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Au cours des premiers mois de l’année 2023, deux dirigeantes remarquables ont annoncé leur départ de la scène politique : les premières ministres néo-zélandaise et écossaise, Jacinda Ardern et Nicola Sturgeon. Les raisons de leur démission diffèrent, mais ces deux dirigeantes ont été confrontées au sexisme, aux menaces et au harcèlement, ce qui a probablement joué un rôle dans leur décision.

Ces départs nous rappellent que même lorsque les femmes gravissent les échelons les plus élevés du pouvoir, elles se heurtent à des obstacles liés à leur sexe qui les empêchent de pleinement remplir les fonctions qu’on attend d’elles en tant que représentantes de l’État.

La recherche a identifié les obstacles auxquels les femmes et les personnes racisées sont confrontées pour accéder aux fonctions politiques, notamment à travers les partis politiques, les systèmes électoraux et la couverture médiatique de leurs candidatures. L’avènement de Parlements plus équitables et inclusifs ne suppose pas que le recrutement d’un groupe plus diversifié d’aspirants politiques; elle signifie aussi qu’une fois élus, nos dirigeants (et leur personnel) seront assurés de bénéficier de milieux de travail sécuritaires.

Melanie Mark parle devant des microphones dans une salle élégante avec des plafonds à caissons et des arcades. Elle est entourée de sympathisants autochtones. Elle tient un tambour plat et large à la hanche et est vêtue d’une veste en cuir fauve avec des glands et des fleurs vertes, roses et rouges peintes sur les poignets, et d’une chemise noire. Elle porte un ornement en bronze sur une chaîne en perles autour du cou.
L’ex-ministre du Tourisme Melanie Mark annonce sa démission à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, à Victoria, le 22 février 2023. LA PRESSE CANADIENNE/Chad Hipolit

Pour des législatures plus inclusives

L’utilisation d’un cadre sensible au genre et d’une approche intersectionnelle nous donne certains des outils nécessaires pour créer des lieux de travail législatifs plus inclusifs. Dans sa recherche, Jeanette Ashe (qui cosigne ce texte) recommande que les réformes soient axées sur aspects dimensions : l’égalité de participation, l’infrastructure, la culture et la politique.

Les Parlements doivent d’abord donner plus de pouvoir à celles et ceux qui sont sous-représentés, afin de remédier à leur surreprésentation d’hommes blancs, hétérosexuels, cisgenres et âgés. De nouvelles façons de faire de la politique, qui remettent en question le colonialisme et les valeurs patriarcales – au lieu de les perpétuer – doivent être au cœur des discussions sur la réforme de nos institutions.

Récemment, le député conservateur Michael Chong a proposé trois réformes institutionnelles qui, si elles étaient mises en œuvre, élargiraient les possibilités de participation des députés aux débats et aux commissions. Il s’agit notamment de permettre au président de la Chambre de donner la parole à tout député qui se lève (plutôt que de laisser les partis contrôler les possibilités d’intervention) et de retirer au premier ministre le pouvoir de nommer les hauts fonctionnaires du Parlement, tels le greffier de la Chambre des communes, qui dispose d’un pouvoir considérable au sein de la Chambre, notamment quant à l’interprétation des règles, des précédents et des pratiques parlementaires.

M. Chong propose également que les présidents des comités parlementaires soient choisis par vote secret, ce qui réduirait l’influence du premier ministre et des chefs de parti sur le choix des personnes qui occupent ces fonctions. L’ensemble de ces réformes vise à rééquilibrer les rapports de force entre les chefs des partis et les députés d’arrière-ban, afin de rendre le Parlement plus imputable.

Mumilaaq Qaqqaq porte un masque noir. Ses cheveux sont rasés sur le côté et tressés serrés sur le reste de la tête. Elle porte un haut orange sans manches, avec des tatouages sur tout le bras droit. Elle semble sourire sous son masque.
La députée néo-démocrate Mumilaaq Qaqqaq passe devant l’édifice de l’Ouest de la Colline du Parlement lors d’un rassemblement visant à réclamer une enquête indépendante sur les crimes commis par le Canada contre les peuples autochtones, incluant ceux dans les pensionnats, à Ottawa, le 31 juillet 2021. LA PRESSE CANADIENNE/Justin Tang

L’application d’une approche genrée et intersectionnelle à ces idées soulève des questions sur les personnes qui en bénéficieraient le plus. La proposition de M. Chong selon laquelle les députés devraient chacun « attirer » l’attention du président pour participer aux débats pourrait, par exemple, renforcer les comportements agressifs et masculinisés décrits plus haut. Les députés qui ne sont pas en mesure de crier ou de gesticuler le plus fort dans le brouhaha de la chambre, y compris ceux qui vivent avec un handicap, pourraient être désavantagés.

Rien ne garantit non plus que la décentralisation de l’élection des présidents de commission au profit des députés améliorera la représentation et la participation des femmes dans les commissions, en particulier dans les commissions de haut niveau. Au contraire, si elle est laissée aux mains des députés, cette réforme pourrait entraîner une diminution de la représentation des femmes.

Des études menées au Royaume-Uni et au Canada suggèrent qu’une plus grande centralisation, sous la forme de quotas féminins, est nécessaire pour aider à rompre avec le statu quo historique de l’homme blanc au sein des comités parlementaires. Les nominations par le premier ministre de cabinets équilibrés et de femmes au Sénat ont créé des précédents pour les quotas informels de femmes dans l’exécutif et la chambre haute du Canada, la Chambre des communes étant aujourd’hui à la traîne en matière de représentativité.

Enfin, M. Chong suggère que l’élection des présidents conduira à une plus grande collégialité entre les députés, mais les députés masculins bénéficient déjà de manière disproportionnée des jeux de coulisses. Nous craignons que cette idée n’exacerbe la culture masculinisée des politiciens qui se bousculent pour obtenir des postes clés, laissant les autres se contenter d’observer la situation depuis les lignes de côté.

Le député conservateur Michael Chong se lève pendant la période des questions à la Chambre des communes, à Ottawa, le 7 mars 2023. THE CANADIAN PRESS/Justin Tang

Une façon de garantir une participation plus inclusive aux activités de la Chambre serait de confier au président la responsabilité formelle de superviser la mise en œuvre de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein de la Chambre. Par exemple, le président pourrait s’efforcer d’établir des quotas féminins pour les présidents de commissions et pour les membres des commissions les plus importantes.

L’infrastructure et le calendrier du Parlement ont également besoin d’être sensibilisés à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le partage des tâches et la fin des séances nocturnes seraient utiles, tandis qu’il conviendrait d’explorer une option hybride dans laquelle certains travaux parlementaires se dérouleraient virtuellement. Il serait également utile d’autoriser le vote par procuration pour les députés absents en raison de leurs responsabilités familiales.

Les choix du président

Le président lui-même a un rôle à jouer, en contribuant à faire respecter le décorum parlementaire. Les femmes politiques, en particulier celles qui sont racisées, ont signalé que le chahut au cours des débats était parfois axé sur leur sexe, leur race et leur apparence. Les propos et gestes sexistes, racistes et homophobes devraient être considérés explicitement comme non parlementaires dans le Règlement de la Chambre.

S’attaquer à la culture masculinisée du Parlement demande une approche ferme et une tolérance zéro à l’égard de la violence et du harcèlement fondés sur la race et le sexe. Malgré l’adoption en 2015 d’un code de conduite pour les députés sur le harcèlement sexuel et celle en 2021 d’une politique sur la prévention du harcèlement et de la violence, leur application n’est pas totalement indépendante, laissant les décisions quant aux sanctions entre les mains des élus. Au Royaume-Uni, un panel d’experts indépendants a été mis en place en 2020 pour déterminer les sanctions et les appels dans les cas d’intimidation, de harcèlement et d’inconduite sexuelle impliquant des députés. Bien que le processus britannique comporte son lot de problèmes, le Canada devrait s’intéresser de près à cette approche afin d’assurer un processus plus indépendant.

Enfin, l’objectif d’avoir un Parlement inclusif ne peut être atteint que si les décideurs embrassent un engagement de longue date en faveur de l’égalité des sexes. Un audit parlementaire sensible à la dimension de genre permettrait d’analyser régulièrement le travail du Parlement dans son ensemble, y compris la participation des membres aux débats, à la période de questions, aux travaux des commissions et à la sélection des rôles clés au sein du corps législatif, tel que les présidences de commissions.

En 1970, la Commission royale sur le statut de la femme au Canada a demandé que soit corrigé le « déséquilibre actuel entre la participation des femmes et celle des hommes à la vie publique ». Deux générations plus tard, de nombreuses législatures canadiennes n’ont toujours pas atteint le point d’équilibre, les femmes et les minorités demeurant sous-représentées en politique. Réformer le Parlement canadien pour attirer et retenir des dirigeants plus diversifiés enverrait un message fort au reste du pays et au monde entier : nos engagements en faveur de l’équité et de l’inclusion commencent chez nous, dès aujourd’hui.

Cet article fait partie du dossier spécial Pour un Meilleur Parlement.

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Tracey Raney
Tracey Raney est professeure au département de politique et d'administration publique de l'Université métropolitaine de Toronto. Ses recherches portent sur la politique canadienne et la violence liée au sexe en politique. Twitter @tracey_raney
Jeanette Ashe
Jeanette Ashe est titulaire d'un doctorat de l'université de Londres, enseigne la politique au Douglas College, en Colombie-Britannique, et est professeure invitée au Global Institute for Women's Leadership, au King's College. Ses recherches portent sur le recrutement politique et les Parlements ouverts au genre et à la diversité. Twitter @jeanetteashe

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