L’action climatique est plus nécessaire que jamais. Ce qui semblait être de lointains scénarios – inondations, feux de forêt, pluie diluvienne et sécheresse – fait dorénavant partie intégrante de notre quotidien. Il est donc primordial de diminuer nos émissions de gaz à effets de serre (GES) afin d’atténuer l’impact qu’ont et auront les changements climatiques sur nos vies.

Cependant, les diffĂ©rences interprovinciales rendent la rĂ©duction des GES particulièrement clivante. Effectivement, leur diminution accentue les tensions existantes Ă  l’intĂ©rieur de la fĂ©dĂ©ration. D’un cĂ´tĂ©, les provinces « hydro » (le QuĂ©bec, la Colombie-Britannique et l’Ontario), se voient avantagĂ©es par l’action climatique, mais de l’autre, les provinces « carbone » – l’Alberta, et la Saskatchewan –, en paient le prix. Telle est la thèse avancĂ©e par le professeur Douglas MacDonald dans un ouvrage sur le sujet.

Nous avons donc un arbitrage à opérer : diminuer la polarisation qui sévit, mais également agir afin de diminuer nos GES de façon draconienne, ce qui, ultimement, accentue la polarisation.

Le cas canadien

Les citoyens des provinces « hydro » croient davantage aux changements climatiques que ceux des provinces « carbone ». Il en va donc de même pour le soutien aux politiques climatiques telles que la taxe carbone.

Ce qui mène à la question : est-ce la croyance aux changements climatiques qui poussent les citoyens à être verts, ou bien est-ce la source d’énergie d’un État qui détermine son action vis-à-vis de la crise climatique ?

Cette question possède, bien sĂ»r, une double causalitĂ©, mais elle n’en reste pas moins pertinente.

L’auteure, journaliste et activiste canadienne Naomi Klein met de l’avant que ce serait davantage l’économie d’une rĂ©gion qui dĂ©termine la vision de ses citoyens face aux changements climatiques. Elle argumente, rĂ©fĂ©rences Ă  l’appui, qu’il est plus facile d’accepter un mensonge (que les changements climatiques n’existent pas, ou du moins, qu’ils ne sont pas de nature humaine), plutĂ´t que d’accepter de changer son mode de vie.

Un peu de littérature

En ce sens, certains chercheurs avancent que l’action climatique doit principalement composer avec une dualitĂ© d’action entre les dĂ©tenteurs d’actifs : les actifs accĂ©lĂ©rant la crise et les actifs vulnĂ©rables Ă  la crise.  Ainsi, davantage d’actifs verts impliquent davantage d’action climatique, et vice-versa. 

Or, comment transformer une Ă©conomie basĂ©e sur les hydrocarbures en une Ă©conomie basĂ©e sur l’Ă©nergie renouvelable ?

Le consensus des économistes est de mettre en place une taxe carbone fiscalement neutre, ce qui signifie taxer la production de GES, et puis, retourner l’argent directement dans les poches des ménages.

Cette approche est la pierre d’assise de la politique fĂ©dĂ©rale canadienne.

Toutefois, au vu de l’hétérogénéité des ressources détenues par diverses provinces, certains individus n’apprécient pas cette politique climatique et mènent une opposition politique qui met son existence en danger.

Rien de surprenant aux yeux de Danny Cullenward et David G. Victor qui dĂ©montrent que les politiques basĂ©es sur le marchĂ© sont particulièrement difficiles Ă  implanter, et qu’une fois en place, elles risquent de disparaitre, ce qui les rend plutĂ´t inefficaces. La professeure de l’UniversitĂ© de Toronto Jessica F. Green abonde dans le mĂŞme sens et montre que les rĂ©gimes de taxes carbone – notamment en Europe – n’ont amenĂ©, en gĂ©nĂ©ral, qu’une faible rĂ©duction annuelle de 0 Ă  2 %.

Le professeur de l’UniversitĂ© Princeton Jesse D. Jenkins souligne quant Ă  lui que les politiques de marchĂ©s dites first-best – soit optimal dans un monde sans contrainte –, font face Ă  de telles difficultĂ©s politico-Ă©conomiques qu’il est prĂ©fĂ©rable de miser sur un bouquet de politiques, dites second-best – soit optimale sous des contraintes, telles que l’acceptabilitĂ© sociale.

Afin de résoudre ce problème, Jonas Meckling et ses coauteurs proposaient dans un article de miser sur la collaboration par la création de coalitions climatiques, notamment via la mise en place de politiques industrielles vertes. Les professeur.es de sciences politiques Parrish Berquist, Matto Mildenberger et Leah C. Stokes ont tenté l’exercice, et confirme que la combinaison de politiques climatiques, économiques et sociales augmente le support populaire aux réformes environnementales. Ironiquement, ce papier publié en 2020 est drôlement similaire à Inflation Reduction Act (IRA), le plan climatique le plus important de l’histoire des États-Unis.

Inflation Reduction Act

À l’inverse de la taxe carbone de Clinton ou du marché du carbone de Obama, l’essentiel de la stratégie d’IRA repose sur les bénéfices contemporains que les Américains peuvent obtenir. Notamment, en réduisant le coût de l’énergie via des subventions visées vers les industries éoliennes, solaire et géothermique. IRA subventionne également l’industrie des batteries pour accélérer la transition vers des énergies renouvelables.

L’IRA devrait réduire les émissions de GES du pays de 42 % 2005-2030, un programme plus ambitieux que le plan canadien qui est quantifié à une réduction de 25 % selon l’Institut de l’énergie Trottier.

Il faut s’inspirer de l’IRA, ainsi que de la littérature scientifique, afin de réduire nos GES, sans accentuer la polarisation. Les subventions, notamment via des politiques industrielles, doivent être mises de l’avant, car elles sont complémentaires à la taxation carbone. Non seulement celle-ci aide l’adhésion sociale, mais elle augmente l’efficacité de la taxation carbone, accélérant donc la décarbonation de notre économie.

La taxe carbone

Avant d’aller plus loin, soulignons l’efficacité de la taxe carbone. La commission de l’écofiscalité du Canada souligne qu’elle est le moyen le plus efficace – et donc le moins coûteux – d’atteindre nos objectifs climatiques. Nonobstant ce résultat, il reste qu’elle cause des problèmes de redistribution – certains biens de base ont une empreinte carbone élevée.

Afin de rĂ©gler ce problème, le Canada a mis en place une taxe carbone fiscalement neutre, qui est redistributive une fois la consommation combinĂ©e au Paiement de l’incitatif Ă  agir pour le climat. 80 % des mĂ©nages reçoivent davantage de « revenu climatique », qu’ils paient de taxe carbone.

Toutefois, la dissonance entre les bénéfices et le soutien à la taxe est percutante. Une étude publiée ce janvier souligne que les régimes de taxation carbone du Canada et de la Suisse sont incompris. La majorité des individus surévaluent le coût de la taxe carbone et sous-évaluent le retour reçu. Pis encore, l’appréciation de la taxe carbone n’est pas liée aux gains économiques que les individus peuvent en tirer, mais bien à leurs identités partisanes.

Bien entendu, une meilleure communication aiderait l’adhĂ©sion populaire. Stefanie Stantcheva et ses coauteurs dĂ©montrent que l’indice d’adoption Ă  la taxe carbone augmente de 12 % Ă  la suite d’une vidĂ©o informationnelle sur les politiques climatiques. C’est Ă©norme. Ă€ contrario, communiquer davantage l’impact des changements climatiques n’augmente pas l’adoption.

Comment adapter le plan climatique fédéral ?  

La bonne nouvelle est que nous avons dĂ©jĂ  mis en place une taxe carbone – le moyen le plus efficace pour rĂ©duire la pollution. Ă€ cela s’ajoute le marchĂ© du crĂ©dit carbone, ainsi que le plafonnement sur les GES de l’industrie pĂ©trolière.

Le goulot politique de ces politiques dites first best étant passé, nous devons maintenir ces mesures, améliorer la communication qui les entoure et finalement, les renforcer. Cela dit, l’ingéniosité du plan américain est de transformer les politiques environnementales en politiques de développement industriel vert.

Nombreux sont les secteurs qui Ă©mettent des GES, mais ils ont un dĂ©nominateur commun : la consommation d’énergie, plus spĂ©cifiquement, d’électricitĂ©. Or, une grande proportion de celle-ci est de source fossile. De plus, l’électrification des modes de production et des transports augmentera de manière draconienne la demande en Ă©lectricitĂ©, alors mieux vaut s’assurer qu’elle soit bon marchĂ©, afin de faciliter cette transition. Sans oublier que dans la dĂ©carbonation d’un rĂ©seau Ă©lectrique, les subventions et la rĂ©gulation peuvent ĂŞtre d’une efficacitĂ© similaire Ă  la taxe carbone.

En ce sens, aller de l’avant avec une politique industrielle, notamment vis-Ă -vis d’un rĂ©seau Ă©lectrique renouvelable, peut diminuer nos GES, sans exacerber les tensions qui sĂ©vissent Ă  l’intĂ©rieur de la fĂ©dĂ©ration.

Ă€ vrai dire, au vu de la mise Ă  jour du budget de cet automne, il semblerait que c’est la voie empruntĂ©e par le gouvernement canadien. Un gĂ©nĂ©reux crĂ©dit de 30 % pour les technologies propres est offert. De plus, un autre 40 % est disponible pour stimuler l’hydrogène propre, soit l’hydrogène vert et bleu. Bien qu’il soit questionnable d’inclure l’hydrogène bleu – qui serait aussi polluant que le charbon au vu des fuites de gaz naturel issu de la fracturation hydraulique dont les fuites causent des dommages Ă©conomiques et humains –, l’essence de la nouvelle stratĂ©gie climatique fĂ©dĂ©rale emprunte le chemin tracĂ© par l’IRA, soit une politique industrielle verte.

Cette approche facilite l’adoption de la politique, mais également sa survie, car elle devrait résister aux changements de gouvernement.

La taxe carbone est un mĂ©canisme efficace afin de rĂ©duire nos Ă©missions de GES. Toutefois, il est difficile de ne miser que sur celle-ci pour atteinte nos objectifs climatiques, pour cause d’acceptabilitĂ© sociale. Par consĂ©quent, il faut Ă©galement mettre en place des politiques industrielles vertes afin de dĂ©carboner notre rĂ©seau Ă©lectrique.

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Hugo Cordeau
Hugo Cordeau est étudiant au doctorat en sciences économiques à l’Université de Toronto et boursier du Fonds de recherche du Québec – Société et culture. Ses intérêts de recherche portent sur les finances publiques et l’économie industrielle, avec un accent sur l’action climatique. On peut le joindre sur LinkedIn et sur Twitter à @cordeau_.

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