Cela fera bientôt deux ans que nous sommes en pandémie, une période qui représente également une des plus intenses dans l’histoire des relations intergouvernementales au Canada, ne serait-ce qu’en terme du nombre de discussions entre les premiers ministres. Et il y a peu de signes indiquant un retour au calme dans la communauté fédérale en 2022. La pandémie ne semble pas prête de se terminer, tout comme les discussions nécessaires à la gestion de ses effets dans une fédération décentralisée comme la nôtre. Même en mettant de côté la gestion de la pandémie, le gouvernement libéral minoritaire à Ottawa fait maintenant face à une série de défis importants dans ses relations avec les provinces. Bien que certains de ces défis proviennent des répercussions financières de la pandémie, d’autres sont plutôt la création du gouvernement libéral lui-même, en raison de certaines pièces maîtresses de son agenda politique.

Les finances provinciales et les soins de santé

Le premier défi en matière de relations fédérales-provinciales qui se présentera l’an prochain repose dans la situation économique des provinces et le financement des soins de santé – qui représente leur plus importante dépense. La bonne nouvelle est que les provinces se trouvent dans une bien meilleure situation financière qu’on aurait pu prévoir quand la pandémie a frappé. À preuve, la figure 1 montre comment les déficits anticipés dans les budgets du printemps 2021 des quatre provinces les plus populeuses ont été revus à la baisse dans les plus récentes mises à jour économiques à l’automne dernier. Le gouvernement fédéral se retrouve lui aussi dans une situation beaucoup moins périlleuse, comme l’atteste la mise à jour économique du 14 décembre qui a révisé les déficits anticipés à la baisse.

Il faut toutefois souligner qu’Ottawa était dans une bien meilleure situation économique que les provinces juste avant la pandémie. L’aide du gouvernement fédéral a d’ailleurs grandement contribué au revirement de situation provincial. Dans un texte fort éclairant publié en novembre, l’économiste Trevor Tombe détaille la contribution des transferts et des programmes d’aide fédéraux développés durant la pandémie aux finances provinciales.

Pris ensemble, ces transferts représentent 5 % du PIB canadien en 2020, la plus haute proportion jamais enregistrée. De manière plus précise, la figure 2 montre les transferts fédéraux vers chacune des provinces en proportion de leur PIB respectif. Toutes les provinces montrent une augmentation de cette proportion pour l’année 2020.

Même si cette santé économique des provinces qui dépasse les attentes est une bonne nouvelle, la situation demeure précaire. Certains des transferts fédéraux étaient ponctuels, comme les 19 milliards de l’Accord sur une relance sécuritaire qui est venu en aide aux provinces pour relancer leurs économies face à la COVID-19. Les transferts ne risquent donc pas d’être aussi élevés en 2022. Et même s’ils le demeuraient, il y a fort à parier qu’ils seraient accompagnés de conditions.

Il faudra garder tout ça à l’esprit quand la bataille sur le financement des soins de santé reprendra de plus belle l’an prochain. La prédiction la plus susceptible de se réaliser en matière de relations fédérales-provinciales est celle-ci : les provinces réclameront à nouveau une augmentation du Transfert canadien en santé (TCS) de 22 % des coûts en santé à 35 %, soit une augmentation de 28 milliards de dollars.

Le gouvernement fédéral a refusé d’aller dans cette voie à répétition. La raison est simple. Le TCS s’inscrit ans les revenus généraux des provinces et vient avec des conditions minimales : les provinces sont dans l’obligation de respecter la Loi canadienne sur la santé, rien de plus. En effet, Ottawa souhaite voir des résultats dans des secteurs très précis.

Cela signifie donc du financement pour des items ciblés assorti de conditions claires. Les libéraux de Justin Trudeau ont d’ailleurs fait campagne sur un plus grand financement en santé mais en indiquant clairement leur propre ordre de priorités, comme l’embauche de nouveaux médecins et d’infirmières et une élimination des listes d’attente. Et c’est sans compter le désir des libéraux d’avoir une approche beaucoup plus « nationale » en soins de longue durée et en santé mentale, comme le démontre la lettre de mandat du ministre de la Santé rendue publique le 16 décembre.

Alors que le gouvernement fédéral et ses interlocuteurs provinciaux sont bien campés sur leurs positions respectives, comment peut-on envisager un déblocage ? Dans un récent article d’Options politiques, Geoff Norquay décrit très clairement ce que cette bataille sur le financement des programmes sociaux et de santé nous réserve. En clair, il faut s’attendre à voir des brèches apparaître sur le front provincial parce que les provinces ont besoin de cet argent.

Nous verrons peut-être une série de nouvelles ententes bilatérale à l’image de celles établies récemment sur les services de garde. Mais une difficulté supplémentaire se présente. S’il a été relativement simple de faire accepter l’idée d’une entente séparée avec le Québec sur ce dossier en raison du système québécois déjà implanté, les provinces risquent d’être moins enclines à accepter une autre entente asymétrique sur le financement en santé. La tâche de M. Trudeau n’est pas simple.

Ceux qui souhaitent une approche nouvelle sur les transferts en santé – comme une réforme du TCS vers un financement basé sur les besoins plutôt que le nombre d’habitants – ne devraient pas retenir leur souffle. Comme l’Alberta serait sans doute la grande perdante d’une telle réforme – les propositions pour une formule axée sur les besoins prennent souvent en compte les données démographiques des provinces et l’Alberta est jeune comparativement au Québec et aux provinces de l’Atlantique – la proposition est morte dans l’œuf.

La péréquation et l’Alberta

Puisque nous parlons de l’Alberta, soulignons qu’elle sera au cœur d’une autre dynamique – aux conséquences particulièrement imprévisibles – à surveiller en 2022. Le premier ministre albertain Jason Kenney avance que les Albertains qui ont voté « oui » à 62 % au référendum pour retirer le principe de péréquation de la Constitution canadienne lui ont donné un mandat fort pour négocier avec Ottawa. Mais négocier quoi exactement ?

Le référendum portait sur la volonté de retirer la section 36 (2) de la Constitution. Mais pour ce faire, il faut que les autres provinces veuillent également entrer dans les négociations. Avec seulement 38 % des Albertains éligibles qui ont voté au référendum (en comparaison, le taux de participation au référendum québécois sur la souveraineté en 1995 était de 93,5 %), M. Kenney n’est peut-être pas dans une position aussi solide qu’il veut le laisser entendre.

Cela dit, M. Kenney avance tout de même que ce résultat démontre la nécessité de s’occuper du caractère inéquitable des transferts fédéraux. Le gouvernement fédéral pourra toutefois répondre qu’il a déjà réformé un autre programme, le Programme de stabilisation fiscale, et que les trois quart du montant (un peu plus d’un milliard dans sa totalité) qui y attaché en 2020-2021 iront en toute vraisemblance à l’Alberta. D’aucuns rappelleront également que le transfert le plus important, le TSC, utilise une formule « par habitant » qui avantage l’Alberta au détriment d’autres provinces plus vieillissantes.

Peu importe ce qu’il advient des discussions sur le « fair deal » pour l’Alberta, le malaise sous-jacent et le sentiment d’aliénation qui ont inspiré le référendum sur la péréquation sont plus qu’une simple mode, même si la récente hausse du prix du pétrole a pu calmer les esprits. Mais en terme de rapports de forces, alors que les derniers sondages montrent M. Kenney en position très précaire, M. Trudeau est peut-être mieux positionné qu’auparavant depuis qu’il a réussi à faire élire de nouveaux députés libéraux à Edmonton et à Calgary.

Un paysage politique stable ?

Avancer des prédictions quant à ce qui nous attend dans les relations entre les provinces et le gouvernement fédéral s’avère parfois hasardeux à l’ombre d’élections provinciales ou fédérales susceptibles de bouleverser l’échiquier politique. Si la situation semble maintenant plus stable à Ottawa, au moins pour quelque temps, deux gros joueurs provinciaux tiendront des élections en 2022 : l’Ontario au plus tard le 2 juin et le Québec le 3 octobre.

Vu la situation au Québec, il faudrait faire toutes sortes de détours pour ignorer le scénario le plus probable : une majorité retentissante pour François Legault. Il remporterait présentement presque 50 % du vote populaire, bon pour 97 sièges dans une Assemblée nationale qui en compte 125. En Ontario, Doug Ford ne sort pas indemne de la pandémie, loin de là. Il n’en semble pas moins en voie de conserver son poste. Mais si c’est le cas, ce sera grâce à une faible opposition plutôt qu’en raison d’actions entreprises par son gouvernement. Il est d’ailleurs le seul premier ministre provincial à ne pas avoir signé d’accord pour les services de garde avec le gouvernement fédéral, une situation que l’imminence de l’élection ontarienne aura tôt fait de régler.

L’élection provinciale la plus susceptible d’impacter la teneur et le ton des relations fédérales-provinciales viendra en 2023 : le match revanche entre Rachel Notley et Jason Kenney en Alberta. D’ici là, si 2022 nous réserve quelque avancée que ce soit, ce ne sera pas grâce à l’arrivée de nouveaux joueurs, mais parce que certains de ceux déjà en présence auront mis de l’eau dans leur vin.

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Charles Breton
Charles Breton est le directeur du Centre d’excellence sur la fédération canadienne à l’IRPP, et l'ancien directeur de la recherche à Vox Pop Labs. Il détient un doctorat en science politique de l’Université de la Colombie-Britannique.

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