
(English version available here)
Le Canada compte une riche histoire de communautés qui travaillent ensemble pour recueillir des fonds et parrainer les réfugiés qui s’installent dans notre pays. Des organismes communautaires d’un océan à l’autre tentent d’assurer un avenir meilleur aux personnes forcées de fuir leur terre natale. Cependant, au Québec, ces groupes font face à des défis supplémentaires.
L’arrivée de réfugiés en provenance du Vietnam, du Cambodge et du Laos à la fin des années 1970 a marqué notre histoire, tout comme celle plus récente de Syriens, il y a une dizaine d’années. Dans les deux cas, le Québec a joué un rôle important.
Un fait peut-être un peu moins connu est que plus de 400 000 personnes ont immigré au Canada grâce au parrainage de réfugiés. Ce parrainage permet aux Canadiens de répondre aux crises humanitaires et d’exprimer leur solidarité envers les personnes réfugiées. Aujourd’hui, des groupes soutiennent des Afghans, des Irakiens, des Congolais et des Érythréens. Ils soutiennent également des personnes LGBTQ dont les droits ne sont pas protégés dans leur pays d’origine.
Ce programme s’appuie sur des citoyens qui forment des groupes de parrainage et fournissent une aide financière et un soutien à l’intégration pendant l’année suivant l’arrivée au Canada. Les groupes choisissent les personnes qu’ils aideront. Souvent, la personne réfugiée est un ami ou un parent d’un membre du groupe. Partout au pays, le programme est administré par le gouvernement fédéral, sauf au Québec.
De nombreuses politiques d’immigration au Québec sont distinctes, puisque le gouvernement fédéral permet à la province d’avoir certains pouvoirs en la matière. Depuis la fin des années 1990, le gouvernement du Québec contrôle ainsi des aspects du parrainage des réfugiés. Quatre différences clés montrent comment le programme québécois est menacé par son propre gouvernement.
Des cibles réduites et insuffisantes
Le Québec a considérablement réduit le nombre de réfugiés parrainés admissibles dans la province. Dans le cadre de ses cibles annuelles d’immigration, le gouvernement vise entre 1850 et 2100 parrainages cette année. Il y a six ans, le maximum était de 4400.
Une fois les objectifs fixés, les deux niveaux de gouvernement doivent s’efforcer de les atteindre, mais ces dernières années, le Québec n’a jamais réussi à tenir sa promesse, comme le montre la figure 1.
Les restrictions de voyage imposées pendant la pandémie de COVID-19 ont fortement affecté les cibles de 2020 et 2021. Mais l’année suivante, alors que la vie reprenait son cours normal, 2010 réfugiés parrainés sont arrivés sur un objectif de 2750 à 3000. En 2023, le même objectif a été fixé, mais seulement 1190 réfugiés ont été accueillis. En comparaison, plus de 4000 réfugiés parrainés sont arrivés au Québec chaque année entre 2016 et 2018. Le contraste est saisissant.
La baisse des cibles du Québec et son incapacité à les atteindre contrastent avec le reste du pays, où les objectifs ont non seulement été augmentés, mais aussi atteints. Quelque 22 517 réfugiés parrainés sont arrivés au Canada en 2022, et 27 655 en 2023. Le Québec a le taux de réinstallation de réfugiés le plus bas de toutes les provinces.
De longs délais de traitement
Le fait de traiter moins de demandes entraîne une augmentation des délais d’attente. L’an dernier, des reportages ont révélé que le gouvernement du Québec avait mis en veilleuse des demandes de réfugiés afghans, alors qu’Ottawa les priorisait. Comme l’a rapporté Le Devoir, une famille afghane est arrivée dans les six mois qui ont suivi la présentation d’une demande par un groupe de Toronto. Un an plus tard, un groupe de Montréal attend toujours que le Québec évalue une demande faite au même moment.
La ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette, a promis que toutes les demandes seraient traitées et envoyées à Ottawa d’ici la fin de l’année 2023. Pourtant, de nombreuses organisations n’ont reçu aucune réponse à des demandes soumises dès 2022, même si des organismes de parrainage ont demandé des améliorations.
Les longs délais d’attente placent les réfugiés qui sont toujours à l’étranger dans des situations périlleuses. Les familles afghanes qui ont fui vers des pays tels que le Pakistan ou le Tadjikistan pour échapper aux talibans, doivent souvent payer des pots-de-vin pour prolonger leur statut d’immigrant ou trouver un logement. Certains développent des problèmes de santé. Les groupes de parrainage finissent par envoyer de l’argent à l’étranger pour aider les réfugiés, qui ne peuvent rien faire d’autre qu’attendre et espérer.
Un manque de consultation et de collaboration
Les réfugiés parrainés reçoivent le statut de résident permanent dès leur arrivée au Canada et leurs parrains les aident à s’adapter à leur nouveau pays. Les gouvernements et les groupes de parrainage doivent travailler ensemble pour que cette approche réussisse.
Le fédéral déploie des efforts considérables pour collaborer avec les groupes de parrainage. Il finance la formation et soutient les efforts de coordination par des organisations de parrainage expérimentées, notamment par des rencontres régulières. Cela permet d’assurer une communication claire et une bonne gestion du programme.
Le gouvernement du Québec finance l’embauche d’une personne-ressource pour le parrainage des réfugiés, mais l’interaction entre les organismes et les représentants du gouvernement est minime. Les groupes de parrainage ne sont pas informés des changements de politique.
Des obstacles pour les organismes expérimentés
Tant au niveau fédéral qu’au Québec, il existe trois types de parrainage. Premièrement, de petits groupes d’individus peuvent se présenter sur une base ad hoc dans le cadre du programme fédéral du « groupe de cinq » et, au Québec, du programme du « groupe de 2 à 5 ». Deuxièmement, les organismes communautaires peuvent poser leur candidature dans le cadre de programmes spécifiques à chaque ordre de gouvernement. Troisièmement, des organismes qui ont une plus grande expérience du parrainage travaillent avec des organismes locaux ou des co-parrains pour aider les réfugiés après leur arrivée. Ces organismes sont connus sous le nom de signataires d’entente de parrainage (SEP) dans toutes les provinces, sauf au Québec, où ils sont appelés « organismes expérimentés».
Les organismes avec une plus grande capacité et mieux établis apportent leur expertise aux co-parrains des réfugiés et garantissent des résultats constants. Au niveau fédéral, la plupart des demandes sont soutenues par des SEP. En revanche, le gouvernement du Québec semble préférer travailler avec des groupes ad hoc. Plus de la moitié des places disponibles pour les demandes de parrainage dans la province leur sont réservées.
Le gouvernement québécois choisit un nombre limité de demandes via une loterie. Ce n’est pas le cas dans le cadre du programme fédéral, bien que des contrôles à l’admission soient envisagés. Les défenseurs du parrainage de réfugiés au Québec ont dénoncé le système de loterie.
Les exigences en matière de soutien financier varient en fonction du type d’organisme de parrainage. Tous les groupes dont la demande est acceptée doivent avoir suffisamment d’argent pour soutenir les réfugiés qu’ils parrainent. Au fédéral, les parrains sont encouragés à recueillir des fonds et à les conserver dans un compte en fiducie. Au Québec, les parrains ad hoc sont évalués sur la base des revenus des deux à cinq membres du groupe. Un récent changement de politique au Québec cible les parrains expérimentés et affaiblit la surveillance du programme.
Québec a récemment informé les organisations qu’il était interdit de conserver des fonds en fiducie, après avoir enquêté sur des cas de fraude présumée. Cela a laissé les groupes de parrainage exaspérés et incertains sur la façon de gérer la suite. Cette nouvelle politique n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune discussion entre le gouvernement et la communauté de parrainage. Des organismes de longue date ont indiqué qu’ils n’étaient pas certains de pouvoir poursuivre leur travail.
Interdire aux groupes de conserver des fonds en comptes fiduciaires va à l’encontre des meilleures pratiques en matière de parrainage de réfugiés. Ces comptes permettent aux parrains de répondre aux besoins des réfugiés une fois qu’ils sont arrivés. L’approche du Québec, qui consiste à interdire les fiducies et à préférer les groupes ad hoc, ne permet pas d’assurer la conformité ou la bonne gestion des parrainages.
Québec doit changer de cap
Le parrainage de réfugiés fait depuis longtemps partie de l’identité canadienne. Si le Québec veut garantir la viabilité du parrainage et le respect de ses objectifs humanitaires, il doit réformer son programme. De nombreux citoyens et groupes du Québec sont prêts à parrainer des réfugiés, mais ils sont découragés par les obstacles résultant de l’approche du gouvernement actuel.
Les objectifs doivent être revus à la hausse, les délais de traitement doivent être réduits, une plus grande collaboration est nécessaire et les groupes de parrainage devraient être encouragés à détenir des fonds en fiducie afin de garantir un bon accueil aux nouveaux arrivants. Ces changements soutiendraient également les citoyens désireux d’aider les réfugiés à commencer une nouvelle vie au Québec.