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Il aura fallu un peu plus de deux ans pour que le président américain, Joe Biden, vienne en visite officielle au Canada. Ce délai n’a pas eu de conséquences. Le premier tête-à-tête de M. Biden avec un dirigeant d’un autre pays avait été une réunion « bilatérale virtuelle » (en raison de la pandémie) avec le premier ministre Justin Trudeau. MM. Biden et Trudeau se voient régulièrement lors de rencontres internationales, qu’il s’agisse de sommets nord-américains, de ceux de l’OTAN ou des Nations unies, ou encore de ceux du G7 et du G20, par exemple.

Mais la visite de Joe Biden au Canada a été significative, car il s’agissait de la seule réunion des dirigeants des deux pays et de certains membres du cabinet dont l’ordre du jour était entièrement axé sur les relations américano-canadiennes.

Alors, comment ça s’est passé?

Une visite présidentielle américaine a trois fonctions : le symbolisme, les solutions et les signaux. L’équilibre entre ces trois fonctions varie en fonction du pays visité.

Une visite quasi royale

Le symbolisme est important dans toutes les relations internationales étant donné le rôle constitutionnel du président en tant que chef d’État, en plus de celui de chef de gouvernement. Une visite présidentielle peut donc ressembler à une visite royale au Canada ou à une visite du pape. Les réunions publiques, et en particulier l’allocution devant le Parlement, sont soigneusement conçues pour témoigner de l’appréciation du président pour le Canada en tant que pays et pour les Canadiens en tant qu’amis, alliés, et clients et fournisseurs précieux.

Les relations de gouvernement à gouvernement entre les États-Unis et le Canada reposent sur une relation étroite entre les Canadiens et les Américains, une admiration et une affection mutuelles qu’un président américain reconnaît et honore au cours d’une visite par des gestes, des phrases, des visites de sites historiques ou culturels et des rencontres avec des individus.

La dimension symbolique de la visite de M. Biden a été couronnée de succès. Le salut du président aux Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, les « deux Michael » détenus en otage par la Chine pendant plus de 1000 jours – alors qu’ils étaient eux-mêmes assis à la tribune –, a souligné leur détention injustifiée et exprimé l’admiration des Américains pour leurs souffrances et le soulagement qu’ils soient rentrés chez eux. M. Biden a salué le leadership du Canada dans l’élaboration d’une campagne internationale qui a conduit 70 pays à signer l’Initiative contre la détention arbitraire dans les relations d’État à État.

Une autre déclaration symbolique importante a été la reconnaissance du Canada en tant que « nation du Pacifique » par le président Biden, suite à la publication par le gouvernement Trudeau d’une stratégie pour l’Indo-Pacifique en novembre 2022. Cette reconnaissance de M. Biden des intérêts du Canada dans la région était à la fois bienvenue et attendue.

De président et premier ministre à pompiers

Malgré des valeurs et une bonne volonté partagées, les deux pays ont encore des différends. Dans les relations bilatérales, le président et le premier ministre jouent en quelque sorte le rôle de pompiers. Ils ne gèrent pas les enjeux quotidiens, mais lorsque des problèmes surviennent, ils peuvent réagir en investissant du capital politique pour surmonter les obstacles et les désaccords.

Lors de la visite de M. Biden, la capacité des deux dirigeants à résoudre les problèmes a permis un déblocage sur la question des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile qui traversent dans les deux sens des frontières éloignées, par exemple le chemin Roxham, un poste frontalier non officiel qui sépare le Québec de l’État de New York. Cette question préoccupait les négociateurs depuis des mois. On ne s’attendait pas à un accord, mais cela a été annoncé immédiatement avant le sommet, et salué par le premier ministre du Québec, François Legault.

Le président Biden a également demandé l’avis et le leadership du Canada sur la reconstruction éventuelle de l’Ukraine et la stabilisation de la crise en Haïti. Il n’y a pas de solution facile à ces deux situations et les dirigeants devront rallier les membres du Congrès et du Parlement pour financer les efforts qu’ils décideront de déployer, quels qu’ils soient.

Des signaux pour les fonctionnaires

La troisième fonction d’une visite présidentielle est de signaler le soutien politique apporté aux ministères et agences américains et canadiens qui travaillent ensemble. Les deux pays possèdent des fonctions publiques non partisanes qui œuvrent en tandem avec un plus petit nombre de conseillers politiques et de représentants nommés qui sont redevables aux élus. Ces deux types de fonctionnaires partagent le même dévouement à l’intérêt public, mais opèrent selon des cycles différents.

La fonction publique adopte une vision à moyen et long terme, cherchant à maintenir les activités et à soutenir les responsabilités actuelles avec des ressources fiscales toujours plus limitées. Le personnel politique, lui, est à l’écoute des cycles électoraux qui donnent aux électeurs la possibilité de réélire ou de remplacer les élus. Dans le meilleur des cas, la tension créative entre ces deux groupes peut générer de bonnes politiques publiques. Cependant, il est fréquent que ces tensions ralentissent une avancée en cours. Aussi, lorsqu’un président et un premier ministre s’affrontent, et les fonctionnaires et le personnel politique s’exposent à des risques professionnels s’ils insistent un peu trop pour résoudre les problèmes bilatéraux de leurs patrons querelleurs.

Lorsque l’ancien premier ministre Jean Chrétien a annoncé à la Chambre des communes que le Canada ne participerait pas à la deuxième guerre du Golfe, après des semaines de négociations et sans avoir appelé au préalable le président américain de l’époque, George W. Bush, un froid s’est rapidement répandu au sein de l’exécutif américain.

De façon plus positive, l’ancien président américain George H. W. Bush avait fait part de sa volonté d’envisager des mesures contre les pluies acides, en partie en raison de sa relation étroite avec l’ancien premier ministre Brian Mulroney.

Contrairement à la relation entre Barack Obama et Justin Trudeau, que les médias américains ont qualifiée de « bromance », la dynamique entre MM. Biden et Trudeau est différente en raison de leurs 30 années de différence. On ne sait pas encore si leur relation peut porter ses fruits sur des enjeux importants pour le Canada, mais les signaux sont clairs pour leurs bureaucraties respectives : ils s’apprécient davantage que l’un ou l’autre n’appréciait l’ancien président américain Donald Trump.

L’ampleur, la profondeur et l’étendue des relations entre les États-Unis et le Canada exigent que leurs dirigeants interviennent parfois en signalant leurs priorités et leur soutien à la coopération et à la coordination – à la fois aux fonctionnaires et aux citoyens en général. Les solutions doivent bénéficier d’un soutien politique, et les gestes symboliques des élus indiquent à leurs concitoyens que le président et le premier ministre entretiennent de bonnes relations. Leurs citoyens sont alors plus enclins à dépenser l’argent de leurs impôts ou à faire d’autres sacrifices dans un domaine d’intérêt commun.

La visite de M. Biden à Ottawa a été un succès dans ces trois domaines. Par conséquent, les relations américano-canadiennes sont plus fortes cette semaine qu’elles ne l’étaient la semaine dernière.

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Christopher Sands
Christopher Sands est directeur du Canada Institute au Woodrow Wilson International Center for Scholars et professeur d'études canadiennes à la Johns Hopkins University School of Advanced International Studies, tous deux situés à Washington, D.C.. Il est membre du conseil d'administration de l'Institut de recherche en politiques publiques, qui publie Options politiques.

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