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L’évidence est frappante : le Québec manque de médecins. Depuis quelques années, les facultés de médecine des universités de Montréal, Laval, McGill et Sherbrooke admettent davantage d’étudiants, selon les volontés du gouvernement québécois. Mais les facultés sont aux abois : elles disent qu’elles n’ont pas la capacité d’absorber toutes ces hausses, année après année. Et tout porte à croire qu’elles ont raison.

Le défi que les facultés de médecine doivent relever est multiple : il faut adapter les programmes d’études, recruter de nouveaux médecins enseignants et dénicher de nouveaux milieux de stages.

Mais les établissements universitaires traditionnels (CHU, Instituts, CIUSSS et GMF) qui sont au cœur de la formation des futurs médecins sont déjà débordés. Et pour cause, car ces établissements existent d’abord et avant tout pour soigner les patients. Le dilemme est le suivant : là où il faut soigner, il faut aussi enseigner. Dans bien des établissements, on ne sait plus où mettre les patients. Dans ces mêmes établissements, on ne sait plus où mettre les étudiants.

Peut-on former davantage de médecins dans ce contexte? Pour y arriver, un constat s’impose. On ne peut plus procéder comme avant. Trois nouvelles avenues sont possibles : revoir la durée des études; incorporer la mission d’enseignement à la mission de soins de tous les établissements de santé; et former l’étudiant directement dans sa région.

Revoir la durée des études en médecine

Au Québec, un étudiant complète généralement sa formation initiale – celle menant au doctorat en médecine – au bout de quatre à cinq années, selon qu’il soit admis à la suite d’études collégiales (cinq ans) ou suivant une formation universitaire en santé (quatre ans). (L’Université de Sherbrooke offre un programme de quatre ans sans égard au profil de l’étudiant à l’admission. On peut déjà se poser la question, pourquoi est-elle seule à procéder de la sorte?) Pour obtenir le permis d’exercer la médecine, le doctorat doit être complété par des études spécialisées dont la durée est de deux à sept ans.

La durée des études médicales varie selon les pays, tant pour la formation initiale que spécialisée. Pourtant, aucune donnée probante ne soutient qu’un programme doit être plus court ou plus long. Il existe au Canada et aux États-Unis des programmesla formation initiale n’est que de trois ans. Mais pas au Québec. Cette différence tient au fait que, dans ces programmes courts, on tient compte des acquis antérieurs de l’étudiant et qu’on réduit la période de vacances. Pourquoi on ne le fait pas au Québec demeure un mystère.

La durée des études spécialisées est également variable, selon les pays et selon les spécialités. La spécialisation en médecine de famille est d’une durée de deux ans au Canada, mais de trois aux États-Unis et dans la plupart des pays. On forme un pédiatre ou un interniste général en trois ans aux États-Unis, mais en quatre au Québec. D’autres spécialités, comme la psychiatrie et la gynécologie-obstétrique, nécessitent cinq ans d’études ici, mais quatre aux États-Unis. Comment peut-on expliquer ces différences autrement que par la tradition ou l’opinion?

Le réseau de la santé comme vaste milieu d’enseignement

Pour apprendre à soigner, il faut voir des patients et côtoyer les praticiens. Tous les étudiants doivent faire des stages en établissement, et le défi est d’en trouver de nouveaux. Pour cela, on doit former les praticiens issus de ces nouveaux milieux à leur rôle d’enseignant, les reconnaître et les rétribuer pour ce rôle. En ce sens, force est de constater que d’avoir dissocié la mission de soins d’un établissement de celle d’enseigner à ceux qui deviendront les soignants de demain est une aberration. La réforme du ministre Dubé est silencieuse à cet effet, car seuls les Centres hospitaliers universitaires (CHU) et les Instituts ont une mission universitaire explicite reconnue. De ce point de vue, le projet de loi 15 est une occasion manquée.

Si nous avions un réseau d’établissements de santé dont la mission de soins comprendrait aussi celle de former, les universités auraient à leur disposition un bassin de milieux de stages bien plus vaste que ce qui existe actuellement. Chaque région du Québec disposerait d’un réseau reconnu de centres hospitaliers de soins de courte ou de longue durée, de CLSC, de GMF et, pourquoi pas, de cliniques privées, accessibles pour les étudiants. Et ce réseau élargi ouvrirait la porte à la solution suivante : former l’étudiant en médecine directement dans sa région.

Former l’étudiant dans sa région, à l’aide des technologies

Pourquoi un étudiant ne pourrait-il pas faire ses études de médecine n’importe où au Québec? Les universités de Montréal et de Sherbrooke forment déjà des étudiants dans des campus situés en Mauricie et au Saguenay, et ce, depuis bientôt vingt ans. Plus récemment, les universités Laval et McGill ont aussi ouvert des campus, à Lévis et Rimouski pour l’une, et Gatineau pour l’autre.

La preuve est également faite que ces étudiants formés en région réussissent l’examen national de certification aussi bien que n’importe quel autre étudiant canadien. Par ailleurs, ils optent davantage pour la pratique en région au terme de leurs études, un fait qu’on ne doit pas négliger.

Mais allons plus loin. La pandémie nous a ouvert les yeux sur de nouvelles façons de travailler, mais aussi d’enseigner et d’apprendre. Pour la portion théorique du programme de médecine, un encadrement à distance est possible. Des modules d’autoapprentissage existent d’ailleurs déjà pour les étudiants, dont certains sont conçus par des facultés de médecine. L’accès à des conférences et la supervision d’un petit groupe d’étudiants à distance par un professeur est devenu une réalité, non une utopie.

Si le regroupement des étudiants en un lieu déterminé est nécessaire pour un apprentissage particulier, des ententes peuvent être conclues avec les établissements de soins et ceux du réseau de l’Université du Québec, bien établis en région. Par ailleurs, les technologies médicales de pointe – auxquelles un étudiant doit être exposé durant sa formation – ne sont plus l’apanage des grands centres et sont de plus en plus disponibles en région et même en cabinet ou auprès du patient.

La miniaturisation des équipements et le développement du numérique sont au cœur de ces développements. Qui aurait dit il y a trente ans qu’une échographie pourrait s’effectuer en cabinet? Qu’une tomodensitométrie (CT scan) ou une imagerie par résonance magnétique pourrait s’effectuer dans une clinique de quartier? Que des chirurgies complexes seraient réalisées hors du milieu hospitalier? Qu’un patient souffrant d’une pathologie cardiaque pourrait lui-même documenter l’évolution de son traitement et rester en contact en permanence avec son médecin? Que des patients deviendraient de véritables partenaires pour la formation des futurs médecins, peu importe où ils résident?

Ces exemples sont à la base de ce qui pourrait être une véritable révolution de la formation médicale. Elle pourrait être davantage délocalisée, davantage individualisée, faire appel davantage aux praticiens et même aux patients comme formateurs.

La réduction de la durée de la formation, la reconnaissance de la mission complémentaire de soins et d’enseignement pour tous les établissements du réseau, et l’apprentissage de la médecine directement en région sont trois des éléments clés qui nous permettront de relever le défi de la pénurie de médecins. Aura-t-on l’audace d’aller de l’avant?

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Raymond Lalande
Raymond Lalande est professeur émérite à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Il a été vice-recteur aux études de 2010 à 2017 et vice-doyen aux études médicales prédoctorales de 2000 à 2007. Il a été le concepteur du projet de formation médicale délocalisé de l’UdeM en Mauricie. Twitter @lalanderudem

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