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Une révision de la législation canadienne sur le droit d’auteur est de nouveau en cours. Lors de son dernier examen en 2019, le Parlement a reçu des centaines de mémoires et de témoignages. Sur cette base, le Comité de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes a publié un rapport exhaustif comprenant 36 recommandations.

Trois ans plus tard, seulement quelques-unes de ces recommandations sont en chantier ou ont été partiellement adoptées. La période générale de validité du droit d’auteur a été prolongée pour respecter notre nouvel accord commercial avec les États-Unis et le Mexique. Le gouvernement s’est engagé à ajouter à la Loi sur le droit d’auteur une disposition relative au droit de suite des artistes, en cas de revente de leurs œuvres. Dans son dernier budget, il a aussi promis d’assurer le droit de contourner la législation relative au droit d’auteur lorsqu’il est question de réparer des appareils électroniques et des électroménagers.

Les enseignants des universités et des collèges canadiens, ainsi que les bibliothécaires, demandent au gouvernement d’agir plus rapidement sur quatre autres aspects du droit d’auteur, afin de s’assurer que la législation concilie les intérêts publics et privés; permettre le contournement des serrures numériques à des fins légales; étendre le champ d’application de l’utilisation équitable; faire passer rapidement dans le domaine public les publications du gouvernement fédéral; et donner suite aux préoccupations des Autochtones.

1) Améliorer l’accès aux œuvres numériques 

La version actuelle de la Loi sur le droit d’auteur interdit tout contournement des « verrous numériques ». Ces verrous empêchent des tierces parties d’effectuer la réparation d’appareils et nous obligent à nous doter d’un « droit à la réparation ». Elles interdisent aussi l’accès aux œuvres numériques, même lorsque cette utilisation est légale, comme leur prêt par des bibliothèques, leur préservation ou leur utilisation équitable en contexte d’éducation et de recherche, ou encore l’utilisation d’œuvres du domaine public (qui ne sont plus protégées par le droit d’auteur).

La Loi sur le droit d’auteur devrait être modifiée de manière à permettre le contournement des verrous numériques lorsque l’utilisation est légale et qu’elle ne porte pas atteinte au droit d’auteur, par exemple pour changer le format d’un DVD pour sa diffusion en classe, faire de l’extraction de données et de contenus en contexte de recherche et assurer la préservation et l’intendance d’archives.

2) Étendre le champ d’application de l’utilisation équitable

Le récent accord commercial conclu avec les États-Unis et le Mexique a prolongé la durée du droit d’auteur au Canada de 20 ans. Elle est passée de la vie de l’auteur plus 50 ans, à la vie de l’auteur plus 70 ans. Cette prolongation a été effectuée sans tenir compte de demandes répétées pour l’adoption de mesures visant à réduire le fardeau et les préjudices économiques et culturels résultant du gel du domaine public pendant 20 années de plus.

Elle fait aussi pencher la balance du droit d’auteur en faveur d’une minorité de propriétaires de contenus dont les œuvres restent lucratives 50 ans après le décès, tandis que la majorité des œuvres languissent et ne peuvent pas être numérisées, publiées de nouveau ou utilisées à des fins d’innovation, comme elles le pourraient si elles étaient dans le domaine public.

L’accès des étudiants, du personnel enseignant, des chercheurs, des bibliothécaires, des archivistes et des membres du public doit être amélioré afin d’assurer l’utilisation équitable des œuvres protégées par le droit d’auteur.

La disposition sur l’utilisation équitable de la Loi sur le droit d’auteur prévoit un droit limité de reproduire des œuvres littéraires, artistiques et musicales d’une manière qui soit équitable tant pour les propriétaires que pour les utilisateurs de contenus. Or, étant donné que l’allongement de la durée du droit d’auteur mine la disponibilité de contenu, la disposition sur l’utilisation équitable doit être non seulement protégée, mais aussi améliorée. Une façon simple d’y arriver serait d’ajouter le mot « notamment » avant la liste actuelle des utilisations équitables énumérées. On créerait ainsi un droit d’auteur plus souple, facilitant l’échange des connaissances et l’innovation, comme le font les États-Unis.

3) Retirer le droit d’auteur de la Couronne

Selon les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, les publications gouvernementales entrent dans le domaine public 50 ans après leur diffusion. La loi devrait être modifiée afin que ces contenus entrent dans le domaine public dès leur parution. Soustraire les œuvres du gouvernement à la protection économique du droit d’auteur permettra aux particuliers, aux sociétés et à d’autres organismes de mieux utiliser ces ressources.

Cela permettra aussi aux bibliothécaires de mieux assumer leur rôle de gardiens de l’information gouvernementale et appuiera les objectifs de l’initiative canadienne de gouvernement ouvert.

Les bibliothécaires et archivistes se voient souvent interdire le droit de reproduire et de redistribuer des œuvres gouvernementales déjà rendues publiques. Quand du contenu Web n’est pas répertorié lors des efforts de collecte de ces contenus, les étudiants, le personnel enseignant et les journalistes n’y ont plus accès. De plus, la confusion par rapport au statut du droit d’auteur de la Couronne et aux droits associés de reproduction et de partage de ces œuvres a causé le report de projets de numérisation – parfois pendant des années –, et même leur abandon.

Le retrait du droit d’auteur de la Couronne aurait pour résultat d’aligner le traitement des œuvres gouvernementales canadiennes sur celui des œuvres gouvernementales américaines.

4) Reconnaître aux Autochtones le contrôle sur leurs œuvres

La législation sur le droit d’auteur, fondée sur des conceptions occidentales de la propriété, est souvent en conflit avec les conceptions autochtones de l’utilisation et du partage de la culture et du savoir, et du contrôle sur ceux-ci. Malheureusement, des créateurs et communautés autochtones ont ainsi perdu la maîtrise de leur patrimoine.

Le gouvernement fédéral doit veiller à ce que les peuples autochtones puissent élaborer leurs propres règles sur la façon dont les résultats de leur créativité sont partagés, en veillant à ce que la conservation et la diffusion des œuvres, et la rémunération des créateurs soient conformes à leurs propres traditions. Cela fait aussi partie de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2021. Au minimum, on pourrait envisager l’adoption d’une disposition de non-dérogation.

Le personnel académique, le personnel enseignant, les chercheurs et les bibliothécaires du Canada sont des créateurs et des utilisateurs de contenus protégés par le droit d’auteur. Pour assurer le succès de l’éducation postsecondaire et bénéficier de ses retombées sur le plan individuel et collectif, nous devons favoriser l’acquisition du savoir en rendant l’information accessible. Les quatre recommandations présentées ci-haut devraient faire partie des changements apportés à la Loi sur le droit d’auteur.

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David Robinson
David Robinson est directeur général de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université.
Susan Haigh
Susan Haigh est directrice générale de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada.

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