(Cet article a été traduit de l’anglais.)
L’automne dernier, de nombreux Canadiens ont été choqués par la couverture médiatique du conflit de pêche en Nouvelle-Écosse où on voyait des foules non autochtones menacer des pêcheurs mi’kmaq et brûler des bateaux et des bâtiments d’usine. Avec l’ouverture des pêcheries de 2021, de tels conflits vont-ils se reproduire ? Les risques sont élevés, et la situation exige de nouvelles approches de la part de l’industrie, du gouvernement et des dirigeants des Premières Nations.
La quasi-totalité des 35 Premières Nations des Maritimes et du Québec, dont les droits de pêche issus de traités ont été reconnus par l’arrêt Marshall de 1999 de la Cour suprême du Canada, participent maintenant à une pêche commerciale régulière au moyen de permis communautaires délivrés par Pêches et Océans Canada (MPO). Ils pratiquent également la pêche à petite échelle à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles, un droit autochtone inhérent reconnu par la Cour en 1990 dans l’arrêt Sparrow. La crise de 2020 a débuté lorsque quelques communautés mi’kmaq ont commencé à délivrer leurs propres permis à leurs membres pour qu’ils puissent pratiquer une pêche du homard commerciale à petite échelle et ainsi gagner des moyens de subsistance convenables, un droit issu du traité reconnu dans l’arrêt Marshall. Les pêcheurs non autochtones ont réagi, parfois violemment, à l’idée d’une nouvelle pêcherie opérant en dehors des permis, des saisons et des zones de pêche réglementés par le MPO. (Le rapport du Comité permanent des pêches et des océans, qui vient d’être publié, explore en détail les questions entourant la pêche de subsistance modérée.)
Les tensions entre les pêcheurs autochtones et non autochtones ont été amplifiées par la désinformation et les échanges hostiles dans les médias sociaux, mais d’autres facteurs entrent en jeu. Le MPO n’a pas de mandat clair et n’a pas la capacité d’appliquer rigoureusement les politiques et les règlements dans toutes les pêches, y compris celle à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles, ce qui a contribué aux tensions entre les communautés. De plus, l’achat récent de Clearwater Seafoods, le plus grand producteur de mollusques et de crustacés au Canada, par sept Premières Nations mi’kmaq et une multinationale, a alimenté les inquiétudes des pêcheurs non autochtones quant à la prise de contrôle des pêches côtières par des entreprises. De plus, l’absence actuelle de tables de dialogue formelles et informelles pour réunir les groupes de pêcheurs autochtones et non autochtones a favorisé la méfiance et une mauvaise compréhension des intérêts et des aspirations de chacun. Le représentant spécial fédéral nommé en octobre, Allister Surette, décrit la situation dans son récent rapport au MPO.
En réponse aux problèmes de 2020, le MPO a récemment annoncé une politique de « nouvelle voie » pour 2021 pour les Premières Nations pratiquant la pêche de subsistance modérée dans les Maritimes et en Gaspésie. Cette pêche nécessitera des permis du MPO et devra se conformer aux règles du ministère en ce qui concerne les saisons, les spécifications des engins de pêche, la déclaration des prises et les zones de pêche. Le MPO aidera les Premières Nations à obtenir davantage de permis et à planifier des activités de pêche de subsistance modérée conformes aux règlements du MPO. La nouvelle politique promet également des mesures plus sévères contre le harcèlement des pêcheurs mi’kmaq et une application plus rigoureuse des règlements de pêche par les agents du MPO.
Les chefs des Premières Nations des Maritimes, avec l’appui des dirigeants des Premières Nations nationales, s’opposent à cette nouvelle position fédérale, qu’ils considèrent comme une atteinte à leur autonomie gouvernementale et à leurs droits de pêche sans les consultations officielles et la justification claire exigées par l’arrêt Marshall et l’arrêt Badger de la Cour suprême. Certains chefs mi’kmaq disent que leurs pêcheurs commenceront bientôt à pratiquer une pêche de subsistance modérée avec leurs propres permis et selon leurs saisons, au mépris des règles du MPO. S’ils le font et que le MPO s’en tient à ses engagements, les pêcheurs seront mis en accusation, et leurs bateaux et leur matériel seront saisis. Le MPO a déjà commencé à saisir des casiers à homard ― plus de trois douzaines dans un seul cas en avril ―, et la Première Nation Potlotek du Cap-Breton demande une injonction pour tenter d’empêcher le MPO de procéder à d’autres saisies.
La nature des droits des Premières Nations à pratiquer et à autoréguler une pêche de subsistance modérée sera déterminée par des négociations de nation à nation et des décisions judiciaires, et cela prendra du temps, peut-être des années. Dans l’immédiat, une polarisation et un conflit supplémentaires ne feront que nuire à la recherche d’une solution. La voie la plus sage est de commencer à s’appuyer sur les intérêts communs substantiels de toutes les parties. Toutes les communautés côtières ont un intérêt commun à protéger les stocks de poisson et à atténuer les changements climatiques. La pêche a connu une croissance spectaculaire au cours de la dernière décennie en raison de la hausse de la demande mondiale de produits de la mer, et les pêcheurs autochtones et non autochtones ont beaucoup à gagner en travaillant ensemble pour faire progresser le développement social et économique des régions côtières. La réussite économique des Premières Nations profite aux communautés environnantes, ce qui peut constituer une force puissante pour changer les attitudes préjudiciables. La réussite économique de la Première Nation de Membertou au Cap-Breton, par exemple, est une étude de cas détaillée par Mary Beth Doucette et l’un d’entre nous, Fred Wien, dans Engraved On Our Nations: Indigenous Economic Tenacity, qui sera publié par University of Manitoba Press.
De plus, de nombreux propriétaires exploitants de la pêche côtière dans les Maritimes atteignent l’âge de la retraite, de sorte que l’expansion des pêches des Premières Nations peut aider à relever les défis de l’offre de main-d’œuvre et de la relève intergénérationnelle.
Mais par où commencer ? La crise actuelle repose sur trois réalités sous-jacentes auxquelles il faut s’attaquer.
Tout d’abord, avec les décisions successives de la Cour suprême et le nouvel engagement du Canada en faveur de la réconciliation, il est évident que les pêcheries des Premières Nations vont continuer à se développer. Il faut trouver des moyens d’aller de l’avant dès maintenant par un traitement équitable des pêcheurs autochtones et non autochtones et un engagement respectueux envers eux.
Deuxièmement, le développement continu des pêcheries indigènes doit prendre forme dans le cadre d’un régime de gestion de la conservation fondée sur la science qui s’assure la santé et la durabilité à long terme de l’écosystème. Alors que les stocks de homard et de crabe dominants sur le plan commercial sont stables, les populations de hareng et de maquereau n’ont jamais été aussi faibles. L’organisme scientifique qui est à l’origine de la Loi sur les espèces en péril a désigné plusieurs espèces de poissons de fond ainsi que le thon et l’anguille comme étant menacés ou en voie de disparition. Pour relever ces défis, il faudra une planification concertée ainsi qu’une surveillance et une application rigoureuses des limites de récolte pour toutes les pêches.
Enfin, certains pêcheurs non autochtones ont adopté un comportement violent et raciste, et certains pêcheurs autochtones de quelques Premières Nations des Maritimes auraient pêché et vendu illégalement d’importantes quantités de homard sous couvert de la pêche à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles. Les leaders des communautés de pêcheurs autochtones et non autochtones doivent être plus proactifs pour contrer les activités qui nuisent au dialogue constructif et à la résolution des problèmes.
Le point de départ incontournable pour désamorcer les tensions actuelles est de reconnaître la réalité du racisme ― le racisme systémique qui a refusé aux Premières Nations l’accès aux ressources des eaux territoriales pendant des générations, les attitudes toxiques très présentes dans les médias sociaux et la violence observée l’année dernière sur les quais du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. En ce moment critique, il est impératif que les dirigeants de l’industrie, les chefs de gouvernement et les leaders des communautés de la côte s’attaquent activement à ces réalités en prenant des mesures judicieuses pour changer les attitudes et les comportements.
Le MPO fait face à un défi particulier dans la mise en œuvre de sa politique de nouvelle voie. Si les agents du MPO accusent les pêcheurs mi’kmaq de ne pas avoir respecté des règles qui étaient peu appliquées dans le passé, leurs chefs demanderont à juste titre pourquoi cette nouvelle approche de tolérance zéro ne s’applique qu’à eux. Tous les gens habitant sur la côte savent que les flottes de pêche non autochtones abusent des limites de casiers, des zones, des registres de prises, des règlements relatifs aux propriétaires exploitants ou d’autres règles. Le MPO devrait faire tout son possible pour s’assurer que le traitement des pêcheurs mi’kmaq est équitable et qu’il ne s’agit pas, en fait ou en apparence, d’une continuation de la gouvernance coloniale et du racisme systémique.
Il y a un travail difficile à faire. Pendant que les négociations et les actions en justice se poursuivent sur les grandes questions, il est nécessaire de créer immédiatement de nouvelles tables de dialogue pour aider à gérer les pêches à l’échelle locale et régionale, et entreprendre de nouvelles collaborations entre les groupes de pêcheurs autochtones et non autochtones concernant la formation et le mentorat, la planification de la conservation, la recherche et la collecte de données. Le gouvernement devrait fournir des fonds aux organisations de pêcheurs autochtones et non autochtones, ainsi qu’aux autres organisations, pour soutenir les programmes de lutte contre le racisme, l’éducation du public et les activités d’engagement intercommunautaire. Les médias ont également un rôle à jouer pour favoriser la compréhension mutuelle en présentant le contexte historique et en transmettant équitablement les expériences et les points de vue des différentes parties.
Le rôle le plus important des leaders des communautés autochtones et non autochtones est peut-être de communiquer des messages qui font entrevoir un avenir plus positif, qui va au-delà des défis actuels. Dans cinq ans, et dans cinq générations, les pêcheurs mi’kmaq et non autochtones vivront encore dans des communautés voisines et navigueront depuis les mêmes ports pour pêcher les mêmes stocks. Si nous travaillons ensemble dans la paix et l’amitié pour gérer les ressources et fournir des fruits de mer aux marchés locaux et mondiaux qui ont été récoltés de manière durable, nos communautés s’enrichiront ― sur les plans économique, social et culturel ― grâce à la générosité de la mer. C’est l’avenir auquel nous devons tous travailler.