
Depuis les travaux de la Commission Macdonald il y a 20 ans, les Canadiens ont eu peu d’occasions d’engager un véritable débat sur les perspectives économiques et sociales du pays. Mé‚me la récente cam- pagne électorale, bien qu’elle ait révélé de nettes différences entre les partis relativement aÌ€ quelques mesures politiques bien précises, n’a pas permis d’engager le débat sur les grands défis qui attendent le Canada.
L’IRPP a conçu le projet sur les priorités canadiennes pour contribuer aÌ€ un débat de fond sur les choix et les priorités poli- tiques du pays. La prémisse en est simple : mé‚me si c’est une réalité parfois difficile aÌ€ accepter et aÌ€ gérer, il n’en reste pas moins que nos gouvernements doivent choisir soigneusement les politiques aÌ€ mettre en œuvre en fonction des ressources li- mitées dont ils disposent. Tout en prenant en considération les impératifs politiques, les gouvernements doivent ainsi égale- ment évaluer les couÌ‚ts, les avantages et les effets distributifs des politiques envisagées, ainsi que leurs retombées aÌ€ long terme, puisque l’ensemble des bienfaits d’une mesure donnée n’appa- raiÌ‚t souvent que bien apré€s l’engagement des dépenses initiales.
Pour lancer ce projet, nous avons demandé aÌ€ un groupe d’experts d’identifier les principaux défis politiques que le Canada se devra de relever aÌ€ moyen terme. Les résultats de cet exercice font l’objet du présent article et des textes qui l’accompagnent. Pour la deuxié€me étape, l’IRPP entrepren- dra une série d’études pour évaluer en détail les effets de politiques conçues pour relever ces grands défis. Pour l’étape finale, nous réunirons un jury composé de membres possé- dant une expérience reconnue de l’analyse des politiques publiques pour faire le bilan des politiques proposées et dégager celles qui sont le plus susceptibles d’améliorer le bien-é‚tre économique et social des Canadiens.
Pour déterminer quelles sont ces grandes priorités, l’IRPP a donc réuni un groupe formé de 12 universitaires, ana- lystes et praticiens ayant tous une solide connaissance des politiques publiques. Nos participants apportent un large éventail d’expertises et de perspectives provenant du monde universitaire, des milieux gouvernementaux et des établisse- ments de recherche indépendants, de mé‚me que d’horizons politiques et régionaux divers.
Le 27 janvier dernier, nos 12 spécialistes ont participé aÌ€ un atelier tenu dans les bureaux de l’IRPP pour convenir des huit principaux défis politiques auxquels le Canada est confronté. Ce choix devait reposer sur deux crité€res : leur importance par rapport au bien-é‚tre économique et social du Canada, et la possibilité de les relever aÌ€ l’aide de mesures politiques précises. En début d’atelier, chaque participant a présenté les trois défis qui lui semblaient d’une importance particulié€rement critique.
Leurs choix respectifs figurent au tableau 1. On peut voir qu’il y a plusieurs recoupements parmi les 36 défis pro- posés. Certains participants ont choisi des défis presque identiques, par exemple le vieillissement de la population. D’autres ont privilégié des défis reposant sur des thé€mes analogues, notamment l’amélioration du capital humain, en les articulant toutefois autour d’enjeux et de priorités dif- férents. Aussi a-t-on consacré la suite de l’atelier aÌ€ recenser ces recoupements afin d’obtenir une synthé€se représentative de toutes les idées mises de l’avant.
En fin d’atelier, les participants ont été appelés aÌ€ voter pour les huit défis les plus importants aÌ€ leurs yeux, parmi les 14 que l’exercice de synthé€se avait dégagés. Les résultats de cet exercice (voir le tableau 2) serviront aÌ€ identifier les sujets de recherche pour la prochaine étape du projet.
EÌtant donné l’étendue et la diversité de l’expertise de nos spécialistes, nous n’étions pas étonnés que ceux-ci aient des opinions divergentes et assez arré‚tées quant aux priorités politiques du Canada. Mais, malgré des différences bien senties, on relé€ve aussi de grands enjeux communs. Le développement du capital humain et naturel, par exemple, ou l’amélioration de la productivité, indispensables aÌ€ notre croissance économique aÌ€ long terme. De mé‚me, la notion d’équité est au cœur des considérations de plusieurs, que ce soit entre jeunes et vieux, riches et pauvres, les générations d’aujourd’hui et celles de demain, comme l’indique une inquiétude large- ment partagée quant aux répercussions de l’insécurité économique et du vieil- lissement sur la cohésion sociale.
Plusieurs participants ont par ailleurs voulu rappeler l’importance de nos institutions. Comme le font valoir Tom Kent et Janice MacKinnon au début de leurs textes, l’élaboration de priorités politiques sera dénuée de sens si notre systé€me de gouvernance, c’est- aÌ€-dire l’ensemble des instruments ser- vant aÌ€ déterminer et aÌ€ mettre en œuvre des politiques efficaces, n’est pas aÌ€ la hauteur. Selon eux plusieurs questions méritent notre attention, notamment le roÌ‚le du Parlement, la représentation électorale et le bon fonctionnement de la fédération. Ce dernier élément qui ressort dans plusieurs des textes sous différents angles ”” de l’unité nationale aÌ€ la notion de citoyenneté commune en passant par la coopération fédérale- provinciale et les relations fiscales ”” est aÌ€ juste titre considéré comme une condition essentielle aÌ€ une interven- tion gouvernementale efficace dans les autres domaines. La plupart de nos spé- cialistes s’entendaient sur ce point.
La notion de capital est un concept économique qui s’est étendu ces dernié€res années aÌ€ plusieurs autres sphé€res et qui, selon Nancy Olewiler, est fort utile pour mieux comprendre les défis politiques canadiens. Comme elle le fait remarquer, le Canada jouit d’un abondant capital humain (une popula- tion instruite et en santé), naturel (nos réserves de ressources naturelles), physique (notre infrastructure publique et privée) et social (une démocratie stable et une société civile). En souli- gnant l’importance du « capital pu- blic », c’est-aÌ€-dire les éléments du bien collectif qui réclament une action gou- vernementale, elle affirme que « nous avons vécu de ce capital public tout en y consacrant trop peu d’investissements ou des investissements inefficaces ». Plusieurs autres participants sont aussi de cet avis, en ce qui a trait notamment au capital humain et naturel.
L’éducation, la formation et le développement des compétences sont d’une importance indiscutable pour tous nos contributeurs. C’est d’ailleurs le seul défi qu’ils ont unanimement inscrit aÌ€ leur liste de huit priorités. Mais laÌ€ encore, le raisonnement, les facteurs en jeu ainsi que l’approche aÌ€ privilégier va- rient selon chacun. Ainsi Janice MacKinnon, Kevin Lynch et Anne Golden, qui donnent priorité aÌ€ la pro- ductivité et aÌ€ l’innovation, jugent indis- pensable de disposer au préalable d’une main-d’œuvre instruite et qualifiée. On retrouve le mé‚me raisonnement chez Pierre Fortin et Robert Lacroix, bien que ce dernier mette l’accent sur la capacité d’innover dans une économie du savoir et, par conséquent, sur la nécessité d’in- jecter des fonds supplémentaires dans l’enseignement postsecondaire et la recherche universitaire. Pierre Fortin est quant aÌ€ lui catégorique : « Nous devons d’urgence (…) promouvoir les compé- tences essentielles que sont l’al- phabétisme et l’arithmétique », car c’est l’acquisition de ces compétences de base par la population qui produira le meilleur rendement sur nos investissements publics. D’autres vont dans le mé‚me sens en évoquant le problé€me chronique du décrochage scolaire, les besoins croissants en métiers spécialisés, les lacunes de la formation linguistique des immigrants et les déboires connus dans le dossier de la scolarisation des autochtones. Ceci donne aÌ€ penser que le principal défi en matié€re de capital humain est probable- ment celui d’assurer une meilleure alloca- tion des ressources.
Toutes ces questions rappellent, par ailleurs, que la raison d’é‚tre de l’éduca- tion ne se limite pas aÌ€ répondre aux besoins du marché du travail; elle permet aussi d’améliorer la qualité de vie, la mobilité sociale et le capital social. C’est cette mé‚me conviction qui anime plusieurs de nos défenseurs du capital humain qui préfé€rent nettement mettre l’accent sur la jeunesse et la petite enfance. Tom Kent estime aÌ€ ce propos qu’on ne répondrait pas aux vrais besoins en se contentant d’améliorer l’enseignement postsecondaire. La prio- rité absolue consiste selon lui aÌ€ prendre soin de nos enfants et de leur développe- ment. Un avis partagé par Jane Jenson, Judith Maxwell et Ken Battle, pour qui l’apprentissage précoce est un détermi- nant clé de réussite scolaire, une prépa- ration aÌ€ l’apprentissage permanent et un outil de prévention chez les enfants vul- nérables et aÌ€ risque. Ces quatre auteurs préconisent donc un meilleur accé€s aÌ€ des services de garde de qualité, pas seule- ment dans la perspective de développer notre capital humain mais également dans celle de soutenir les familles et les communautés, notre capital social.
Nancy Olewiler plaide aussi avec conviction en faveur de la protec- tion et de la valorisation de notre capi- tal naturel, un point de vue repris par Anne Golden. Minerais, foré‚ts, eau douce et faune ne sont que quelques- unes des nombreuses ressources naturelles du Canada, qui sont toutes aÌ€ leur façon indispensables aÌ€ la produc- tion de la majorité des biens et services que nous produisons. Mais l’incurie qui caractérise leur gestion (aÌ€ tel point que nous n’avons aucune idée des réserves dont nous disposons et moins encore du rythme auquel elles s’épuisent) a engendré des pertes inquiétantes.
Mme Olewiler note que, paradoxale- ment, certaines ressources non renou- velables comme les combustibles fossiles et les minéraux, dont les prix reflé€tent de plus pré€s la rareté, sont en fait mieux gérées que les foré‚ts et les stocks de pois- sons. Elle rappelle enfin que la façon dont nous gérons nos ressources a des répercussions profondes pour bien des régions rurales dont c’est le principal moyen de subsistance.
Anne Golden en appelle également aÌ€ une meilleure gestion de nos ressources, en particulier des foré‚ts, de l’eau, du pétrole et du gaz naturel, d’au- tant plus que la forte demande actuelle nous offre l’occasion idéale d’élaborer une stratégie d’optimisation de leurs avantages économiques dans une pers- pective de développement durable. Elle ajoute que la question du réchauffe- ment planétaire devrait constituer l’axe d’une stratégie globale de gestion des ressources naturelles, et elle préconise la tenue d’un débat ouvert et créatif sur les changements climatiques en vue d’adopter des programmes d’échange de droits d’émission et des cibles mieux définies pour les grands pollueurs. Bref, il serait grand temps de passer aÌ€ l’action.
Robert Lacroix et Jim Stanford ont aussi retenu les changements clima- tiques parmi leurs principaux défis, mais sans intégrer cette priorité aÌ€ la gestion des ressources naturelles : on peut en effet soutenir que, tout en étant connexes, les deux questions nécessitent une réponse politique différente. Tous deux exhortent le Canada aÌ€ respecter ses engagements de Kyoto, mais abordent la question d’un angle différent. Le premier réclame d’Ottawa qu’il respecte le principe pollueur-payeur pour prendre en compte la responsabilité de l’Alberta, qui, mé‚me si elle ne compte que 10 p. 100 de la population canadienne, a généré 46 p. 100 de la hausse des gaz aÌ€ effet de serre depuis 1990. Le second met l’accent sur la conservation et estime qu’en investissant dans les technologies propres, le transport en commun et les véhicules peu énergivores, le Canada se rapprocherait des cibles de Kyoto sans sacrifier sa croissance économique
Si, au départ, seuls 4 des 12 parti- cipants avaient inscrit le capital naturel et l’environnement parmi leurs trois priorités, ils ont convaincu l’ate- lier de leur importance et ont finale- ment obtenu 10 voix en leur faveur.
Le bien-é‚tre économique repose aÌ€ l’évidence sur de nombreux fac- teurs, comme l’explique Lars Osberg, mais le revenu demeure l’un des plus importants. Or, si l’amélioration aÌ€ long terme du niveau de vie passe par l’aug- mentation du revenu moyen, le niveau de productivité d’un pays est lui un déterminant clé de son revenu par habitant. Aussi, on ne saurait sous- estimer l’importance de la productivité, bien que cette notion puisse sembler obscure pour beaucoup de gens. L’augmentation du niveau de pro- ductivité et de son taux de croissance arrive d’ailleurs en té‚te des priorités de Kevin Lynch, Anne Golden, Tom Kent et Janice MacKinnon. Cet enjeu est également repris indirectement par cinq autres auteurs, qui soulignent l’im- portance d’améliorer notre perfor- mance en ce qui concerne le capital humain, puisqu’une main-d’œuvre qualifiée et expérimentée est aussi plus productive.
Si Janice MacKinnon explique le retard de la productivité canadienne par notre faible capacité d’innovation, Tom Kent exprime son inquiétude aÌ€ ce chapitre en proÌ‚nant le « travail intelli- gent ». La premié€re juge essentiel d’in- vestir dans la recherche-développement (R-D) et soutient qu’il incombe aux gou- vernements d’en faire plus, c’est-aÌ€-dire de financer la recherche et d’inciter nos entreprises aÌ€ multiplier leurs efforts de R-D. Le second propose de réformer le régime fiscal et le cadre de réglementa- tion pour inciter entreprises et particu- liers aÌ€ épargner, aÌ€ investir, aÌ€ prendre des risques et aÌ€ créer des occasions d’affaires.
Les revenus des Canadiens aug- menteront au rythme de notre pro- ductivité quoi qu’il arrive aÌ€ l’étranger, mais ceci ne veut pas dire que l’on ne doit pas se soucier de ce qui se passe ailleurs. Kevin Lynch note aÌ€ cet égard que notre productivité moyenne est inférieure aÌ€ celle de nos principaux partenaires commerciaux, les EÌtats-Unis surtout, et que cet écart se creuse en rai- son de nos faibles taux de croissance. Il ajoute que les dépenses du secteur privé aussi bien en R-D qu’en machinerie et équipement, deux facteurs détermi- nants de productivité, sont aussi tré€s inférieures aÌ€ celles d’autres pays développés. L’accroissement de ces taux d’investissement, conclut-il, est au cœur du défi de la productivité canadienne.
Anne Golden s’inquié€te pour sa part de notre faible « compétitivité » (terme global qu’elle utilise pour parler de divers facteurs de productivité et de croissance) dans une économie mondialisée en rapi- de mutation. Outre la dynamisation de la productivité et de l’innovation, elle considé€re qu’il faut aussi (tout comme Kevin Lynch d’ailleurs) augmenter l’in- vestissement étranger direct sortant et entrant. Ce dernier est en effet une source importante de transfert tech- nologique par les entreprises étrangé€res.
Elle souligne également l’avantage considérable qu’il y aurait aÌ€ continuer de réduire les couÌ‚ts liés au mouvement des biens traversant la frontié€re canado- américaine, compte tenu de l’importance des flux d’échanges quotidiens. Nancy Olewiler abonde dans le mé‚me sens. AÌ€ son avis, nous nous devons d’améliorer la coopération et les relations commerciales avec notre voisin du Sud, non seulement comme un objectif valable en soi mais aussi pour nous permettre de mieux affronter la concurrence de plus en plus vive des marchés émergents.
La croissance de la productivité a été retenue par la moitié seulement de nos participants, bien que ce soit un enjeu important pour l’accroissement du niveau de vie. Par ailleurs, l’appui donné aux deux défis connexes de création et de commercialisation du savoir et du capital humain (respectivement 6 et 12 votes) nous permet de supposer que la productivité canadienne constitue une priorité plus largement partagée que ne l’indiquent les résultats bruts.
Le portrait de la situation du Canada au sein de l’économie mondiale que nous trace Robert Lacroix au début de son texte est de plus en plus connu. Le perfectionnement des technolo- gies de transport et de communi- cation ainsi que l’expansion des flux financiers et commerciaux, soutient-il, exposent inévitable- ment des pays comme le noÌ‚tre aux chocs économiques qui ébranlent d’autres régions du globe, ce qui entraiÌ‚ne des mou- vements de capitaux et de main- d’œuvre entre catégories d’emploi, secteurs d’activité et régions géographiques. Le Canada et les EÌtats-Unis parvien- nent aÌ€ s’adapter assez rapide- ment mais ces chocs n’en causent pas moins souvent des difficultés temporaires, notam- ment sous forme de mises aÌ€ pied. Et pour les travailleurs peu qua- lifiés ou moins mobiles, ces diffi- cultés peuvent s’avérer plus difficiles aÌ€ surmonter.
Les raisons ne manquent donc pas de justifier des mesures de sécurité économique offrant aÌ€ chacun un « filet de protection sociale ». La premié€re étant d’ordre moral : aider ceux qui sont dans le besoin, mé‚me si leur situa- tion risque de perdurer. Mais Lars Osberg avance un raisonnement plus subtil fondé sur la nécessité de rajuste- ments économiques en cas de perturba- tions. En effet, tout un chacun sera mieux disposé aÌ€ participer aÌ€ une économie sujette aÌ€ de telles perturba- tions s’il se sait protégé par un filet de sécurité qui le prémunit contre les coups durs. En intégrant cette forme de « ges- tion du risque » aÌ€ la notion de protec- tion sociale, Osberg prend en compte les effets de l’incertitude économique sur le bien-é‚tre des individus.
Clairement mis de l’avant par Ken Battle et Judith Maxwell, le thé€me de la sécurité économique est indirectement repris par d’autres auteurs. Ken Battle déplore l’absence d’un systé€me cohérent de « prestations pour adultes » qui met- trait de l’ordre dans notre mosaïque de programmes, de l’assurance-emploi aÌ€ l’aide sociale en passant par les presta- tions pour enfants, l’aide aux invalides et le régime de pensions. Non seulement chaque programme compte-t-il son lot de problé€mes, dit-il, l’engrenage de la pauvreté, par exemple, ou la dis- crimination, mais ils poursuivent parfois des objectifs carrément contra- dictoires. La refonte d’un systé€me glo- bal de prestations pour adultes figure donc en té‚te de ses priorités.
Judith Maxwell se penche de son coÌ‚té sur la situation des adultes en aÌ‚ge de travailler qui sont pris avec des emplois précaires et peu rémunérés. Pour certains, ces emplois servent de tremplin vers un poste permanent mieux payé, mais trop nombreux sont ceux pour qui cette situation persiste. Ces travailleurs trouvent difficilement des services de garde adéquats aÌ€ prix abordable et ils parviennent rarement aÌ€ se perfectionner. Le fait de se trouver dans ce genre d’emploi précaire et sans avenir en termes d’acquisition de com- pétences, de rémunération et de sécu- rité économique a des conséquences néfastes aÌ€ long terme pour leurs familles, leurs enfants et pour les quartiers ouÌ€ ils vivent. Elle con- clut aÌ€ la nécessité de mettre en place de meilleurs parcours favorisant le passage de l’école au marché du travail pour les jeunes adultes.
AÌ€ l’instar de Judith Maxwell, Jim Stanford déplore les conséquences du travail peu rémunéré. Mais il s’inquié€te surtout de la concentration et de l’étendue de la pauvreté au Canada, et de l’exclusion sociale qui s’ensuit. Il observe que l’in- cidence de la pauvreté ne sem- ble pas avoir progressé au cours des dernié€res années, mais il montre que son étendue et sa concentration ”” aussi bien géo- graphique que parmi certains groupes identifiables comme les immigrants et les minorités visi- bles ”” ont sensiblement aug- menté. Le Canada compte aujourd’hui plus de quartiers pouvant é‚tre qualifiés de « défa- vorisés », alors que les familles aÌ€ faible revenu étaient autrefois dispersées dans des quartiers ouÌ€ les revenus étaient plus variés. L’auteur s’interroge sur les répercussions de cette concentration de la « pauvreté selon le code postal » sur le mieux-é‚tre des familles et des collectivités
Lars Osberg s’intéresse pour sa part aux changements intervenus aux deux extrémités de la répartition des revenus, et note qu’il y a eu un accroissement des inégalités de revenus au Canada. Il trou- ve particulié€rement alarmante la baisse radicale du revenu réel des ménages qui se situent au bas de l’échelle. La multi- plication simultanée des sans-abri et des maisons-chaÌ‚teaux illustre cet écart con- firmé par toutes les données. Or l’iné- galité croissante des revenus fragilise le tissu social, porte atteinte aux institu- tions fondées sur la confiance et la générosité, et amoindrit la civilité qui doit régner entre citoyens, une observation qui ren- voie aÌ€ la notion de « capi- tal social » souvent reprise dans le débat public.
La discussion portant sur les enjeux qui entourent la sécurité économique et l’exclusion sociale est reflétée dans trois des priorités identi- fiées par les participants dans leur liste finale : amélioration de la situation d’emploi et de l’employabilité des adultes, amélioration de la sécurité économique des familles avec enfants, réduction de la pauvreté et de l’exclu- sion. Aucun de ces trois défis n’a récolté plus de sept votes, mais neuf participants ont accordé leurs voix aÌ€ au moins l’un d’entre eux.
L’enjeu du vieillissement de la po- pulation ”” la « tempé‚te démo- graphique » qui se pointe aÌ€ l’horizon pour reprendre l’expression imagée de Pierre Fortin ”” figurait parmi les priorités de départ de quatre participants ; il a finalement été retenu comme un des huit principaux défis du Canada par les deux tiers du groupe.
Le débat sur les soins de santé et la viabilité financié€re du systé€me public repose essentiellement sur ce dilemme : comment répondre aux besoins de santé d’une population qui vieillit rapi- dement alors mé‚me que le nombre de travailleurs contribuant au financement des services et programmes destinés aux personnes aÌ‚gées est appelé aÌ€ diminuer. Selon Janice MacKinnon, nous devons aÌ€ tout prix introduire des moyens de financement liés aÌ€ l’usage du systé€me afin d’avoir les bonnes mesures incitatives et empé‚cher que les dépenses de santé n’empié€tent sur le financement d’autres domaines qui influent davan- tage sur l’état de santé de la population, notamment l’éducation, la lutte contre la pauvreté et l’environnement.
La santé constitue une priorité majeure pour l’ensemble de nos spé- cialistes. Alors que cinq d’entre eux ont accordé leurs voix aÌ€ la nécessité d’assurer la pérennité du systé€me de santé, plusieurs ont soutenu en atelier que l’objectif aÌ€ poursuivre était en fait celui d’améliorer l’état de santé de la population, et ce défi connexe a obtenu sept voix. Au total, 11 partici- pants sur 12 ont voté pour l’un ou l’autre de ces défis.
Afin de parer aÌ€ ce grand tournant démographique, Janice MacKinnon et Anne Golden préconisent un renforce- ment des mesures favorisant une plus grande participation au marché du tra- vail. Mais si la premié€re privilégie le développement de la main-d’œuvre actuelle et future, notamment celle des autochtones, la seconde juge plus prometteur de mettre l’accent sur les tra- vailleurs aÌ‚gés.
Par ailleurs, comme il sera impor- tant d’attirer et de retenir de jeunes travailleurs mobiles et hautement qualifiés, Janice MacKinnon et Pierre Fortin sont d’avis qu’il faudra assurer un partage plus équitable du fardeau fiscal entre générations, c’est-aÌ€-dire entre ceux qui contribuent au finance- ment des dépenses publiques et ceux qui en bénéficient. Pour ce dernier, la notion d’équité s’étend également aux prochaines générations et par conséquent nécessite une réduction du niveau de la dette publique.
Le vieillissement de la population et les liens intergénérationnels figurent aussi parmi les priorités de Judith Maxwell. Le plus urgent aÌ€ ses yeux est de répondre aux besoins des familles aÌ€ chaque stade du cycle de vie, afin d’y préserver les liens naturels d’entraide et de partage. Cela nécessiterait selon elle de mettre en place des systé€mes de soins pour les tout-petits comme pour les tré€s aÌ‚gés, ainsi qu’une meilleure pré- paration et trajectoire vers le marché du travail pour les jeunes adultes.
En résumé, les thé€mes issus de cette journée de discussion ont obtenu l’appui de l’ensemble des participants, qui ont ainsi témoigné de leur volonté de trouver un terrain d’entente sur les grands enjeux qui ont été soulevés, du capital humain et naturel aÌ€ la produc- tivité en passant par la croissance, le changement démographique et la sécurité économique.
Néanmoins, ces enjeux sont perçus par chacun sous des angles différents, laissant ouverte la question des instruments politiques les plus adéquats pour relever les défis qu’ils ont recensés. C’est cette question que l’IRRP se pro- pose d’explorer au cours de la prochaine phase de ce projet.
En terminant, nous désirons remercier chaleureusement chacun des participants d’avoir accepté de prendre part aÌ€ cet exercice et de nous avoir accordé le bénéfice de leur jugement et expertise.