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Le gouvernement de la CAQ a déposé le premier budget de son second mandat.

Un budget est plus qu’un simple exercice comptable. C’est un document qui, à travers les choix de revenus et de dépenses du gouvernement, énonce une orientation économique et sociale pour les années à venir. C’est aussi révélateur de ce qui est important pour nos dirigeants, et ce qui ne l’est pas.

Si vous faites partie des Québécois malchanceux qui doivent payer le plein tarif pour une place en garderie ou en CHLSD, vous n’êtes pas dans les priorités du gouvernement. Oh, le gouvernement promet que ça va finir par s’arranger. Un jour. Mais il a décidé que baisser les impôts était plus urgent.

Donc, ces Québécois malchanceux vont continuer de payer le plein tarif pour leur place en CHSLD ou en garderie – en plus de celles d’autres Québécois à travers leurs impôts –, avec peu d’espoir d’en obtenir une pour eux-mêmes.

Bon appétit

La baisse décrétée par la CAQ représente 8 $ par semaine pour un Québécois gagnant 60 000 $ par an. L’équivalent d’un trio Big Mac. Si vous avez des coupons.

Ceux qui gagnent 100 000 $ et plus vont épargner 16 $ chaque semaine. Ou deux trios, avec un coupon.

Le revenu médian des Québécois est d’environ 40 000 $, selon les estimations les plus récentes. Ceux-là vont pouvoir épargner 4 $ par semaine. À peine assez pour un Joyeux Festin.

Ça semble peu, que vous le comptiez en burgers ou en cafés. Mais en multipliant par les quelque 4,6 millions de payeurs d’impôt que compte le Québec, le coût collectif est considérable : 1,7 milliard $ – bien assez pour que ces deux services essentiels deviennent véritablement universels.

Ce n’est pas le bon moment pour une baisse d’impôt

Il n’y a rien de mal en soi au principe d’une baisse d’impôts. Les Québécois en paient beaucoup, bien plus que la moyenne des pays développés, et plus que n’importe où ailleurs en Amérique du Nord. Il y a aussi des inconvénients à prélever des impôts trop élevés, notamment sur l’attractivité du travail. Sans compter que les plus riches trouvent souvent une façon d’y échapper.

Il est aussi plus facile de défendre des impôts élevés quand ils sont bien utilisés. Le palmarès mondial du bonheur l’illustre éloquemment. Les pays où les gens sont les plus heureux sont presque tous dans le nord de l’Europe, où les impôts sont aussi parmi les plus élevés des pays développés. Par contre, leurs services publics sont généralement à la hauteur des attentes des citoyens, qui ont une bonne opinion de leurs gouvernements.

Au Québec, on a le pire des deux mondes : des impôts très élevés, et des services publics dont l’accessibilité et la qualité sont assez variables, pour rester poli. Ça peut donner l’envie de prononcer des mots d’église quand on regarde notre talon de paie ou qu’on attend des heures à l’urgence.

Néanmoins, il y a de bons et de moins bons moments pour une baisse d’impôt. Une période qui coïncide avec la menace d’une récession et une explosion de la demande pour nos services publics n’est probablement pas un bon moment. Crime, même le Conseil du patronat a trouvé nécessaire de souligner que ce n’était pas le temps de baisser les impôts!

Un argument plus rationnel – quoique pessimiste – en faveur des baisses d’impôt est qu’étant donné la pénurie de main d’œuvre qui sévit au Québec, le gouvernement sera incapable de livrer les services, peu importe les sommes qu’il prend sur notre chèque de paie. Ce sera certainement un défi dans nos hôpitaux et nos écoles.

Des services universels… qui ne le sont pas vraiment

Le gouvernement aurait néanmoins pu faire une différence pour des dizaines de milliers de Québécois à très court terme, tout en rendant nos services publics plus équitables.

Les services de garde à l’enfance et les soins de longue durée subventionnés sont deux domaines ou des gouvernements successifs, bien avant la CAQ, ont fait le choix de ne fournir ces services qu’en partie. Pour les Québécois, y trouver une place s’apparente à une loterie. Ou, plus exactement, à un jeu de chaise musicale : tout le monde paie à travers ses impôts, mais il n’y a pas de place pour tout le monde. Ceux qui s’assoient par terre paient le plein tarif, qu’ils soient riches ou pauvres.

Des services de garde uniques, mais incomplets

Le Québec peut se vanter d’avoir mis en place un réseau de services de garde subventionné par l’État, un fait unique au Canada. Il s’agit d’une des rares politiques publiques qui se paie réellement d’elle-même, puisqu’elle permet aux femmes de rester sur le marché du travail au lieu d’interrompre leur carrière, avec les bénéfices que cela encourt (incluant, pour le gouvernement, l’impôt payé). Le taux d’emploi des femmes au Québec a suivi l’expansion des garderies subventionnées. Il demeure au-dessus de celui des autres provinces canadiennes, et même de la plupart des pays riches.

Mais 25 ans après leur mise en place, le réseau de garderies québécois reste incomplet. Parmi les premiers enfants des CPE, dont certains sont devenus parents à leur tour, plusieurs doivent se tourner vers des garderies privées non subventionnées pour faire garder leurs propres enfants, faute d’avoir trouvé une place subventionnée. Le gouvernement émet un crédit d’impôt pour ces frais, qui peuvent dépasser 50 $ par jour. Mais au final, le montant déboursé reste généralement plus élevé que dans une garderie subventionnée.

Des CHSLD à 10 000 $ par mois

Le Québec subventionne aussi les soins aux aînés en fin de vie. Encore ici, ces services essentiels ne sont pas universels.

Il y a environ 400 CHSLD au Québec, qui hébergent un peu plus de 40 000 aînés. Le ministère de la Santé en gère la grande majorité. Une soixantaine de CHSLD privés conventionnés sont gérés par des entrepreneurs qui reçoivent des fonds publics, facturent les mêmes loyers réduits qu’au public, et offrent les mêmes conditions de travail qu’au public. (Contrairement à des perceptions courantes, ces établissements offrent des soins comparables et même meilleurs qu’au public.)

Cependant, une quarantaine de CHSLD ne sont pas subventionnés. Les aînés malchanceux qui n’ont pas trouvé de place au public doivent y débourser jusqu’à 10 000 $ par mois. Soigner des aînés en fin de vie coûte très cher, et nos gouvernements – de toutes allégeances – ont été inexplicablement lents à subventionner cette dernière partie du réseau.

Le résultat final reste indéfendable : des dizaines de milliers de Québécois paient des impôts pour financer des services publics auxquels ils n’auront jamais accès. Ça dure depuis des décennies.

La volonté politique manque, pas l’argent

Pour ces deux services, le problème n’est pas un manque de main-d’œuvre – en tout cas, pas plus qu’ailleurs –, mais un manque de financement et, surtout, de volonté politique.

Sur les 290 000 places en garderie que compte le Québec, environ 66 000 sont offertes par le privé non subventionné. Toutes les convertir en places subventionnées ajouterait un coût d’environ 470 millions $ par an, selon les estimations du gouvernement (c’est peut-être optimiste).

Du côté des CHSLD, le « privé-privé » gère environ 6000 des 40 000 places que compte le réseau. Subventionner chacune de ces places coûterait environ 100 000 $ à l’État chaque année, soit 600 millions $ en tout.

En combinant les coûts respectifs pour compléter les deux réseaux, garderies et CHSLD subventionnés, et en se gardant une marge d’erreur, on reste bien à l’intérieur des 1,7 milliard $ en baisses d’impôt consenties cette année.

Les listes d’attente ne disparaîtront pas, parce que les besoins tendent à croître plus rapidement que les ressources, parce qu’on vit une pénurie de main-d’œuvre, et parce que d’autres incitations du marché de l’emploi sont mal alignées. Mais au moins, on atteindrait une certaine équité.

Et des services publics qu’on a toujours présentés comme étant « universels » le deviendraient, ou à tout le moins s’en rapprocheraient.

Présentement, le gouvernement s’est engagé à convertir 5000 places de garderies non subventionnées l’an prochain. Ça en laisse plus de 60 000 qui ne le seront pas. Quant aux 40 CHSLD privés non conventionnés, ça fait 20 ans qu’ils demandent de l’être. Le « processus d’harmonisation » mis en place dans la foulée du désastre du printemps 2020 a permis d’en convertir trois. On ne sent pas l’urgence.

Des familles ont besoin d’aide. Des aînés et leurs proches attendent qu’on s’occupe d’eux. L’équité devrait primer sur les nécessités bureaucratiques. On cochera les petites cases plus tard.

Les Québécois peuvent être fiers de profiter d’un filet social plus étendu que celui des autres Canadiens. Ils le seraient encore plus si le filet attrapait tout le monde, au lieu de laisser tomber les malchanceux.

Ça vaut sûrement un Big Mac par semaine.

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Patrick Déry
Patrick Déry est rédacteur adjoint à Options politiques, ainsi que chroniqueur et analyste de politiques publiques. Il s'intéresse notamment aux enjeux touchant la santé et les institutions démocratiques. On peut le suivre sur Twitter @patrickdery.

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