Il y a maintenant un an, soit en juin 2020, que les commissions scolaires francophones du Québec ont été transformées en centres de services scolaires, après l’adoption sous bâillon du projet de loi 40 sur l’organisation et la gouvernance scolaires en février 2020. Cette réforme du mode de gouvernance visait à « rapprocher la prise de décision le plus près possible des élèves et des personnes directement impliquées auprès d’eux ». Elle abolissait les élections scolaires et, en lieu et place des conseils des commissaires élus, créait des conseils d’administration formés de parents, de membres du personnel et de membres de la communauté.

Or des parents qui siègent au sein des nouvelles instances se sentent privés de leur voix. Dans le cas du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), mis sous tutelle en juin 2021, on peut même parler de crise : 8 des 15 membres du conseil d’administration ont démissionné depuis avril 2021.

Enjeux du nouveau mode de gouvernance

La gouvernance scolaire s’exerce grâce aux activités complémentaires de trois paliers. L’instance centrale se compose de l’Assemblée nationale, du gouvernement et du ministère de l’Éducation. L’instance intermédiaire correspond aux centres de services scolaires et l’instance locale est formée par les établissements d’enseignement — écoles, centres d’éducation des adultes et centres de formation professionnelle. Historiquement, les commissions scolaires étaient très nombreuses (il y en avait 1 788 en 1960) et une confusion régnait quant à leur rôle. Dans une volonté de rationalisation et par le jeu des fusions, le découpage territorial a abouti, après la déconfessionnalisation de l’éducation en 1998, à la création de 72 commissions scolaires linguistiques : 60 francophones, 9 anglophones et 3 à statut particulier.

Le projet de loi 40 visait à dépolitiser la gestion scolaire et à rapprocher la prise de décision des élèves. Cependant, l’éducation étant un bien public qui sous-tend des choix déterminés par des valeurs, il n’est pas possible d’en dépolitiser entièrement la gestion. Le nouveau mode de gouvernance scolaire favorise plutôt une monopolisation de la dimension politique par le ministre de l’Éducation, alors qu’auparavant, c’était aussi les élus scolaires qui portaient localement cette dimension. De plus, il n’y a aucun signe apparent que ce nouveau mode de gouvernance contribue à rapprocher la prise de décision des élèves.

Le nouveau mode de gouvernance scolaire favorise plutôt une monopolisation de la dimension politique par le ministre de l’Éducation, alors qu’auparavant, c’était aussi les élus scolaires qui portaient localement cette dimension.

Chaque conseil d’administration est composé de cinq parents élus par et parmi les personnes qui siègent au comité de parents, de cinq membres du personnel élus par leurs pairs et de cinq représentants de la communauté désignés par cooptation par les membres parents et les représentants du personnel. Un règlement concernant les normes en matière d’éthique et de déontologie impose un contraignant devoir de réserve et de loyauté envers le centre de services scolaire : les membres des conseils d’administration peuvent difficilement s’exprimer publiquement sur des enjeux scolaires. Or les parents intéressés par la gestion scolaire sont habituellement des personnes qui défendent des valeurs ; c’est d’ailleurs ce qui motive leur engagement. Il est donc compréhensible qu’ils se sentent « privés de leur voix ». Les directions générales des centres de services scolaires, seules porte-parole autorisées, sont absentes de l’espace public. Elles sont redevables au ministre (et non plus à des élus scolaires) et c’est le devoir de loyauté qu’elles s’imposent à l’endroit de celui-ci qui explique leur silence.

Commentant la démission de cinq administrateurs, la directrice générale du Centre de services scolaire des Chic-Chocs, en Gaspésie, parle d’une insatisfaction quant à leur rôle, mais aussi d’une incompréhension de leur mandat : « L’ancien conseil des commissaires était responsable des moyens d’action pour répondre aux prescriptions ministérielles. La distinction avec le conseil actuel est qu’il a un rôle de conseil et de vigie mais sur la manière dont les moyens seront mis en place plutôt que sur les moyens eux-mêmes. »

Voici un exemple de ce changement de mandat : un conseil d’administration ne pourra plus s’interroger sur la pertinence — ou non — de fermer une école en raison d’une baisse du nombre d’élèves dans le secteur concerné. Désormais, il pourra tout au plus s’assurer que la décision a été prise en conformité avec les normes et les procédures du centre de services scolaire. En d’autres mots, le pouvoir d’influence des conseils des commissaires élus a été transformé en un devoir de vigie du conseil d’administration, qui est devenu une sorte de comité de surveillance.

En outre, les argumentaires soutenant la prise de décision sont souvent orientés en fonction de la seule option que la direction générale du centre de services scolaire propose au conseil d’administration. Autre problème, aussi observé dans le milieu municipal : le fait de délibérer en séance plénière (sans public) sur les enjeux suscitant la controverse transgresse le principe démocratique de la délibération publique. Ce faux vernis d’unanimité ajoute à la déception de certains membres. La formation, obligatoire pour les membres des conseils d’administration, ne vise pas non plus à renforcer la participation des parents : confiée à l’École nationale d’administration publique, elle est orientée vers la Nouvelle gestion publique (NGP). Celle-ci calque les pratiques de gestion du secteur privé en insistant sur les modalités (rendre les processus de gestion plus efficients) au détriment des finalités (la raison d’être des institutions, dans ce cas-ci, celle d’instruire, de socialiser et de qualifier tous les élèves).

La formation calque les pratiques de gestion du secteur privé en insistant sur les modalités (rendre les processus de gestion plus efficients) au détriment des finalités (la raison d’être des institutions, dans ce cas-ci, celle d’instruire, de socialiser et de qualifier tous les élèves).

La nouvelle gouvernance a permis de revoir certaines fonctions du conseil d’établissement (il possède désormais un pouvoir d’initiative), de créer un Comité d’engagement pour la réussite des élèves (CERE), et de remanier certaines fonctions du Comité de parents et du Comité de répartition des ressources (CRR). Le milieu scolaire a bien accueilli ces modifications, mais leur mise en œuvre connaît des ratés.

En ce qui concerne le CRR, par exemple, les directeurs d’école (qui y sont majoritaires) sont heureux de participer à la répartition des ressources (financières, matérielles, humaines) entre les établissements d’un centre de services scolaire, mais ils déplorent parfois l’influence trop grande de la direction générale du centre.

Le CERE est un outil de gestion axé sur les résultats (une des dimensions de la NGP) qui doit analyser les résultats des élèves et formuler des recommandations ; il peut remplir son rôle en embrassant une conception large de la réussite éducative, mais il peut aussi se concentrer sur les seuls résultats scolaires des élèves, amplifiant les risques d’une dérive gestionnaire. En effet, les résultats inscrits aux bulletins des élèves, indicateurs du degré de réussite d’un parcours scolaire circonscrit dans le temps (une étape, une année scolaire, un niveau scolaire), ne traduisent pas toutes les nuances de la réussite éducative qui se déploie sur un temps beaucoup plus long. L’« enseignement pour l’examen » (teaching to the test), qui vise à orienter l’enseignement en fonction de la réussite d’un examen plutôt qu’en fonction des finalités d’une formation fondamentale, est un exemple de cette dérive gestionnaire dans le champ pédagogique.

Changer la culture plutôt que la structure

Le modèle d’une structure intermédiaire de gestion scolaire présente plusieurs avantages. Il renforce la proximité par rapport au territoire concerné et à sa population, ce qui favorise une répartition plus équitable des ressources entre les établissements. Il permet un partage d’expertises (services techniques et professionnels) et rend la gestion de certains services (transport scolaire, gérance des biens immobiliers) plus efficace. Le choix de maintenir une instance de gestion intermédiaire est donc judicieux.

La décision d’abolir les élections scolaires avait été prise en raison de la baisse considérable du taux de participation aux élections depuis les années 1990, ce qui soulevait la question de la représentativité des élus. Certes, la participation électorale tend à diminuer lorsqu’il y a un désengagement collectif, comme cela s’observe en Occident, mais dans le cas des élections scolaires québécoises, cette baisse était couplée à d’autres phénomènes tels que la détermination des priorités par les directions générales des commissions scolaires et la participation effective des élus à la gouvernance scolaire. Le choix de remplacer les conseils des commissaires élus par des conseils d’administration composés de parents, d’employés et de membres de la communauté est aussi pertinent.

Toutefois, un mode de gouvernance a peu d’impact sur la réussite éducative des élèves et sur la performance des systèmes scolaires. Les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) confirment que les élèves québécois se classent parmi les meilleurs au monde ; on peut donc prétendre à une efficacité du système scolaire québécois, malgré des problèmes comme la vétusté des infrastructures scolaires et la pénurie d’enseignants et de professionnels qualifiés.

Au-delà des structures, c’est un changement de culture qui est nécessaire s’il y a une réelle volonté de renforcer la démocratie scolaire. Le ministre de l’Éducation devrait faire acte d’humilité et se mettre davantage en mode « écoute », afin de définir et de mettre en œuvre les ajustements dont le nouveau mode de gouvernance scolaire a besoin.

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Jean Bernatchez
Jean Bernatchez est professeur en administration et politiques scolaires à l’Université du Québec à Rimouski. Politologue spécialisé en éducation, il est membre du Groupe de recherche interrégional sur l’organisation du travail des directions d’établissement d’enseignement du Québec (GRIDE).

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