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Les Canadiens apprendront du budget fédéral quel ton et quelle orientation le gouvernement Trudeau donnera à l’économie du pays, à l’approche de sa huitième année au pouvoir. S’appuiera-t-il sur le budget précédent et sur l’énoncé économique de l’automne dernier pour faire avancer le Canada dans la voie d’une politique industrielle visant à suivre le rythme des États-Unis, ou pivotera-t-il dans une autre direction?

S’il semble que certaines choses évoluent régulièrement vers une nouvelle normalité postpandémique, les faillites bancaires, les discussions sur la récession, la prochaine phase de la COVID-19 et une possible élection laissent présager une certaine instabilité. Mais des forces bien plus profondes sont à l’œuvre.

Le Canada est confronté aux défis les plus profonds pour sa prospérité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les sources traditionnelles de croissance économique du pays – une population jeune et en croissance rapide, un secteur pétrolier et gazier en expansion, le commerce international – risquent de se tarir face à des forces et des tendances puissantes.

Quatre défis pour la croissance

La croissance future du Canada est confrontée à quatre grands problèmes qui, s’ils ne sont pas résolus par le gouvernement actuel, pourraient avoir des répercussions majeures sur la prospérité du pays. Il s’agit du vieillissement de la population, de la diminution des sources de croissance des exportations, de la dépendance à l’égard des États-Unis en tant que premier partenaire commercial et, enfin, des investissements publics en réponse à la volatilité du marché mondial. Ce n’est que si le Canada définit une politique industrielle de nouvelle génération qui va au-delà du simple soutien aux entreprises qu’il pourra s’attaquer au changement climatique et aux objectifs de sécurité nationale qui assureront sa stabilité économique.

Population vieillissante

La combinaison du ralentissement de la croissance de la productivité et du vieillissement de la population a mené à un déclin soutenu du taux de croissance de l’économie canadienne. La croissance réelle du PIB a en effet diminué de 50 % au cours des 15 années qui ont suivi la crise financière mondiale de 2008 par rapport aux 15 années qui ont précédé la crise, passant de 3 % à 1,5 % par an. L’un des principaux facteurs est l’augmentation du taux de dépendance résultant du vieillissement de la population : il y a tout simplement de moins en moins de travailleurs qui soutiennent financièrement de plus en plus de personnes âgées, et le système dans son ensemble.

Le Canada est déjà confronté à de graves pénuries en matière de soins de santé, de soins de longue durée et de logements abordables. Cette situation est appelée à s’aggraver. Le taux de dépendance – le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans par rapport aux personnes âgées de 16 à 64 ans – atteindra presque 52 % en 2022, alors qu’il n’était que de 44 % en 2008, le niveau le plus bas de toute l’après-guerre. Statistique Canada prévoit que ce taux continuera d’augmenter pour atteindre près de 60 % en 2030.

Une hausse de l’immigration sera certes utile, en particulier du nombre de migrants en âge de travailler, mais le Canada aura également besoin d’investissements substantiels dans l’innovation et l’adoption de nouvelles technologies pour améliorer la croissance de sa productivité.

Baisse de la croissance des exportations

Un deuxième facteur est la baisse du ratio exportations/PIB du Canada. Ce ratio est passé de 40 % en 2001 à un peu plus de 30 % aujourd’hui. Cette situation est préoccupante, car l’économie surdimensionnée du Canada par rapport à sa population s’explique en grande partie par le fait qu’une grande partie de son PIB est exportée sur le marché mondial.

L’environnement pour les échanges commerciaux va devenir de plus en plus difficile. Des pays représentant plus de 90 % du PIB mondial se sont engagés à atteindre un niveau d’émissions nettes nulles d’ici le milieu du siècle, tandis qu’on estime que 60 à 70 % des exportations canadiennes proviennent de secteurs vulnérables à la transition énergétique. Ces secteurs devront s’adapter, sous peine de décliner. Le pétrole et le gaz seront les plus exposés à long terme, mais d’autres clés (comme la construction automobile traditionnelle, le fer et l’acier, les produits chimiques) devront également faire face à une transformation profonde. Cette adaptation à un monde à faibles émissions de carbone devra avoir lieu en même temps que la pénétration de nouveaux marchés.

Il est tout aussi préoccupant de constater que le degré de sophistication de nos exportations n’a cessé de diminuer depuis vingt ans. Cette évolution s’est caractérisée par une baisse de la part des produits manufacturés (par exemple les bus et les moteurs à réaction) et une hausse de la part des produits primaires (comme le pétrole et le gaz) dans les exportations totales.

Cette situation est inquiétante, car l’industrie manufacturière et les exportations tendent à générer davantage de croissance, une productivité plus élevée et une plus grande prospérité à long terme que les industries extractives.

L’Observatoire de la complexité économique (OEC) du MIT suit l’évolution de l’intensité des connaissances dans les économies de différents pays. L’intensité de la connaissance est en corrélation avec l’industrie de pointe, la recherche et le développement (R et D) et une plus grande prospérité à long terme. Dans le classement des pays établi par l’OEC, le Canada est passé de la 18e place en 2000 à la 29e place en 2020, tout juste devant la Thaïlande, derrière le Mexique et la Pologne, et loin derrière la plupart des pays du G7 et la Corée du Sud. Ceci est cohérent avec le fait que les dépenses de R et D du Canada, en proportion du PIB, sont inférieures de moitié à celles des États-Unis, de l’Allemagne, du Japon ou de la Corée.

Dépendance aux États-Unis

Troisièmement, ce n’est pas seulement qu’un tiers du PIB du Canada est généré par les exportations, mais aussi que 75 à 80 % de nos exportations ne sont destinées qu’à un seul pays : les États-Unis. Jusqu’au début du siècle, cette situation était considérée comme un avantage explicite. Cependant, une série d’événements – du 11-Septembre et de la crise financière mondiale à la montée du trumpisme, puis de la fermeture des frontières pendant la COVID-19 aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement, en passant par l’inflation et les initiatives de type « Buy American » qui en ont résulté – ont mis en évidence notre vulnérabilité à la fois au cycle électoral américain et à l’ « épaississement » de la frontière entre le Canada et les États-Unis.

C’est ce dernier facteur qui a le plus contribué à la baisse de notre ratio exportations/PIB depuis 2001. Même si le président américain Joe Biden s’est fait rassurant en faisant valoir que son objectif est une prospérité partagée, la croissance des exportations canadiennes vers d’autres parties du monde améliorera la résilience de notre pays.

Investissements publics étrangers

Quatrièmement, d’autres pays, dont certains bien plus pesants que le Canada d’un point de vue économique, réalisent d’importants investissements publics pour consolider leur position dans une économie mondiale en mutation rapide. Les États-Unis, des membres de l’Union européenne, le Japon, la Corée et d’autres ont mis en place des politiques industrielles d’une grande ampleur, visant à accélérer la transition nette zéro, à relocaliser la fabrication de pointe, l’emploi et les chaînes d’approvisionnement essentielles, et à renforcer la sécurité nationale. Du point de vue canadien, la loi américaine sur la réduction de l’inflation (IRA), adoptée en août 2022, est de loin la plus importante.

L’IRA comprend près de 800 milliards $ en dépenses, crédits d’impôt et autres mesures visant à encourager les investissements privés dans des « projets d’énergie propre nouveaux et innovants et la décarbonisation de l’infrastructure énergétique existante ». Les Européens ont promis d’égaler (euro pour dollar) les dépenses américaines en matière de politique industrielle. Ensemble, ces pays dépensent des milliers de milliards de dollars pour garantir de nouvelles sources de croissance et de prospérité qui soient propres, de haute technologie et plus inclusives. Le Canada doit trouver des façons de rivaliser pour attirer les investissements en capital, les talents et les parts de marché dans cette course pour réussir l’économie de la prochaine génération.

Passer de réponses réactives à une approche proactive

Les politiques traditionnelles visant à stimuler la croissance économique, telles que la réduction de l’impôt sur les sociétés ou la diminution des formalités administratives, ne suffiront pas à répondre à l’ampleur, la portée et l’urgence des défis auxquels le Canada est confronté. Les gouvernements devront de plus en plus jouer un rôle dans l’accélération des investissements du secteur privé. Le Québec a été un leader dans l’élaboration d’une politique industrielle de nouvelle génération visant à stimuler les investissements dans les chaînes d’approvisionnement essentielles en minerais, en batteries et en véhicules électriques. Les gouvernements du Canada et de l’Ontario ont également joué un rôle actif en catalysant les investissements dans la fabrication de véhicules électriques et de batteries.

Le budget fédéral, puis l’énoncé économique de l’automne 2022 ont dévoilé et développé le Fonds de croissance du Canada, d’une valeur 15 milliards $, et la Société canadienne d’innovation, financée à hauteur de 2,6 milliards $. Tous deux ont pour objectif ultime d’aider à assurer la prospérité à long terme du Canada en stimulant l’investissement dans les industries et les technologies de l’avenir. Le budget 2023 promet d’élargir ces initiatives avec de nouvelles dépenses et de nouveaux crédits d’impôt.

Même si des appels continueront à être lancés au gouvernement pour qu’il comble les lacunes restantes à la suite du budget, le véritable objectif devra être une mise en œuvre réussie. Jusqu’à présent, les fonds publics ont été utilisés à la pièce pour attirer les investissements privés mondiaux lorsque des opportunités se présentaient, sans cadre transparent pour guider la prise de décision ou mesurer les réussites.

Le succès des politiques industrielles de prochaine génération dépendra essentiellement de leur conception, de leur gouvernance et de leur suivi. Il dépendra aussi de l’issue des négociations visant à créer des structures de gouvernance mondiale qui soutiennent les ambitions du Canada en matière d’exportation, avec les États-Unis et à l’international. Idéalement, la période post-budgétaire offrira au gouvernement fédéral l’occasion de passer de réponses essentiellement réactives à une approche proactive soutenue par une compréhension claire des forces et des tendances économiques du 21e siècle.

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Julian Karaguesian
Julian Karaguesian est un économiste que compte 30 années d’expérience en conseil et analyse politique auprès du gouvernement fédéral, principalement au ministère des Finances. Il a été notamment été conseiller aux ambassades du Canada à Berlin et Washington, et chef de la délégation du Canada au club de Paris. Julian enseigne aussi à temps partiel à l’Université McGill. Il est un ancien directeur de recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques.

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