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Alors que le Canada entre dans une période post-pandémique, comment le monde du travail change-t-il? Et quels seront les effets durables de la pandémie et des mesures de santé publique qui en ont découlé? Pour aider les travailleurs et les employeurs à franchir la prochaine étape, il est essentiel de comprendre comment le travail a été vécu depuis pendant la pandémie.
Jusqu’à récemment, les recherches concernant l’impact de la pandémie sur le travail et les travailleurs – de plus en plus nombreuses – s’étaient concentrées sur d’autres pays, notamment les États-Unis. Il n’y avait pas d’analyse fine de la façon dont les travailleurs ont vécu la pandémie au Canada. Les incertitudes économiques actuelles auxquelles les Canadiens sont confrontés rendent pourtant une telle analyse encore plus essentielle pour l’avenir du travail au pays.
Notre enquête « Shaping the Future of Work in Canada Survey » (Façonner l’avenir du travail au Canada), ou FWCS, menée à l’automne 2022, vient combler ce vide. Le sondage est tiré d’un échantillon aléatoire de plus de 5800 Canadiens salariés ou travailleurs autonomes âgés de 18 ans et plus, et qui ont fait partie de la population active pendant au moins un moment depuis mars 2020. Il documente les expériences des travailleurs, la qualité de leur emploi et leur bien-être pendant la pandémie. Il mesure également leurs préférences, leurs attentes et leurs projets professionnels futurs.
Trois grandes conclusions s’imposent.
Premièrement, ceux qui ont travaillé de la maison ont rapporté une satisfaction professionnelle considérable et un sentiment accru de bien-être. Deuxièmement, de nombreux travailleurs à distance se sont rendu compte qu’ils pouvaient travailler n’importe où, et conséquemment ressenti moins d’attachement envers leur employeur. Enfin, les employeurs feraient bien d’impliquer leurs employés dans les plans de retour au travail s’ils veulent créer un environnement dans lequel ces derniers auront envie de revenir.
Plus riches et plus instruits
Depuis que la pandémie a été déclarée en mars 2020, plus de 40 % des travailleurs interrogés travaillent présentement de la maison ou l’ont fait jusqu’à récemment, tandis qu’un autre 25 % ont travaillé à domicile pendant plusieurs mois. Un peu plus d’un tiers ont dû se rendre à un lieu de travail désigné par leur employeur.
Les personnes travaillant à domicile sont généralement des travailleurs du savoir bien formés. Entre 70 et 90 % des travailleurs dans les domaines des sciences, des services gouvernementaux, des affaires et de la finance, de l’éducation, du droit, des services sociaux, de la gestion, et des arts, de la culture et des loisirs travaillent à distance. (Les soins de santé sont une exception notable.)
La plupart des travailleurs à distance ont déclaré un revenu familial annuel élevé (81 % avaient un revenu supérieur à 160 000 $), et 82 % d’entre eux se sont identifiés comme appartenant à la « classe supérieure ». Un peu plus des trois quarts sont titulaires d’un diplôme universitaire de premier cycle, et 84 % d’un diplôme des cycles supérieurs. Comparativement aux travailleurs en présentiel, une plus grande proportion de travailleurs à domicile occupent un emploi permanent à temps plein, ou sont travailleurs autonomes.
Plus satisfaits et plus heureux
La pandémie a accentué les inégalités existantes sur le marché du travail ainsi que les inégalités sociales. Les personnes travaillant à domicile ont eu des expériences professionnelles plus positives et une meilleure qualité d’emploi que celles qui ont continué à travailler sur le lieu de travail de leur employeur.
Les travailleurs à distance sont plus satisfaits de certaines caractéristiques de leur emploi – souvent par plus de 10 points de pourcentage – lorsqu’on les compare à ceux qui doivent se rendre à un lieu désigné par leur employeur. Par exemple, entre 70 % et 83 % des travailleurs à domicile se disent satisfaits ou très satisfaits du respect de la part de leurs collègues, de leur indépendance, de la façon dont ils effectuent leur travail, de leur sécurité au travail, de l’équilibre travail-famille et de l’importance de leur travail.
L’effet de la pandémie sur le bien-être des Canadiens, en particulier sur la santé mentale, a été une préoccupation majeure. Mais tous les travailleurs l’ont-ils vécu de la même façon? L’enquête offre une évaluation beaucoup plus nuancée. Comme le montre la figure 1, les personnes qui ont travaillé à distance sont plus satisfaites de leur emploi et de leur vie, sont plus optimistes et ont une meilleure autoévaluation de leur santé mentale et de leur bien-être général que les travailleurs en présentiel.
En plus de ces avantages sur le plan psychologique, les travailleurs à distance ont noté des améliorations sur les plans personnels et familiaux, comme la réduction du temps et des coûts de transport. Très peu ont déclaré être moins productifs. Cependant, certains se sont inquiétés de l’impact négatif potentiel du travail à distance sur la formation, le mentorat et les possibilités de carrière (voir la figure 2).
On a également demandé aux répondants s’ils s’attendaient à ce que leur situation financière personnelle soit meilleure, pire ou identique au cours de l’année à venir et des cinq prochaines années. Pour ces deux points, les travailleurs à distance ont exprimé des attentes financières plus positives.
Pourtant, si le travail à distance a amélioré la qualité de l’emploi et le bien-être général des travailleurs, il semble également avoir affaibli la relation d’emploi. Les employeurs devraient s’inquiéter du fait que 42 % des travailleurs à domicile sont d’accord ou tout à fait d’accord avec l’énoncé suivant : « Le travail à distance m’a montré que je pouvais travailler n’importe où et, par conséquent, je me sens moins attaché à une organisation ou un employeur spécifique ». Cela renforce la nécessité pour les employeurs de consulter les employés sur d’éventuels plans de retour au travail.
Interrogés sur les modalités de travail futures, 76 % des travailleurs à distance ont indiqué qu’ils préféreraient travailler à distance tout le temps ou la plupart du temps. Seulement 4 % d’entre eux ne souhaitaient pas continuer à travailler à domicile. Ce constat a des répercussions directes sur les stratégies de recrutement et de rétention des employeurs, ainsi que sur la planification des modalités de travail post-pandémie
Ces résultats soulignent également la nécessité pour les employeurs de permettre à tous les employés de participer de manière significative à l’élaboration des nouvelles modalités de travail. Les employeurs qui y parviendront sont plus susceptibles de bénéficier d’une main-d’œuvre loyale et engagée.
Sur ce plan, la plupart des employeurs ont un long chemin à parcourir. Au Canada, à peine la moitié des télétravailleurs disent avoir été consultés. Et seulement 40 % se sont dits satisfaits de leur implication (figure 3). Encore moins de travailleurs en présentiel (35 %) se sont dits satisfaits.
Les employeurs qui consultent leurs employés sur les perspectives d’avenir devraient en retirer des avantages importants. En effet, parmi les travailleurs qui ont eu leur mot à dire, 86 % se sont déclarés satisfaits de leur emploi, et 73 % ont dit qu’il était peu probable qu’ils changent de carrière. Environ un tiers seulement des personnes satisfaites de leur contribution chercheraient un autre emploi si on leur demandait de retourner sur le lieu de travail, contre 58 % des personnes insatisfaites.
En somme, l’une des principales leçons que l’on peut tirer de l’expérience des travailleurs pendant la pandémie est que les employeurs doivent favoriser une communication ouverte et sincère avec leurs employés, dans les deux sens, puis réagir de manière appropriée. Ce faisant, ils signaleront à leurs employés qu’ils se soucient d’eux et qu’ils leur font confiance – des caractéristiques essentielles d’une culture positive qui favorise le bien-être et le bon rendement au travail.
Les employeurs doivent également s’attaquer directement aux enjeux de qualité de l’emploi et de bien-être. Cela peut nécessiter une refonte des stratégies de ressources humaines. De cette façon, les besoins diversifiés de tous les travailleurs pourront être satisfaits, peu importe l’endroit d’où ils travaillent.
L’enquête Façonner l’avenir du travail au Canada (FWCS) a été réalisée à l’aide de Probit, le panel de recherche unique hybride en ligne et par téléphone d’EKOS Research Associates. Ce panel offre une couverture étendue de la population canadienne (internet, téléphone, téléphone cellulaire), un recrutement aléatoire (en d’autres termes, les participants sont recrutés au hasard, ils ne choisissent pas eux-mêmes de faire partie de notre panel) et un échantillonnage probabiliste. Tous les répondants du panel sont recrutés par téléphone en utilisant la composition aléatoire et sont confirmés par des intervieweurs en direct. Contrairement aux panels en ligne de type opt-in, Probit permet d’estimer la marge d’erreur. Le sondage a été mené du 9 septembre au 4 octobre 2022. Un échantillon aléatoire de 5869 Canadiens âgés de 18 ans et plus ayant participé à la population active à un moment donné depuis mars 2020 ont répondu à l’enquête. Cela comprenait des employés et les travailleurs indépendants. La marge d’erreur associée à l’échantillon total est de +/- 1,3 point de pourcentage, 19 fois sur 20. Toutes les données ont été statistiquement pondérées par âge, sexe et région sur la base des proportions de personnes actives du recensement de 2016, afin de garantir que la composition de l’échantillon reflète celle de la population réelle du Canada.
La méthodologie de recherche et le questionnaire de la FWCS ont été approuvés par les comités d’éthique de la recherche de l’Université de l’Alberta et de l’Université métropolitaine de Toronto. De plus amples détails sur l’enquête et les questions peuvent être obtenus sur le site karen.hughes@ualberta.ca . Le projet est financé par le Future Skills Centre et mené par le consortium de recherche multidisciplinaire Future of Work. Les membres sont Graham Lowe, Merv Gilbert, Karen D. Hughes, Frank Graves (EKOS Research Associates), Jim Stanford (Centre for Future Work) et Pamela Sugiman (Toronto Metropolitan University).