En 2020, le gouvernement fédéral a dépensé plus de 160 milliards de dollars en mesures de soutien en raison de la pandémie de COVID-19. Ces dépenses ont été essentielles pour soutenir les travailleurs mis au chômage et les entreprises touchées en cette période d’incertitude.

Cependant, le soutien offert par l’entremise de programmes comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) n’a pas été étendu à ceux qui n’étaient pas présents sur le marché du travail, comme c’est le cas pour une grande partie des bénéficiaires de l’aide sociale.

Cette tendance à l’exclusion s’est poursuivie avec la plus récente Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement (PCTCC), qui a été créée pour soutenir les travailleurs touchés par les nouvelles fermetures, mais pas les personnes qui vivaient déjà dans une grande pauvreté avant la pandémie.

Les prestations pandémiques sont destinées à soutenir les personnes pendant une période de crise spécifique. Mais qu’en est-il de celles qui vivent avec des revenus faibles et précaires depuis des décennies ?

La dernière édition du rapport Welfare in Canada, de la fondation Maytree, qui examine les revenus des personnes recevant de l’aide sociale dans chaque province et territoire au cours de l’année 2020, se concentre particulièrement sur l’impact des mesures de soutien liées à la pandémie sur les revenus d’aide sociale. Les résultats sont inquiétants. Après des années à produire ce rapport, nous constatons toujours la même tendance : partout au Canada, les personnes qui dépendent de l’aide sociale ont des revenus très faibles et font face à une grande pauvreté.

L’aide sociale est-elle adéquate ?

Dans le rapport, nous analysons les revenus d’aide sociale de 53 ménages, divisés en quatre catégories. Aux fins du présent texte, nous nous concentrerons cependant sur les célibataires considérés comme employables, puisqu’ils sont les plus susceptibles d’être dans une situation de pauvreté.

La figure 1 montre à quel point les revenus de l’aide sociale sont insuffisants. Dans les dix provinces, toutes les personnes seules recevant de l’aide sociale vivent non seulement dans la pauvreté, mais dans une pauvreté extrême.

De plus, dans la plupart des provinces, l’écart entre le revenu total et le seuil de pauvreté économique extrême demeure important, malgré une aide supplémentaire en raison de la pandémie. Plus particulièrement, les revenus d’aide sociale en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick devraient être plus que doublés seulement pour atteindre le seuil de pauvreté extrême, et triplés pour atteindre le seuil de pauvreté officiel, soit la mesure du panier de consommation.

Combien d’aide supplémentaire a-t-on fournie ?

Chaque ménage examiné dans le rapport a reçu au moins un peu d’aide supplémentaire liée à la pandémie de la part du gouvernement fédéral (voir la figure 2).

Plusieurs ménages ont également reçu de l’aide liée à la pandémie de la part de leurs gouvernements provinciaux ou territoriaux. Quatre provinces (la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan) et un territoire (les Territoires du Nord-Ouest) ont fourni une telle aide. De l’aide semblable était également disponible en Ontario, mais seulement pour ceux qui savaient qu’il fallait présenter une demande, et la plupart des bénéficiaires de l’aide sociale n’en ont pas reçu. Aucune aide supplémentaire n’était disponible dans les cinq autres provinces et les deux autres territoires.

L’aide fédérale liées à la pandémie venaient exclusivement d’une augmentation ponctuelle du crédit d’impôt pour la TPS/TVH, qui s’élevait à 290 dollars (sauf pour les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, où elle était légèrement plus élevée). Cela s’est traduit par une augmentation de 1 à 4 % des revenus de l’aide sociale. Il convient de souligner que ce complément n’était pas spécifique aux prestataires de l’aide sociale, mais qu’il était généralement disponible pour tous ceux qui bénéficiaient du crédit. Pour les ménages avec enfants, le gouvernement fédéral a également consenti un versement unique plus élevé de l’Allocation canadienne pour enfants.

Les cinq provinces et territoires qui ont fourni de l’aide liée à la COVID-19 l’ont fait de manière plus ciblée, la distribuant presque exclusivement par l’entremise de leurs programmes d’aide sociale. La Colombie-Britannique est la province qui s’est le plus démarquée, en accordant aux personnes seules un montant de 2875 dollars en 2020. De leur côté, les Territoires du Nord-Ouest leur ont versé 675 dollars. Enfin, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan ont payé des suppléments plus modestes, entre 50 et 100 dollars.

Quel a été l’impact de cette aide?

Bien que les suppléments versés en lien à la pandémie aient été plutôt modeste, ils ont sans aucun doute donné un coup de pouce bien nécessaire à des revenus d’aide sociale par ailleurs stagnants et insiffisants. En fait, une constatation surprenante de notre analyse est qu’entre 2019 et 2020, tous les ménages de toutes les provinces et de tous les territoires ont reçu des augmentations de revenu supérieures au taux d’inflation. Dans la plupart des cas, la majorité de ces augmentations provenaient de cette aide ponctuelle.

La Figure 3 montre les augmentations en pourcentage du revenu total de bien-être social pour les célibataires seuls dans chaque province et territoire entre 2019 et 2020, mettant en évidence la proportion de cette hausse qui est venue de l’aide versée en raison de la pandémie.

Dans 8 des 13 provinces et territoires, la majorité des hausses des revenus de l’aide sociale proviennent de l’aide liée à la pandémie. En Colombie-Britannique, à Terre-Neuve-et-Labrador et au Nunavut, c’est plus de 95 % de ces hausses. Autrement dit, presque l’entièreté.

À l’Île-du-Prince-Édouard et en Saskatchewan, les prestations d’aide non liées à la pandémie ont été haussées de façon significative, et ont davantage contribué en 2020 à la croissance du revenu des personnes seules vivant de l’aide sociale que les mesures liées à la pandémie.

Comment l’aide se compare-t-elle à la PCU?

La Prestation canadienne d’urgence, ou PCU, est un programme fédéral qui a fourni 2000 $ par mois de mars à septembre 2020 à tout adulte qui avait perdu son emploi en raison de fermetures liées à la pandémie de COVID-19 et qui avait gagné un revenu d’au moins 5000 $ au cours des 12 derniers mois, ou en 2019. La PCU était en somme un substitut à court terme d’un système d’assurance-emploi submergé par le trop grand nombre de chômeurs récents.

Cependant, la majorité des personnes bénéficiant de l’aide sociale n’étaient pas éligibles à la PCU, puisqu’elles ne gagnaient pas un revenu suffisant ou qu’elles s’étaient trop éloignées du marché du travail. Néanmoins, il est utile de comparer les revenus de l’aide sociale à la PCU, parce qu’ils ont façonné ce que nous – le grand public et les gouvernements – pourrions penser être une aide adéquate en temps de crise (voir la Figure 4).

Comme le montre la Figure 4, le revenu mensuel d’aide social des personnes seules était moins élevé, et même beaucoup moins élevé que la PCU dans 12 des 13 provinces et territoires. De plus, les prestations liées à la pandémie versées aux personnes seules recevant de l’aide sociale sont infimes lorsqu’on les compare aux montants bien plus généreux reçus par ceux qui avaient occupé un emploi récemment.

Même en Colombie-Britannique, qui a eu de loin les prestations pandémiques les plus généreuses, les 2850 $ en aide supplémentaire représentent moins d’un mois et demi de PCU. Les Territoires du Nord-Ouest font exception, car le revenu total d’aide sociale était supérieur à la PCU, mais il est important de souligner le coût de la vie nettement plus élevé dans les territoires.

Même si nous comparons les revenus provenant de l’aide sociale aux plus modestes 300 $ versés par semaine en vertu de la plus récente Prestation canadienne pour les travailleurs de en cas de confinement (PCTCC), soit environ 1 200 $ par mois pour ceux qui y sont admissibles, l’aide sociale versée dans toutes les provinces et au Nunavut baisserait sous ce montant.

Qu’arrivera-t-il lorsque l’aide pandémique prendra fin ?

Bien qu’elles aient été loin d’être suffisantes, les aides versées en raison de la pandémie ont réduit l’ampleur de la pauvreté des personnes les plus vulnérables au Canada à un moment critique. Cependant, ces aides étaient pour la plupart des ajouts ponctuels au revenu, ce qui signifie que présentement, les ménages qui ont profité de cette aide supplémentaire l’ont déjà perdue. Combinée à une inflation élevée en 2021 (3,4 %), cette perte signifie que le niveau de pauvreté de ces ménages va s’aggraver.

Les gouvernements ont montré qu’ils pouvaient être à la hauteur de la situation et fournir aux gens un soutien adéquat en cas d’urgence. Pour les bénéficiaires de l’aide sociale qui vivent dans une grande pauvreté, l’urgence est implacable et quotidienne. La pandémie a mis lumière les inégalités qui existent dans notre société. Il reste aux gouvernements à intervenir et assurer une vie digne à ceux qui en ont le plus besoin.

En tant que rapport de référence, Welfare in Canada ne propose pas de solutions précises de politiques publiques. Mais les données et l’analyse suggèrent que les gouvernements de tout le Canada devraient :

  • envisager la création d’une prestation cumulative qui réduirait considérablement l’ampleur de la pauvreté des adultes seuls, célibataires et en âge de travailler;
  • s’assurer que la Prestation canadienne pour les personnes handicapées proposée par le gouvernement fédéral soit mise en œuvre;
  • augmenter les taux d’aide sociale;
  • accroître les dépenses fédérales dans l’atteinte des objectifs de réduction de la pauvreté grâce à la bonification du Transfert canadien en matière de programmes sociaux.

Nous ne devrions pas accepter le statu quo. Après des années de sous-investissement, même en temps de pandémie, il est temps de rehausser de façon permanente les niveaux d’aide sociale pour qu’ils soient beaucoup plus adéquats et faire en sorte que les personnes vivant dans une situation de grande pauvreté puissent vivre dignement. En attendant, les gouvernements devraient fournir une aide supplémentaire ciblée en temps de crise aux personnes en situation de grande pauvreté, tout comme ils l’ont fait pour les chômeurs récents.

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Mohy-Dean Tabbara
Mohy-Dean Tabbara est conseiller politique à Maytree. Il était précédemment chercheur à l’IRPP. Il travaille principalement à l’amélioration du filet de sécurité sociale et à la réforme du droit criminel.
Jennefer Laidley
Jennefer Laidley est consultante à Maytree, en plus de faire de la recherche et de publier pour Welfare in Canada. Elle est bien ancrée dans la recherche et la promotion des programmes de sécurité du revenu et d’autres aspects du filet de sécurité sociale.
Garima Talwar Kapoor
Garima Talwar Kapoor est directrice des politiques et de la recherche à Maytree. Elle pilote le travail de recherche et d’analyse de la fondation sur la sécurité du revenu, le logement et les droits économiques et sociaux.

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