(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Au Canada, se plaindre des infrastructures est aussi courant que de se plaindre du mauvais temps. Tout part du fait que les deux sont liés. Les hivers canadiens rigoureux et les fluctuations de température extrêmes ne sont pas sans conséquence pour les routes (et les véhicules) et autres infrastructures du pays.

Mais cela ne s’arrête pas là. Il semblerait que tout le monde ait une histoire à raconter sur un problème d’infrastructure. Dépassement des coûts. Retard de livraison. Résultats sous-optimaux. Des intérêts politiques qui l’emportent sur les faits.

Et pourtant, le Canada connaît aujourd’hui une relance du secteur des infrastructures d’une ampleur similaire à celle qu’a connue le pays dans les années 1950 et 1960, lorsque le Canada moderne – avec ses universités et collèges, ses hôpitaux, ses autoroutes – a été construit.

Le gouvernement fédéral, qui a passé une génération à réduire ses actifs et à se limiter aux dépenses strictement nécessaires, s’apprête aujourd’hui à prendre le devant avec un budget de plus de 180 milliards de dollars sur 12 ans – ce qui représente quasiment le double de ce qu’il était il y a moins d’une décennie, en valeur nominale. Il a également créé la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) favorable aux réformes.

Certaines provinces, comme l’Ontario, le Québec et l’Alberta ont créé des plans d’infrastructure à long terme et ont augmenté leurs dépenses de façon considérable. Les municipalités qui sont responsables d’environ 60 % des infrastructures publiques, mais ont une capacité fiscale moins importante qu’Ottawa et les provinces, ont elles aussi augmenté grandement leurs budgets.

Mais se souviendra-t-on de ces dépenses comme des mesures visionnaires, innovantes et inclusives, destinées à renforcer la productivité, la compétitivité et l’égalité sociale dans le pays ? Ou les échecs feront-ils oublier à l’opinion publique les succès remportés ?

Aujourd’hui, le succès repose sur la production d’infrastructures intelligentes, ou plus intelligentes. Une infrastructure intelligente résulte de la fusion des infrastructures physiques et numériques, dans le but d’améliorer l’information et de promouvoir une meilleure prise de décision pour des constructions et activités améliorées. En guise d’exemple, les technologies pour réseaux électriques intelligents promettent de réduire les coûts de production, de consommation et de distribution d’électricité en déterminant et en réduisant la consommation excessive, en adaptant l’offre à la demande et en fournissant de l’information aux consommateurs.

Les infrastructures numériques – capteurs et réseaux, mégadonnées et apprentissage machine – améliorent les capacités, l’efficacité, la fiabilité et la résilience. Elles sont donc essentielles pour tirer le meilleur des infrastructures déjà construites. Elles accroissent aussi l’efficacité de la planification des investissements dans les futures infrastructures. Une plus grande efficacité des infrastructures est également synonyme d’une prestation de services améliorée, de coûts réduits et souvent d’une présence physique et d’un impact environnemental moindres.

C’est à ce moment qu’entre en scène la BIC : pour participer au financement de la myriade de façons qu’utilisera le gouvernement pour garantir des résultats plus intelligents pour ses plans d’infrastructure.

La BIC s’attache principalement à lever 35 milliards de dollars de capital de départ pour attirer des investissements privés et institutionnels de manière à bâtir des infrastructures qui généreront des recettes. Elle est également chargée de mener une initiative plus vaste pour rassembler des données et des renseignements sur les infrastructures à l’échelle nationale en vue d’améliorer les données probantes servant à la prise de décision. Dans ce but, la BIC sera bien placée pour participer aux discussions concernant les priorités du Canada en matière d’infrastructure. Il faut se poser notamment la question si le Canada devrait adopter un point d’ancrage politique unique pour déterminer les priorités en matière d’investissement de capital, comme l’amélioration de la productivité, et établir quels secteurs et quelles initiatives passeraient en priorité.

Ce seraient, selon toute vraisemblance, deux grands secteurs interconnectés : 1) le secteur des transports, y compris les réseaux de transport multimodal (incluant diverses options de transport comme le transport en commun, le transport rapide amélioré et les autobus), ainsi que des infrastructures de transport pour faciliter les échanges commerciaux avec les États-Unis, et entre les côtes est et ouest du Canada et les marchés étrangers ; 2) les systèmes de télécommunications de prochaine génération, tels que les réseaux 5G, qui deviennent des technologies indispensables pour les pays en quête d’un avenir numérique, y compris pour les véhicules avec système d’aide à la conduite et les véhicules autonomes.

Le Canada est à l’avant-garde d’une tendance mondiale en faveur d’une plus grande implication du secteur privé dans la construction et les activités des actifs d’infrastructure publics. Les partenariats public-privé ont été un modèle innovant même si, selon certains spécialistes, ils n’ont jamais apporté le degré d’innovation envisagé, les gouvernements craignant de se tromper.

Et qu’en serait-il si les gouvernements ne se contentaient pas de signer des contrats pour construire les projets qu’ils ont retenus, mais ouvraient aussi le domaine de l’infrastructure, en demandant à tout venant de leur soumettre de nouvelles idées quant à ce qui pourrait être construit et à la façon de le faire ? Comme l’a dit un spécialiste des infrastructures : les propositions sollicitées engendreront des projets d’innovation « dans les normes », tandis que les propositions non sollicitées donneront lieu à des projets de « grande envergure ».

Le secteur de la construction au Canada est donc mûr pour une rupture numérique. Ce secteur, qui emploie environ 8 % de la population canadienne en âge de travailler, est à la traîne en termes de croissance de la productivité, hormis l’agriculture et la chasse. Il y a plusieurs raisons à cela. La construction est financée dans une large mesure par le gouvernement, ce qui signifie qu’elle demeure très réglementée, doit respecter des règles souvent opaques et est associée à une culture réfractaire aux risques.

Ce secteur est largement fragmenté, avec un écart marqué des capacités entre les sociétés internationales, nationales et locales, qui tirent souvent des avantages financiers de pratiques de passation de contrats très peu transparentes. Il est en retard par rapport à d’autres industries, telles que l’automobile et les services financiers, dans le déploiement des outils d’analyse et de planification avancés.

Une meilleure gestion de la chaîne d’approvisionnement et une meilleure exécution sur site, une meilleure passation de contrats, y compris une meilleure répartition du risque ainsi qu’une main-d’œuvre mieux formée, apporteraient grandement à ce secteur.

Le secteur des infrastructures reste ancré dans le passé – non seulement dans son mode de fonctionnement, mais aussi dans l’image qu’il projette souvent. L’asphaltage fait partie du secteur des infrastructures, bien évidemment. Mais c’est aussi le cas des données.

Une stratégie efficace en matière de données commence par un audit des actifs existants. Cet audit servira ensuite au déploiement d’une surveillance des données en temps réel et au partage de données sécurisées pour garantir un bénéfice maximal. Par exemple, Transport for London au Royaume-Uni est un chef de file sur le plan de l’échange d’information concernant les habitudes de déplacement, ce qui a encouragé la création d’applications de déplacement et d’alertes en temps réel, réduisant ainsi l’incertitude des utilisateurs et augmentant l’utilisation des transports en commun.

La BIC pourrait aider à piloter une initiative nationale destinée à étendre et à harmoniser la collecte et le déploiement de données relatives aux infrastructures.

Le secteur des infrastructures doit recruter des personnes formées dans les métiers spécialisés. Au cours de la prochaine décennie, à peu près 200 000 employés du secteur devraient partir à la retraite. Mais le système de formation en apprentissage sera mis à rude épreuve pour remplacer ceux qui partent, sans parler de l’accroissement des effectifs nécessaires pour répondre à la demande croissante.

Les études de métier continuent d’être perçues comme le cousin pauvre de la formation postsecondaire, derrière les universités et les collèges. Et le chemin vers un certificat d’apprentissage est particulièrement complexe ; il est notamment difficile de s’y retrouver dans les procédures d’inscription et les règles inflexibles concernant la formation en cours d’emploi.

Un effort national se fait attendre depuis longtemps. Les besoins différeront en fonction des provinces et des territoires, mais tous doivent s’attendre à relever des défis si l’on veut que les projets d’infrastructure puissent bénéficier de la main-d’œuvre qualifiée requise d’ici une à deux décennies.

La BIC pourrait aider à piloter une initiative nationale destinée à étendre et à harmoniser la collecte et le déploiement de données relatives aux infrastructures.

Les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux de l’infrastructure se réunissent maintenant tous les ans, y compris avec les représentants de gouvernements municipaux. De nombreux défis cités dans cette publication mériteraient d’être débattus lors de ces réunions, notamment en présence de la BIC.

Mais de manière plus générale, c’est l’image même du secteur des infrastructures en tant que catalyseur de la compétitivité et de la prospérité du Canada qui mérite d’être renforcée.

Il faut mettre en avant les meilleures pratiques, en citant l’exemple de Stratford, symbole de l’adoption précoce et à grande échelle de la technologie à large bande et des technologies numériques en Ontario. Des initiatives nationales telles que le Défi des villes intelligentes et le Défi CanInfra méritent d’être imitées, afin de poursuivre les efforts pour réfléchir intelligemment à ce que cela signifie de construire des infrastructures du 21e siècle.

Pour s’assurer que les fonds investis dans les infrastructures sont dépensés au mieux, les gouvernements devraient définir des priorités et prendre des décisions sur la base de ces principes :

  • une planification intelligente, qui privilégie les secteurs clés essentiels à la compétitivité et à l’innovation ;
  • un approvisionnement intelligent, qui donne le coup de fouet au processus d’approvisionnement traditionnel ;
  • une construction intelligente, qui est axée sur l’exécution et inclut le partage des meilleures pratiques dans le domaine des nouvelles technologies ;
  • une analyse comparative intelligente, qui utilise les données relatives pour renforcer les capacités ;
  • une stratégie d’emploi intelligente, qui se concentre sur les métiers spécialisés ;
  • une coordination intelligente, qui renforce l’image du secteur des infrastructures en tant que catalyseur de la prospérité du Canada.

Après tout, certaines des infrastructures bâties aujourd’hui, si elles sont bâties intelligemment, existeront toujours à l’aube du 22e siècle.

Cet article est adapté du rapport du Forum des politiques publiques intitulé Le Canada de demain : 12 façons de prévenir la rupture, qui regroupe 12 études sur les défis et possibilités des perturbations en cours au Canada.

Cet article fait partie du dossier Des politiques innovantes pour un Canada en mutation.

Photo : Shutterstock / Bro Crock.


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Drew Fagan
Drew Fagan est professeur à la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto et conseiller principal à la firme McMillan Vantage Policy Group. Il a été sous-ministre au gouvernement de l’Ontario et, au niveau fédéral,  chef de la planification des politiques au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, maintenant Affaires mondiales Canada.

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