellement à un effort colossal pour lutter contre une pandémie mondiale dont nous ne connaissons pas encore l’étendue des pertes humaines et économiques. Les pouvoirs publics prennent des mesures sans précédent pour lutter contre la COVID-19. Le gouvernement fédéral a adopté des mesures pour aider la population et les entreprises : soutien du revenu et des salaires, prêts aux petites entreprises, reports d’impôt et d’autres paiements. Les provinces fournissent quant à elles un travail indispensable pour ce qui est des services de santé, du nombre de tests et de la fourniture d’équipement. Les municipalités offrent des services et coordonnent en grande partie les actions de première ligne, entre autres des services essentiels comme la sécurité publique municipale. Tous les gouvernements sont confrontés à une crise qui leur est propre : disparition de revenus provenant des taxes et de différents frais d’utilisation, et des coûts d’emprunt plus élevés qui se profilent à l’horizon.

Les préoccupations au sujet du fédéralisme fiscal canadien sont exprimées depuis longtemps par le Conseil de la fédération, qui représente les premiers ministres provinciaux, et par différents élus municipaux, ainsi que des économistes et des politologues. Mais la COVID-19 a révélé des fissures encore plus importantes au sein de notre système fédéral. Des gouvernements, qui ont des responsabilités essentielles, font face à des pressions budgétaires considérables, sans toutefois avoir les ressources fiscales pour lutter contre cette pandémie. Ce mauvais alignement des responsabilités en matière de revenus fiscaux et de dépenses publiques est particulièrement grave pour les municipalités.

Actuellement, la priorité absolue est de lutter contre cette pandémie et de commencer à remettre graduellement l’économie sur pied sans causer une seconde vague d’infection. Cependant, tôt ou tard, nous devrons nous tourner vers des enjeux fiscaux fondamentaux : combien cette lutte coûtera-t-elle, en fin de compte ? Qui paiera pour tout cela ? Et comment, à l’avenir, pouvons-nous distribuer les ressources fiscales au bon endroit et au bon moment ?

Normalement, les règles du fédéralisme fiscal canadien déterminent quel ordre de gouvernement paie la facture pour les dépenses publiques. Cependant, dans le contexte de la COVID-19, compte tenu des dépenses d’urgence et des pertes de revenus sans précédent, la capacité de payer sera une considération cruciale. Dans des moments comme celui-ci, la plus grande capacité fiscale du gouvernement fédéral en matière d’imposition et d’emprunt est appelée à la rescousse par nécessité, comme ce fut le cas pendant la Grande Dépression de 1929, la Seconde Guerre mondiale et la crise financière de 2008-2009. Mais cette situation est-elle viable ? Est-ce que les pouvoirs de taxation provinciaux et municipaux sont adéquats pour financer les dépenses dont ces ordres de gouvernement ont la responsabilité ? Peut-on réduire les pouvoirs de taxation et de dépense qui se recoupent ?

Les provinces, les territoires et les municipalités sont responsables de la prestation des principaux programmes de dépenses publiques du pays : la santé, l’éducation et les services sociaux ainsi qu’une grande partie des investissements dans les infrastructures publiques. Les pressions fiscales sur les provinces et les territoires augmentent en fonction de la hausse rapide des dépenses de santé. Les municipalités sont limitées dans leurs sources de revenu. Le gouvernement fédéral appuie les provinces qui ont moins de capacité fiscale grâce aux paiements de péréquation, mais que se passe-t-il lorsque les provinces qui n’en reçoivent pas font face à un effondrement économique et fiscal soudain ? Tout comme les dépenses publiques durant les deux grandes guerres eurent des répercussions à long terme sur les politiques fiscales tant fédérales que provinciales, la crise de COVID-19 aura des répercussions à court et à long terme sur le fédéralisme fiscal canadien.

En s’attaquant aux conséquences fiscales de cette crise sans précédent, les pouvoirs publics devront affronter deux types de déséquilibres. Premièrement, les déséquilibres fiscaux horizontaux sont créés par les inégalités économiques et fiscales régionales qui conditionnent la capacité fiscale de chaque gouvernement à offrir un niveau similaire de services publics à sa population sans la taxer de façon excessive. Au plan fédéral, le Programme de péréquation est le principal outil pour réduire les inégalités entre les capacités fiscales des provinces, mais de grandes différences dans la capacité de générer des revenus demeurent, et le programme est souvent critiqué pour son effet sur les décisions fiscales des provinces récipiendaires. Le Programme de stabilisation fiscale offre un soutien temporaire aux provinces confrontées à une baisse précipitée de leurs revenus, mais il n’offre pas un appui adéquat aux gouvernements qui ont subi un important choc économique.

Deuxièmement, les déséquilibres fiscaux verticaux découlent de la répartition des pouvoirs en vertu de la Constitution, selon laquelle le gouvernement fédéral a de loin la plus grande capacité fiscale, tandis que les provinces, les territoires et les municipalités s’occupent de plusieurs des principaux programmes de dépense au pays : la santé, l’éducation, les services sociaux et les grands programmes d’infrastructure. Les pressions fiscales sur les provinces et les territoires augmentent avec la hausse rapide des dépenses de santé dans un contexte de vieillissement de la population rendu particulièrement évident par la crise de COVID-19, qui met en lumière de grandes faiblesses, entre autres dans le secteur trop négligé des soins de longue durée. De plus, les demandes croissantes du public pour des programmes comme l’assurance-médicaments et un soutien accru aux personnes souffrant de maladie mentale ou recevant de l’aide sociale pourraient à l’avenir exacerber les difficultés fiscales provinciales. Quant aux municipalités, elles ont récemment demandé de 10 à 15 milliards de dollars de fonds d’urgence pour faire face à la crise actuelle.

L’attribution des ressources fiscales dans notre système fédéral décentralisé sera une question cruciale dans le contexte post-pandémie, et le temps est venu d’effectuer un examen approfondi et indépendant du fédéralisme fiscal canadien. Bien que le premier ministre fédéral, les premiers ministres provinciaux et territoriaux et les maires débattent déjà de la question épineuse et hautement politique de savoir qui assumera les coûts énormes de la pandémie actuelle, nous devons garder en tête l’avenir à moyen et à long terme de l’ensemble du fédéralisme fiscal canadien tout en plaçant l’intérêt public au premier plan. Pour ce faire, nous sommes déjà en train de contacter des partenaires éventuels pour mettre sur pied une commission indépendante non gouvernementale pour évaluer et repenser l’architecture du fédéralisme fiscal canadien dans le monde post-pandémie.

Ont aussi collaboré à cet article Charles Breton, directeur exécutif du Centre d’excellence sur la fédération canadienne de l’Institut de recherche en politiques publiques, et Colleen Collins, vice-présidente de la Canada West Foundation.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Un parc de North Vancouver, fermé en raison de la COVID-19. Shutterstock / Adam Melnyk

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Daniel Béland
Daniel Béland est directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill depuis janvier 2019 et professeur titulaire de science politique à l’Université McGill. De 2012 à 2018, il a été professeur à l’Université de la Saskatchewan où il détenait la Chaire de recherche du Canada en politiques publiques de la Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy. Ses recherches portent principalement sur les politiques sociales, la réforme des soins de santé et la relation entre politiques fiscales et développement de l’État-providence.
Bev Dahlby
Bev Dahlby est directeur de recherche émérite à la School of Public Policy de l’Université de Calgary.
Steve Orsini
Steve Orsini est membre émérite de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto. Ancien secrétaire du Conseil des ministres au gouvernement de l’Ontario, il a dirigé l’élaboration de la politique ontarienne sur la TVH et mené les négociations avec le gouvernement fédéral.

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