(Cet article a été traduit en anglais.)

Ce texte s’inscrit dans le contexte de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine (2015-2024) décrétée par l’ONU. Au cours des 20 dernières années, la taille des communautés noires au Canada a doublé, passant de 573 860 membres en 1996 à 1 198 540 en 2016.

Les communautés noires représentent aujourd’hui plus de 3,5 % de la population totale du Canada et 15,6 % de la population définie comme faisant partie d’une minorité visible ou racisée. Selon les projections démographiques de Statistique Canada, la population noire poursuivra sa croissance et pourrait représenter entre 5,0 % et 5,6 % de la population canadienne d’ici 2036. Une des particularités des communautés noires du Québec et du Canada est la jeunesse de leurs membres. En effet, en 2016, l’âge médian de la population noire était de 29,6 ans, alors qu’il était de 40,7 ans pour la population totale.

La population noire du Canada et du Québec est fortement concentrée dans les grands centres urbains tels que Toronto, Montréal, Ottawa-Gatineau, Edmonton et Calgary.

Les communautés noires, incluant les jeunes, connaissent généralement un taux de chômage supérieur à la moyenne. Le taux de chômage des communautés noires est autour de 12 %, alors que la moyenne générale est de 5 % chez les non-Noirs. Chez les jeunes issus des communautés noires âgés de 15 à 24 ans, le taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne chez les jeunes Québécois et Canadiens dans leur ensemble. Nés au pays ou ayant immigrés en bas âge, ces jeunes possèdent une formation équivalente aux autres jeunes Québécois et Canadiens d’origine française ou britannique. Pourtant, leurs chances d’accès à un emploi sont moindres. En plus des désavantages relatifs à la jeunesse, tels que le manque d’expérience et le manque de formation, les jeunes provenant des minorités racisées doivent composer également avec leur différence. L’incorporation des minorités ethniques, et plus particulièrement des « minorités racisées », sur le marché de l’emploi et dans d’autres sphères de la société demeure problématique.

La notion de « groupe racisé » ou de « minorité racisée » (qui nous paraît plus appropriée), ici, réfère à un processus de racisation et indique l’extension d’une signification raciale à des relations non classifiées ou caractérisées en termes raciaux dans une phase antérieure. Ainsi le groupe racisé renvoie aux groupes porteurs d’identité citoyenne et nationale précise, mais cibles du racisme. Il est à noter que la Loi sur l’équité en matière d’emploi réfère à la notion de minorité visible, qui désigne « les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche ».

Rappelons que la perpétuation des discriminations systémiques et leur reproduction représentent un obstacle important pour les groupes qui en sont victimes. Ces problèmes ont également des répercussions néfastes sur l’ensemble de la société et engendrent des coûts sociaux et humains.

Pour évoquer à quel point la situation est préoccupante, le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine de l’ONU relatait dans un rapport sur la situation des Noirs au Canada en 2017 que le racisme anti-Noirs découle de « l’histoire d’esclavage, de ségrégation raciale et de marginalisation ».

Des organisations à l’avant-garde des enjeux et défis relatifs aux communautés noires

Le Sommet pancanadien des communautés noires, porté par la Fondation Michaëlle Jean, la Fédération des Canadiens noirs et le Centre somalien de services à la famille, en partenariat avec une panoplie d’organismes communautaires, a réclamé des mesures urgentes face à des problèmes auxquels se heurtent les personnes d’ascendance africaine partout au Canada. Une des principales initiatives émanant du Sommet consiste en l’élaboration d’un plan stratégique pancanadien en vue d’offrir une véritable feuille de route permettant aux communautés de collaborer avec les instances publiques et le secteur privé afin de résoudre ces problèmes. Ce plan d’action stratégique s’inscrit explicitement dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Il constitue la version canadienne du Programme d’activités de l’ONU pour la Décennie (ce programme demande que chaque État membre de l’ONU se dote d’un plan d’action pour la Décennie). La mobilisation stratégique générée par le Sommet a su faire en sorte que le premier ministre canadien reconnaisse officiellement la Décennie internationale. Pour la première fois dans l’histoire du Canada, le budget fédéral de 2018 a alloué explicitement des sommes destinées aux communautés noires (renforts aux jeunes Noirs, appuis à la recherche sur la santé au sein des communautés noires, collaboration avec Statistique Canada pour obtenir des données ventilées sur les communautés noires du Canada, etc.). Soutenue par le plan stratégique canadien pour la Décennie internationale, la mobilisation des communautés noires en provenance des quatre coins du pays lors du Sommet de 2019 a débouché sur des rencontres avec des ministres fédéraux. Ces rencontres ciblées et stratégiques auraient contribué à générer une augmentation des sommes allouées spécifiquement aux communautés noires dans le budget fédéral de 2019. En reconnaissance de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine de l’ONU, le budget fédéral de 2019 propose en effet une somme de 25 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2019-2020, ce qui constitue un pas dans la bonne direction.

Au Québec, le Sommet socioéconomique pour le développement des jeunes des communautés noires (SdesJ) ainsi que le Forum économique international des Noirs (FEIN) proposent également des orientations et des initiatives stratégiques pour contribuer au développement socioéconomique et à la création d’emplois valorisants au sein des communautés noires.

Le SdesJ entend miser sur la cohérence d’une stratégie gouvernementale pour la jeunesse québécoise et favoriser des synergies dans les communautés de pratique en préconisant notamment une approche structurante et holistique. Il souhaite encourager le financement conjoint de projets et de différentes initiatives (par les gouvernements, les communautés et la société civile). Le FEIN, quant à lui, promeut l’entrepreneuriat et l’investissement comme des moteurs essentiels de la création de la richesse au sein des communautés noires. L’entrepreneuriat est au cœur de sa stratégie, puisque le FEIN mise sur l’autonomisation économique des populations noires. Il propose notamment « des solutions pragmatiques aux enjeux économiques que vivent les populations noires » en mobilisant les différents acteurs concernés par ces problématiques et enjeux pour catalyser le progrès économique des Noirs.

Ces organisations réclament un travail concerté et continu avec les différents ordres de gouvernements —municipaux, provinciaux et territoriaux, fédéral — afin d’évaluer plus précisément la situation des communautés noires à travers le Canada, en vue de définir des politiques publiques et des programmes gouvernementaux qui contribueront à produire des résultats tangibles et mesurables pour les communautés noires.

La pleine participation des communautés noires : un enjeu majeur pour le Québec et le Canada

Les membres des communautés noires continuent d’être sérieusement désavantagés. En outre, les Noirs sont moins susceptibles d’avoir accès à des emplois gratifiants dans les postes stratégiques de direction. Plus souvent qu’autrement, les Noirs sont relégués dans des positions hiérarchiques moins favorables au sein des organisations publiques comme dans le secteur privé. Ces lieux où se concentre le pouvoir décisionnel demeurent-ils « la prérogative d’un segment relativement homogène de la population ? La composition de ces lieux stratégiques de pouvoir est-elle représentative de la population québécoise et canadienne, caractérisée par une grande diversification des origines ethnoculturelles ? » Les difficultés liées au fait d’être Noir et d’être confronté de manière récurrente à la discrimination et au racisme structurels, en milieu de travail et dans d’autres sphères d’activités, créent un profond malaise démocratique et une injustice sociale qu’il faut nommer afin d’apporter des correctifs sur une base pérenne et structurelle.

En effet, une démocratie véritable requiert des institutions et des modes de fonctionnement offrant des voies d’accès ouvertes à la participation de tous les individus aux différentes sphères d’activités (sociales, politiques, économiques ou culturelles) de la vie commune.

C’est pourquoi promouvoir la pleine participation des communautés noires aux différentes instances du pouvoir administratif, par exemple, c’est œuvrer à moderniser, sinon à légitimer notre démocratie en examinant à nouveau ce qui constitue les fondements d’une société juste et équitable. Il est fondamental, en ce sens, de porter une attention particulière aux normes et pratiques en cours qui obstruent l’atteinte de cette équité souhaitable.

Photo : Shutterstock / SFIO CRACHO.


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Myrlande Pierre
Myrlande Pierre est chercheuse associée au Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC), à la Faculté des sciences humaines de l’UQAM.

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