(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Il est impossible d’imaginer le monde d’aujourd’hui sans Internet, sans transactions numériques, sans vidéoconférences ou sans communications avec la famille et les collègues au moyen d’un ordinateur ou d’un cellulaire. Pourtant, nous vivons avec un système de soins de santé qui ne connaît pas d’échange transparent d’informations électroniques entre les établissements de soins, les fournisseurs et les patients. Et bien que certains progrès aient été réalisés à cet égard, cette réalité persiste aujourd’hui à divers degrés.

Les services de santé ont suivi de près le parcours de la connectivité numérique, mais ils n’ont pas su profiter pleinement de l’évolution. Les raisons peuvent varier selon les points de vue des différents acteurs, mais une chose est certaine : il est difficile d’évaluer et de comprendre pleinement l’état de la connectivité numérique dans notre système de santé aujourd’hui.

Si nous considérons le système de santé comme une toile d’araignée, nous remarquons que certaines parties de cette toile sont bien construites et connectées, alors que d’autres sections sont moins bien liées. Au Canada, il y a d’importants écarts entre les provinces et les territoires en matière de connectivité numérique en santé, et notre système de santé est particulièrement complexe. Cette complexité se manifeste par la double compétence provinciale/territoriale et fédérale avec des politiques, un financement et des structures de remboursement bien institutionnalisées ; la disparité numérique entre, notamment, les villes et les collectivités rurales, les générations et les niveaux socioéconomiques ; et la fragmentation déconcertante des services de santé.

Après les premiers efforts nationaux en matière de technologies de l’information (TI) au Canada à la fin des années 1990, Inforoute Santé du Canada (ISC), un organisme indépendant sans but lucratif financé par le gouvernement fédéral, a été créé en 2001 avec le mandat de diriger les efforts nationaux en matière de TI. Cela comprenait l’élaboration d’un dossier de santé électronique interfonctionnel pour tous les Canadiens. Depuis sa création, l’ISC a reçu du gouvernement fédéral 2,45 milliards de dollars et a joué un rôle actif et important en tant qu’investisseur stratégique dans des projets de TI en santé dans les provinces et territoires : elle a ainsi contribué à améliorer la connectivité numérique. Ces investissements ont évolué au fil du temps et ont pris de l’ampleur, passant de projets liés à l’infrastructure à des projets axés sur les outils numériques utilisés par les cliniciens, ainsi que sur des applications permettant aux patients de recueillir, d’extraire et de gérer eux-mêmes leurs données liées à la santé.

Notre société a fait beaucoup de progrès sur le plan de la connectivité numérique en général. Selon Statistique Canada, 88 % des Canadiens et 60 % des personnes de 65 ans et plus possèdent un téléphone intelligent. La plupart des Canadiens, soit 91 %, utilisent Internet et 75 %, également des sites Web et des applications de réseaux sociaux.

Une étude récente a révélé qu’environ 40 % des Canadiens font le suivi d’un ou de plusieurs aspects de leur santé à l’aide de technologies de soins connectées. Cela témoigne de la demande croissante de la connectivité numérique dans les soins de santé. En retour, les établissements de santé instaurent de plus en plus de nouveaux systèmes et de nouvelles technologies sur les lieux de soins qui soutiennent la connectivité numérique. Environ 85 % des cabinets médicaux utilisent des dossiers médicaux électroniques (DME), et les hôpitaux ont accéléré la mise en œuvre du DME intégral qui remplace les systèmes non intégrés existants. Ainsi, l’Hôpital d’Ottawa et cinq autres établissements de la région d’Ottawa ont adopté un même système de DME, qui permettra un rapide échange d’information et favorisera la connectivité et l’intégration des soins.

Selon l’ISC, l’utilisation de la télésanté a également augmenté au fil du temps, atteignant 1,5 million de consultations par année, mais elle représente encore une portion relativement faible de l’ensemble des services de santé. Depuis 2019, deux initiatives ont vu le jour qui visent à améliorer la connectivité en matière de prescriptions électroniques et à favoriser l’accès des patients à leurs renseignements médicaux au moyen de portails pour les patients. Toutefois, ces initiatives en sont encore aux premières étapes, et leur développement varie considérablement d’une province à l’autre.

Malgré les progrès réalisés, des défis et des écarts considérables persistent, et les patients n’ont qu’un accès limité aux renseignements médicaux. À moins de recevoir des soins d’un même établissement, d’un système intégré ou d’un réseau de fournisseurs de soins de santé, il revient souvent au patient de transmettre aux points de service les renseignements pertinents liés à ses antécédents médicaux et les médicaments qu’il prend. C’est particulièrement difficile pour les personnes âgées atteintes de maladies chroniques qui ont fréquemment recours au système de santé.

Une étude récente sur l’utilisation de technologies mobiles de santé par les personnes de 65 ans et plus, comparativement à celle de toute la population adulte, révèle que la majorité des Canadiens qui utilisent des applications et des dispositifs mobiles (par exemple des montres et des bracelets intelligents pour l’autosuivi de leur santé) ne partagent pas ces données avec leur professionnel de la santé. L’adhésion aux programmes de télésoins pour la gestion de maladies chroniques demeure également limitée, malgré l’abondance de données scientifiques démontrant son efficacité à réduire l’hospitalisation et les taux de mortalité, et à améliorer l’état clinique des patients. Le succès de l’intégration des programmes pilotes de télésoins dans les soins courants, semblables à celui de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, est faible.

Selon l’Association médicale canadienne, l’interopérabilité des systèmes et l’intégration des informations dans l’ensemble des soins restent limitées. L’instauration de DME a progressé, mais seule une faible proportion des cabinets médicaux canadiens permet la communication électronique avec les patients. Par exemple, peu d’entre eux fournissent des demandes de rendez-vous et des renouvellements d’ordonnance électroniques. La transmission d’informations entre les omnipraticiens et les spécialistes, ou les hôpitaux et les établissements de soins, et le partage de rapports cliniques ou de résultats de tests sont limités et incohérents.

De plus, les hôpitaux d’une même ville qui transfèrent fréquemment des patients ou les réfèrent d’un établissement à l’autre ont parfois des systèmes de DME qui ne communiquent pas. Plus important encore, il y a peu de connectivité numérique en soins de longue durée et en soins aux personnes âgées. La récente pandémie de COVID-19 a révélé les défis majeurs pour ce qui est des communications entre les personnes âgées et leurs familles, les soignants et les fournisseurs de soins de santé. Elle a également mis en évidence les problèmes existants en ce qui a trait à la saisie et au partage rapide d’informations cliniques pertinentes avec d’autres établissements de soins de santé.

Une question s’impose : que faire maintenant ? À ce stade, se regrouper et comprendre notre situation actuelle est essentiel pour prendre les bonnes décisions concernant la connectivité numérique future dans le domaine des soins de santé.

Une vaste expérience et des données probantes issues de plus de 20 ans de projets de TI en santé dans toutes les provinces sont disponibles. Il nous revient d’exploiter ces connaissances pour éclairer les changements stratégiques et pratiques, et d’appliquer des principes de gestion fondés sur des données probantes alors que nous planifions les prochaines étapes. Le leadership fédéral est essentiel pour soutenir un exercice de planification stratégique à l’échelle nationale et permettre les changements de politiques et de règlements nécessaires. Le gouvernement canadien peut jouer un rôle important dans l’avancement du programme de santé numérique en mettant de l’avant des incitatifs et des politiques qui stimulent des changements nationaux et visent à combler le déséquilibre numérique et les écarts actuels.

En temps de crise, nous découvrons nos limites mais aussi nos capacités. La pandémie actuelle a montré que le système de santé peut être agile et s’adapter rapidement en cas de besoin. En réponse à la COVID-19, la prestation des soins a changé du jour au lendemain au Canada. Nous avons mis fin à l’inertie et avons fait ce qui était considéré comme impossible avant la pandémie en passant à la prestation de différents types de soins virtuels partout au pays. Les autorités sanitaires provinciales ont rapidement mis en place des codes de tarification pour couvrir les services de santé virtuels. C’était un appel à l’action, et le système de santé et les autorités sanitaires y ont répondu. Toutefois, cette crise a aussi révélé le talon d’Achille de notre système de santé, soit les soins de longue durée et aux personnes âgées, qui bénéficieraient grandement de la connectivité numérique.

Il est temps que les soins de santé s’aventurent dans la connectivité numérique. Une réforme pancanadienne qui intègre officiellement les soins virtuels et la connectivité dans le débat sur l’avenir des soins de santé s’impose. Ce sera un très long voyage dans le domaine de la santé, mais nous l’avons déjà commencé.

Cet article fait partie du dossier La connectivité numérique à l’ère de la COVID et au-delà.

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Mirou Jaana
Mirou Jaana est professeure titulaire à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, et directrice du programme de maîtrise en gestion des soins de santé. Elle détient une bourse professorale d’excellence Telfer en recherche.

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