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Les plus riches ne paient pas leur juste part d’impôts, ce qui signifie que le gouvernement se prive de revenus qui pourraient améliorer la vie de la majorité des Canadiens.

Les prix de l’immobilier sont hors de contrôle, notre système de santé est sous-financé et des investissements sont nécessaires pour atteindre nos objectifs pour combattre les changements climatiques. Si l’on ne s’attaque pas à ces problèmes de longue date, les richesses continueront de s’accumuler dans les mains d’une minorité tandis que les gens ordinaires tireront le diable par la queue, laissant le gouvernement sans ressources suffisantes pour financer des programmes cruciaux.

Dans son budget de 2024, le gouvernement Trudeau a proposé des mesures qui contribueraient à égaliser les taux d’imposition entre les Canadiens les plus riches, qui tirent principalement leur argent de revenus passifs, et les travailleurs qui gagnent un chèque de paie. Les changements proposés en matière d’imposition des gains en capital n’obligeraient que 0,13 % des Canadiens les plus riches à payer davantage, tout en contribuant à faire face à l’explosion des coûts du logement.

Malgré la portée limitée de ce changement, comme on pouvait s’y attendre, il a suscité l’indignation de certains de mes pairs fortunés, ainsi que de ceux qui semblent prêts à se battre pour que les très riches continuent à payer moins d’impôts que les travailleurs, en pourcentage de l’impôt sur le revenu.

Pour vous mettre en contexte : je suis moi-même bénéficiaire du taux préférentiel sur les gains en capital. De quoi ai-je à me plaindre ?

L’histoire de ma vie illustre le contraste absurde entre la façon dont nous traitons les gains en capital et les revenus provenant d’un chèque de paie. Je vous écris aujourd’hui pour vous dire que je crois que l’argent généré par le capital devrait être taxé au même taux que l’argent gagné par le travail.

Il est important de comprendre que l’injustice inhérente à ce système est le résultat de l’inégalité des richesses. Pour gagner de l’argent principalement grâce à des gains en capital plutôt que par le biais d’un salaire, il faut d’abord avoir accès audit capital.

Ce n’est pas une option à la portée de la plupart des gens, et pourtant, alors que les travailleurs sont imposés sur la totalité de leur salaire, seuls 50 % des gains en capital sont actuellement imposés. Je paie peut-être un montant plus élevé que certains travailleurs, mais je bénéficie d’un taux d’imposition beaucoup plus bas, même par rapport aux médecins, avocats et ingénieurs qui gagnent beaucoup d’argent.

Pourquoi devrais-je être soumise à un taux inférieur simplement parce que j’ai eu la chance d’avoir de l’argent à investir, et pourquoi quelqu’un qui travaille pour gagner sa vie devrait-il être imposé à un taux supérieur ?

Lorsque j’étais professeure de microbiologie et d’immunologie, j’ai perçu un salaire, comme tous les autres travailleurs canadiens. Chaque dollar gagné dans le cadre d’un emploi réel était considéré comme imposable. J’ai quitté cet emploi en 2021 et, depuis, je vis en partie grâce aux gains en capital réalisés sur les biens personnels et familiaux que je contribue à gérer et dont je bénéficie.

En outre, je ne serais pas en mesure de percevoir ces revenus passifs si je n’avais pas déjà accès au capital, ce qui, pour une raison ou une autre, est plus important pour notre régime d’impôts  que le fait de travailler pour gagner sa vie.

Au fur et à mesure que l’on monte dans l’échelle des richesses et des revenus, on rencontre de moins en moins de personnes qui tirent l’essentiel, voire la totalité, de leur argent d’un chèque de paie. Au contraire, les riches investissent dans la bourse, l’immobilier et d’autres moyens de faire fructifier leur patrimoine. À ce titre, ils bénéficient de taux d’imposition réduits depuis des décennies.

Des arguments qui ne tiennent pas la route

Depuis les modestes mesures annoncées dans le budget, j’ai entendu beaucoup d’arguments absurdes de la part de personnes qui ont profité de cet avantage fiscal injustifiable et qui tentent maintenant de rallier les masses en faveur du maintien d’un taux d’imposition inférieur à celui des travailleurs.

L’un des arguments avancés est que ce changement nuira aux travailleurs et à la classe moyenne.

Analysons ce point de vue de manière logique. Tout d’abord, 28,5 millions de Canadiens ne réalisent aucun gain en capital. Deuxièmement, seulement 0,13 % des Canadiens gagnent 250 000 $ ou plus, seuil fixé par cette modification pour commencer à payer une part plus importante.

En fait, les seules personnes assujetties à la nouvelle taxe sont celles qui gagnent en moyenne 1,4 million $ par an. Si l’on ajoute les exonérations pour les résidences principales et l’exonération de 1,25 million $ pour les actions de petites entreprises, les biens agricoles et les biens de pêche, nous discutons en fin de compte d’une modification fiscale qui n’aurait d’incidence que sur les Canadiens dont la situation économique est nettement meilleure que celle de la grande majorité.

Un autre argument absurde avancé suggère que les ultrariches représentent la majorité de la productivité au Canada.

La productivité peut prendre de nombreuses formes, incluant les employés des épiceries qui sont aux prises avec l’explosion des prix des denrées alimentaires, les ouvriers du bâtiment qui construisent des maisons qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter et les consommateurs qui alimentent la croissance économique, mais dont une part de plus en plus importante de leur budget est engloutie par le coût du logement, qui a plus que doublé depuis 2011.

En outre, les entrepreneurs qui sont souvent engagés dans des activités économiquement productives telles que la création d’emplois ont vu leur limite d’exonération relevée dans cette proposition.

Un exemple récent montre que le bien-être des actionnaires et des investisseurs n’a pas grand-chose à voir avec la productivité.

Meta a récemment annoncé le licenciement de 11 000 personnes. Cette annonce s’est traduite par une augmentation de 20 % du cours de l’action et par la distribution d’un dividende aux actionnaires. Je possède des actions de Meta. Si je vends ces actions et réalise des gains en capital, j’aurai directement bénéficié d’une entreprise déjà rentable qui vient d’avoir un impact négatif sur la vie de milliers de personnes.

À tout le moins, je devrais payer le même pourcentage d’impôt sur ces gains que celui que les anciens employés auraient payé sur leurs salaires.

L’équité profite à tous

Ceux qui s’opposent à cette augmentation de l’impôt sur les gains en capital ne veulent pas admettre une vérité simple : le traitement inégal des gains en capital et des revenus du travail a été le moteur de l’inégalité au Canada.

La modification introduite dans le budget 2024 est un premier pas pour remédier à cette injustice de longue date, mais elle est étroitement conçue pour n’avoir un impact que sur ceux qui en ont le plus bénéficié.

Les riches sont les plus grands bénéficiaires de ce que nos impôts financent : une économie stable avec une base de consommateurs solide, une main-d’œuvre formée dans des écoles de qualité, des infrastructures qui garantissent que leurs travailleurs et leurs clients peuvent se déplacer en toute sécurité et de manière efficace, un système de santé public qui maintient la main-d’œuvre en bonne santé et ne demande pas aux employeurs de supporter la charge financière de l’assurance comme leurs homologues américains, et une politique du logement qui garantit que les gens peuvent garder un toit au-dessus de leur tête avec un peu d’argent dans leur poche pour acheter des biens et des services.

Le moins qu’on puisse leur demander en retour est de payer le même taux d’imposition sur leurs revenus que des millions de travailleurs canadiens.

Mes pairs fortunés et moi-même devrions être fiers de contribuer davantage, non seulement parce que c’est la bonne chose à faire, mais aussi parce que cela aide à construire une économie plus forte et plus stable qui profite à tous.

À une époque où l’élargissement du fossé idéologique a affaibli notre cohésion sociale, nous devrions être capables de nous rassembler pour soutenir la société dans laquelle nous voulons tous vivre, au lieu de vivre dans un Canada stratifié où les très riches jouissent de l’aisance et du luxe tandis que tous les autres luttent pour s’en sortir.

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Claire Trottier
Claire Trottier est une philanthrope et une investisseuse qui siège au conseil d'administration de la Fondation de la famille Trottier, de Welcome Collective et d'Eclipx Family Office. Elle milite en faveur de l'impôt sur la fortune avec Patriotic Millionaires.

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