(Cet article a été traduit en anglais.)

Fin mai 2021, les Canadiens semblent avoir reçu un violent choc frontal en apprenant que les restes de 215 enfants ont été repérés par géoradar dans une fosse commune non marquée à côté de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique. Quelques semaines plus tard, en juin 2021, une opération similaire dans un ancien cimetière dépouillé de ses pierres tombales révélait la présence de 751 restes humains à côté de l’ancien pensionnat autochtone de Marieval, en Saskatchewan. D’autres sites sont en train d’être examinés, et la liste continuera sûrement de s’allonger.

La terrible histoire des pensionnats autochtones, mise en lumière par la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVRC), qui a œuvré de 2007 à 2015, a ainsi acquis une tangibilité qui avait échappé jusque-là à la plupart des non-Autochtones. Cependant, les fouilles n’avaient pas été ordonnées par le gouvernement fédéral : elles avaient été effectuées à la demande des Premières Nations concernées.

Ce n’est pas la stupeur de la majorité des Canadiens qui a surpris les Autochtones et les spécialistes universitaires, mais celle des membres des diverses classes politiques, puisque la CVRC avait consacré tout le quatrième volume de son rapport aux « Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués ». Dans ces 305 pages, l’estimation d’alors était que, parmi les quelque 150 000 enfants ayant fréquenté les pensionnats autochtones, au moins 3 200 n’étaient jamais rentrés chez eux. Depuis, le chiffre a été revu nettement à la hausse : on pense qu’au moins 6 000 enfants sont décédés dans ces écoles résidentielles. La Commission avait également consacré 6 de ses 94 appels à l’action aux « enfants disparus et renseignements sur l’inhumation ». Mais jusqu’à maintenant, l’État fédéral y avait donné peu de suite, fidèle au comportement adopté par le passé après la publication de précédents rapports de commissions.

Le gouvernement et l’Église

L’existence du cimetière du pensionnat de Marieval était connue. Les cimetières d’autres pensionnats l’étaient tout autant, soit parce qu’ils étaient officiels, soit parce que des articles ou des reportages avaient déjà paru au sujet de découvertes fortuites. Par exemple, comme le note ma collègue historienne Catherine Larochelle, une érosion sur le terrain de l’ancienne école industrielle St. Joseph, près de Calgary, avait mené en 1996 à la découverte de restes d’enfants dans des sépultures restées anonymes. Cette histoire avait donné lieu en 2014 à un court métrage intitulé Little Moccasins, accessible sur YouTube depuis 2019. À sa sortie, ce petit film de 9 minutes 24 n’avait pas attiré l’attention des médias ni suscité la moindre réaction politique.

Le premier ministre Justin Trudeau a réclamé des excuses au pape, mettant en cause l’Église catholique comme s’il découvrait la responsabilité de son clergé dans la politique des pensionnats. Or l’appel à l’action 58 du rapport de la CVRC, rendu public en 2015, demandait déjà que l’Église catholique présente ses excuses « dans un délai d’un an suivant la publication du présent rapport ». Si Justin Trudeau ou ses conseillers avaient vraiment pris connaissance des volumes de ce rapport, ils auraient été au courant du rôle de l’Église dans cette sombre affaire.

De toute façon, quiconque ayant suivi un minimum de cours d’histoire du Canada à l’école secondaire devrait avoir appris l’importance des missionnaires catholiques dans la colonisation du territoire, la création des hôpitaux et des établissements d’enseignement, et la prise en charge des « affaires indiennes ». Ce rôle des missionnaires a été un fait avéré dès la Nouvelle-France et encore plus au 19e siècle, à partir de l’arrivée au Canada des Oblats de Marie-Immaculée, une congrégation française, au début des années 1840.

La politique des pensionnats autochtones se résumait à trois mots : « civiliser », christianiser et éduquer. Au 19e siècle et jusqu’à la fin des années 1960, il était à peine pensable au Canada de « civiliser » sans christianiser. Un bon citoyen devait être chrétien.

La politique des pensionnats autochtones se résumait à trois mots : « civiliser », christianiser et éduquer. Au 19e siècle et jusqu’à la fin des années 1960, il était à peine pensable au Canada de « civiliser » sans christianiser. Un bon citoyen devait être chrétien. Cette histoire n’est pas si lointaine. Il n’en demeure pas moins que c’est l’État fédéral qui a créé et mis en œuvre, dès les années 1880, la politique des pensionnats autochtones, sous l’un des mandats du premier ministre John A. MacDonald. Ce n’est qu’en 1996 que le dernier pensionnat, qui se trouvait en Saskatchewan, a fermé ses portes.

Il est indéniable que l’Église catholique, qui a dirigé 57 % des pensionnats autochtones canadiens confiés à diverses congrégations masculines et féminines, a une large part de responsabilité, qu’elle partage avec d’autres Églises. Rappelons toutefois que le gouvernement fédéral a mis fin aux ententes avec les clergés en 1969 et que les pensionnats ont continué d’exister pendant près de 30 ans. 

Connaître l’histoire des pensionnats autochtones

Justin Trudeau a annoncé qu’ensemble, nous devons « tirer les leçons de notre passé », mais pour cela, il faudrait le connaître, ce passé. Le premier constat que l’on peut tirer des réactions de nos représentants politiques, c’est qu’ils connaissent mal l’histoire de leur pays. Comme on le sait, il faut réformer le programme d’histoire à l’école pour y inclure l’histoire des pensionnats autochtones et celle du contexte qui a permis et justifié leur création. Il faudrait aussi rappeler que, si des pensionnats pour les Autochtones existaient déjà avant la Confédération au Canada, le modèle qui a servi à mettre en place le système canadien était notamment l’école industrielle de Carlisle, en Pennsylvanie.

C’est un ancien militaire et l’auteur de la fameuse phrase « Kill the Indian, Save the Man », Richard Pratt, qui a créé ce pensionnat. Nicholas Flood Davin, membre du Parlement canadien, nommé par le gouvernement pour investiguer le système américain d’écoles industrielles pour enfants autochtones, l’a visité en 1879, année de sa création. Les écoles industrielles visaient à apprendre divers métiers aux enfants de 7 à 14 ans ; les premières ont vu le jour en Grande-Bretagne et étaient destinées à « réformer » les enfants vagabonds, mendiants et délinquants.

Il faudrait aussi enseigner à l’école qui était Peter Bryce et pourquoi le gouvernement fédéral a tabletté son rapport d’expert. Médecin en chef du ministère de l’Intérieur (dont dépendait le ministère des Affaires indiennes), il avait été mandaté en 1907 pour mener une étude sur les conditions sanitaires dans les pensionnats de l’Ouest canadien. Ayant constaté des taux anormalement élevés de décès dans ces écoles, notamment à cause de la tuberculose, de conditions de vie insalubres et d’un manque criant de soins médicaux, il avait recommandé dans son rapport que le gouvernement améliore ses politiques nationales. Son rapport n’ayant jamais été publié ni mis en application, il l’a rendu public après sa mise à la retraite, en 1922, sous le titre The Story of a National Crime Being an Appeal for Justice to the Indians of Canada.

Ironiquement, Peter Bryce est enterré dans le cimetière Beechwood, à Ottawa, où ont aussi été inhumés Nicholas Flood Davin et Duncan Campbell Scott, surintendant aux Affaires indiennes, qui avait bloqué le rapport de Bryce et mis en application et étendu le système de pensionnats.

Deuxième constat : nos politiciens (et nos cadres politiques) ne semblent pas lire les rapports des commissions payées par les contribuables, ces mêmes contribuables qui les ont élus pour les représenter. Ils ont pourtant du personnel qui pourrait en faire des résumés. Ces commissions sont constituées d’experts qui abattent en quelques années un travail colossal pour rédiger de précieux textes très étoffés qui présentent des avis éclairés. On ne s’attend pas à ce que tous les Canadiens lisent ces rapports, mais ceux qui sont responsables de prendre acte de leur contenu, de mettre en œuvre leurs recommandations et de changer les politiques publiques à la lumière de leurs expertises doivent bien les connaître et orienter leurs programmes et leurs politiques en conséquence.

Aujourd’hui, le Canada se retrouve face à son histoire coloniale devant les médias du monde entier. Il aurait mieux valu que les journalistes nationaux et internationaux parlent de l’exécution des demandes des appels à l’action de la CVRC par son gouvernement, plutôt que de ces faits dramatiques.

Pour être mieux informés sur ce passé tragique, nos politiciens, ainsi que toute personne en position d’autorité susceptible de prendre des décisions pouvant affecter de près ou de loin des Autochtones, pourraient commencer par lire trois rapports : celui de la Commission royale sur les peuples autochtones (1991-1996), dont le chapitre 10 du premier volume traite des pensionnats, celui de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2019) et, bien sûr, celui de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015).

Au Québec, ajoutons celui de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, aussi appelée Commission Viens (2019). Au minimum, ils connaîtraient un peu plus l’histoire de leur pays. Mieux, cela les inciterait ― espérons-le ! ― à agir et à mettre enfin en œuvre des politiques publiques qui assument les responsabilités à l’égard des Autochtones et qui réparent les injustices du passé en apportant de réels changements dans la vie des Premières Nations, des Métis, des Inuits et de tous les Canadiens.

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Marie-Pierre Bousquet
Marie-Pierre Bousquet est directrice du programme en études autochtones de l’Université de Montréal et professeure titulaire au Département d’anthropologie.

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