Depuis les travaux de la Commission Macdonald il y a 20 ans, les Canadiens ont eu peu d’occasions d’engager un véritable débat sur les perspectives économiques et sociales du pays. Mé‚me la récente cam- pagne électorale, bien qu’elle ait révélé de nettes différences entre les partis relativement aÌ€ quelques mesures politiques bien précises, n’a pas permis d’engager le débat sur les grands défis qui attendent le Canada.

L’IRPP a conçu le projet sur les priorités canadiennes pour contribuer aÌ€ un débat de fond sur les choix et les priorités poli- tiques du pays. La prémisse en est simple : mé‚me si c’est une réalité parfois difficile aÌ€ accepter et aÌ€ gérer, il n’en reste pas moins que nos gouvernements doivent choisir soigneusement les politiques aÌ€ mettre en œuvre en fonction des ressources li- mitées dont ils disposent. Tout en prenant en considération les impératifs politiques, les gouvernements doivent ainsi égale- ment évaluer les couÌ‚ts, les avantages et les effets distributifs des politiques envisagées, ainsi que leurs retombées aÌ€ long terme, puisque l’ensemble des bienfaits d’une mesure donnée n’appa- raiÌ‚t souvent que bien apré€s l’engagement des dépenses initiales.

Pour lancer ce projet, nous avons demandé aÌ€ un groupe d’experts d’identifier les principaux défis politiques que le Canada se devra de relever aÌ€ moyen terme. Les résultats de cet exercice font l’objet du présent article et des textes qui l’accompagnent. Pour la deuxié€me étape, l’IRPP entrepren- dra une série d’études pour évaluer en détail les effets de politiques conçues pour relever ces grands défis. Pour l’étape finale, nous réunirons un jury composé de membres possé- dant une expérience reconnue de l’analyse des politiques publiques pour faire le bilan des politiques proposées et dégager celles qui sont le plus susceptibles d’améliorer le bien-é‚tre économique et social des Canadiens.

Pour déterminer quelles sont ces grandes priorités, l’IRPP a donc réuni un groupe formé de 12 universitaires, ana- lystes et praticiens ayant tous une solide connaissance des politiques publiques. Nos participants apportent un large éventail d’expertises et de perspectives provenant du monde universitaire, des milieux gouvernementaux et des établisse- ments de recherche indépendants, de mé‚me que d’horizons politiques et régionaux divers.

Le 27 janvier dernier, nos 12 spécialistes ont participé aÌ€ un atelier tenu dans les bureaux de l’IRPP pour convenir des huit principaux défis politiques auxquels le Canada est confronté. Ce choix devait reposer sur deux crité€res : leur importance par rapport au bien-é‚tre économique et social du Canada, et la possibilité de les relever aÌ€ l’aide de mesures politiques précises. En début d’atelier, chaque participant a présenté les trois défis qui lui semblaient d’une importance particulié€rement critique.

Leurs choix respectifs figurent au tableau 1. On peut voir qu’il y a plusieurs recoupements parmi les 36 défis pro- posés. Certains participants ont choisi des défis presque identiques, par exemple le vieillissement de la population. D’autres ont privilégié des défis reposant sur des thé€mes analogues, notamment l’amélioration du capital humain, en les articulant toutefois autour d’enjeux et de priorités dif- férents. Aussi a-t-on consacré la suite de l’atelier aÌ€ recenser ces recoupements afin d’obtenir une synthé€se représentative de toutes les idées mises de l’avant.

En fin d’atelier, les participants ont été appelés aÌ€ voter pour les huit défis les plus importants aÌ€ leurs yeux, parmi les 14 que l’exercice de synthé€se avait dégagés. Les résultats de cet exercice (voir le tableau 2) serviront aÌ€ identifier les sujets de recherche pour la prochaine étape du projet.

Étant donné l’étendue et la diversité de l’expertise de nos spécialistes, nous n’étions pas étonnés que ceux-ci aient des opinions divergentes et assez arré‚tées quant aux priorités politiques du Canada. Mais, malgré des différences bien senties, on relé€ve aussi de grands enjeux communs. Le développement du capital humain et naturel, par exemple, ou l’amélioration de la productivité, indispensables aÌ€ notre croissance économique aÌ€ long terme. De mé‚me, la notion d’équité est au cœur des considérations de plusieurs, que ce soit entre jeunes et vieux, riches et pauvres, les générations d’aujourd’hui et celles de demain, comme l’indique une inquiétude large- ment partagée quant aux répercussions de l’insécurité économique et du vieil- lissement sur la cohésion sociale.

Plusieurs participants ont par ailleurs voulu rappeler l’importance de nos institutions. Comme le font valoir Tom Kent et Janice MacKinnon au début de leurs textes, l’élaboration de priorités politiques sera dénuée de sens si notre systé€me de gouvernance, c’est- aÌ€-dire l’ensemble des instruments ser- vant aÌ€ déterminer et aÌ€ mettre en œuvre des politiques efficaces, n’est pas aÌ€ la hauteur. Selon eux plusieurs questions méritent notre attention, notamment le roÌ‚le du Parlement, la représentation électorale et le bon fonctionnement de la fédération. Ce dernier élément qui ressort dans plusieurs des textes sous différents angles ”” de l’unité nationale aÌ€ la notion de citoyenneté commune en passant par la coopération fédérale- provinciale et les relations fiscales ”” est aÌ€ juste titre considéré comme une condition essentielle aÌ€ une interven- tion gouvernementale efficace dans les autres domaines. La plupart de nos spé- cialistes s’entendaient sur ce point.

La notion de capital est un concept économique qui s’est étendu ces dernié€res années aÌ€ plusieurs autres sphé€res et qui, selon Nancy Olewiler, est fort utile pour mieux comprendre les défis politiques canadiens. Comme elle le fait remarquer, le Canada jouit d’un abondant capital humain (une popula- tion instruite et en santé), naturel (nos réserves de ressources naturelles), physique (notre infrastructure publique et privée) et social (une démocratie stable et une société civile). En souli- gnant l’importance du « capital pu- blic », c’est-aÌ€-dire les éléments du bien collectif qui réclament une action gou- vernementale, elle affirme que « nous avons vécu de ce capital public tout en y consacrant trop peu d’investissements ou des investissements inefficaces ». Plusieurs autres participants sont aussi de cet avis, en ce qui a trait notamment au capital humain et naturel.

L’éducation, la formation et le développement des compétences sont d’une importance indiscutable pour tous nos contributeurs. C’est d’ailleurs le seul défi qu’ils ont unanimement inscrit aÌ€ leur liste de huit priorités. Mais laÌ€ encore, le raisonnement, les facteurs en jeu ainsi que l’approche aÌ€ privilégier va- rient selon chacun. Ainsi Janice MacKinnon, Kevin Lynch et Anne Golden, qui donnent priorité aÌ€ la pro- ductivité et aÌ€ l’innovation, jugent indis- pensable de disposer au préalable d’une main-d’œuvre instruite et qualifiée. On retrouve le mé‚me raisonnement chez Pierre Fortin et Robert Lacroix, bien que ce dernier mette l’accent sur la capacité d’innover dans une économie du savoir et, par conséquent, sur la nécessité d’in- jecter des fonds supplémentaires dans l’enseignement postsecondaire et la recherche universitaire. Pierre Fortin est quant aÌ€ lui catégorique : « Nous devons d’urgence (…) promouvoir les compé- tences essentielles que sont l’al- phabétisme et l’arithmétique », car c’est l’acquisition de ces compétences de base par la population qui produira le meilleur rendement sur nos investissements publics. D’autres vont dans le mé‚me sens en évoquant le problé€me chronique du décrochage scolaire, les besoins croissants en métiers spécialisés, les lacunes de la formation linguistique des immigrants et les déboires connus dans le dossier de la scolarisation des autochtones. Ceci donne aÌ€ penser que le principal défi en matié€re de capital humain est probable- ment celui d’assurer une meilleure alloca- tion des ressources.

Toutes ces questions rappellent, par ailleurs, que la raison d’é‚tre de l’éduca- tion ne se limite pas aÌ€ répondre aux besoins du marché du travail; elle permet aussi d’améliorer la qualité de vie, la mobilité sociale et le capital social. C’est cette mé‚me conviction qui anime plusieurs de nos défenseurs du capital humain qui préfé€rent nettement mettre l’accent sur la jeunesse et la petite enfance. Tom Kent estime aÌ€ ce propos qu’on ne répondrait pas aux vrais besoins en se contentant d’améliorer l’enseignement postsecondaire. La prio- rité absolue consiste selon lui aÌ€ prendre soin de nos enfants et de leur développe- ment. Un avis partagé par Jane Jenson, Judith Maxwell et Ken Battle, pour qui l’apprentissage précoce est un détermi- nant clé de réussite scolaire, une prépa- ration aÌ€ l’apprentissage permanent et un outil de prévention chez les enfants vul- nérables et aÌ€ risque. Ces quatre auteurs préconisent donc un meilleur accé€s aÌ€ des services de garde de qualité, pas seule- ment dans la perspective de développer notre capital humain mais également dans celle de soutenir les familles et les communautés, notre capital social.

Nancy Olewiler plaide aussi avec conviction en faveur de la protec- tion et de la valorisation de notre capi- tal naturel, un point de vue repris par Anne Golden. Minerais, foré‚ts, eau douce et faune ne sont que quelques- unes des nombreuses ressources naturelles du Canada, qui sont toutes aÌ€ leur façon indispensables aÌ€ la produc- tion de la majorité des biens et services que nous produisons. Mais l’incurie qui caractérise leur gestion (aÌ€ tel point que nous n’avons aucune idée des réserves dont nous disposons et moins encore du rythme auquel elles s’épuisent) a engendré des pertes inquiétantes.

Mme Olewiler note que, paradoxale- ment, certaines ressources non renou- velables comme les combustibles fossiles et les minéraux, dont les prix reflé€tent de plus pré€s la rareté, sont en fait mieux gérées que les foré‚ts et les stocks de pois- sons. Elle rappelle enfin que la façon dont nous gérons nos ressources a des répercussions profondes pour bien des régions rurales dont c’est le principal moyen de subsistance.

Anne Golden en appelle également aÌ€ une meilleure gestion de nos ressources, en particulier des foré‚ts, de l’eau, du pétrole et du gaz naturel, d’au- tant plus que la forte demande actuelle nous offre l’occasion idéale d’élaborer une stratégie d’optimisation de leurs avantages économiques dans une pers- pective de développement durable. Elle ajoute que la question du réchauffe- ment planétaire devrait constituer l’axe d’une stratégie globale de gestion des ressources naturelles, et elle préconise la tenue d’un débat ouvert et créatif sur les changements climatiques en vue d’adopter des programmes d’échange de droits d’émission et des cibles mieux définies pour les grands pollueurs. Bref, il serait grand temps de passer aÌ€ l’action.

Robert Lacroix et Jim Stanford ont aussi retenu les changements clima- tiques parmi leurs principaux défis, mais sans intégrer cette priorité aÌ€ la gestion des ressources naturelles : on peut en effet soutenir que, tout en étant connexes, les deux questions nécessitent une réponse politique différente. Tous deux exhortent le Canada aÌ€ respecter ses engagements de Kyoto, mais abordent la question d’un angle différent. Le premier réclame d’Ottawa qu’il respecte le principe pollueur-payeur pour prendre en compte la responsabilité de l’Alberta, qui, mé‚me si elle ne compte que 10 p. 100 de la population canadienne, a généré 46 p. 100 de la hausse des gaz aÌ€ effet de serre depuis 1990. Le second met l’accent sur la conservation et estime qu’en investissant dans les technologies propres, le transport en commun et les véhicules peu énergivores, le Canada se rapprocherait des cibles de Kyoto sans sacrifier sa croissance économique

Si, au départ, seuls 4 des 12 parti- cipants avaient inscrit le capital naturel et l’environnement parmi leurs trois priorités, ils ont convaincu l’ate- lier de leur importance et ont finale- ment obtenu 10 voix en leur faveur.

Le bien-é‚tre économique repose aÌ€ l’évidence sur de nombreux fac- teurs, comme l’explique Lars Osberg, mais le revenu demeure l’un des plus importants. Or, si l’amélioration aÌ€ long terme du niveau de vie passe par l’aug- mentation du revenu moyen, le niveau de productivité d’un pays est lui un déterminant clé de son revenu par habitant. Aussi, on ne saurait sous- estimer l’importance de la productivité, bien que cette notion puisse sembler obscure pour beaucoup de gens. L’augmentation du niveau de pro- ductivité et de son taux de croissance arrive d’ailleurs en té‚te des priorités de Kevin Lynch, Anne Golden, Tom Kent et Janice MacKinnon. Cet enjeu est également repris indirectement par cinq autres auteurs, qui soulignent l’im- portance d’améliorer notre perfor- mance en ce qui concerne le capital humain, puisqu’une main-d’œuvre qualifiée et expérimentée est aussi plus productive.

Si Janice MacKinnon explique le retard de la productivité canadienne par notre faible capacité d’innovation, Tom Kent exprime son inquiétude aÌ€ ce chapitre en proÌ‚nant le « travail intelli- gent ». La premié€re juge essentiel d’in- vestir dans la recherche-développement (R-D) et soutient qu’il incombe aux gou- vernements d’en faire plus, c’est-aÌ€-dire de financer la recherche et d’inciter nos entreprises aÌ€ multiplier leurs efforts de R-D. Le second propose de réformer le régime fiscal et le cadre de réglementa- tion pour inciter entreprises et particu- liers aÌ€ épargner, aÌ€ investir, aÌ€ prendre des risques et aÌ€ créer des occasions d’affaires.

Les revenus des Canadiens aug- menteront au rythme de notre pro- ductivité quoi qu’il arrive aÌ€ l’étranger, mais ceci ne veut pas dire que l’on ne doit pas se soucier de ce qui se passe ailleurs. Kevin Lynch note aÌ€ cet égard que notre productivité moyenne est inférieure aÌ€ celle de nos principaux partenaires commerciaux, les États-Unis surtout, et que cet écart se creuse en rai- son de nos faibles taux de croissance. Il ajoute que les dépenses du secteur privé aussi bien en R-D qu’en machinerie et équipement, deux facteurs détermi- nants de productivité, sont aussi tré€s inférieures aÌ€ celles d’autres pays développés. L’accroissement de ces taux d’investissement, conclut-il, est au cœur du défi de la productivité canadienne.

Anne Golden s’inquié€te pour sa part de notre faible « compétitivité » (terme global qu’elle utilise pour parler de divers facteurs de productivité et de croissance) dans une économie mondialisée en rapi- de mutation. Outre la dynamisation de la productivité et de l’innovation, elle considé€re qu’il faut aussi (tout comme Kevin Lynch d’ailleurs) augmenter l’in- vestissement étranger direct sortant et entrant. Ce dernier est en effet une source importante de transfert tech- nologique par les entreprises étrangé€res.

Elle souligne également l’avantage considérable qu’il y aurait aÌ€ continuer de réduire les couÌ‚ts liés au mouvement des biens traversant la frontié€re canado- américaine, compte tenu de l’importance des flux d’échanges quotidiens. Nancy Olewiler abonde dans le mé‚me sens. AÌ€ son avis, nous nous devons d’améliorer la coopération et les relations commerciales avec notre voisin du Sud, non seulement comme un objectif valable en soi mais aussi pour nous permettre de mieux affronter la concurrence de plus en plus vive des marchés émergents.

La croissance de la productivité a été retenue par la moitié seulement de nos participants, bien que ce soit un enjeu important pour l’accroissement du niveau de vie. Par ailleurs, l’appui donné aux deux défis connexes de création et de commercialisation du savoir et du capital humain (respectivement 6 et 12 votes) nous permet de supposer que la productivité canadienne constitue une priorité plus largement partagée que ne l’indiquent les résultats bruts.

Le portrait de la situation du Canada au sein de l’économie mondiale que nous trace Robert Lacroix au début de son texte est de plus en plus connu. Le perfectionnement des technolo- gies de transport et de communi- cation ainsi que l’expansion des flux financiers et commerciaux, soutient-il, exposent inévitable- ment des pays comme le noÌ‚tre aux chocs économiques qui ébranlent d’autres régions du globe, ce qui entraiÌ‚ne des mou- vements de capitaux et de main- d’œuvre entre catégories d’emploi, secteurs d’activité et régions géographiques. Le Canada et les États-Unis parvien- nent aÌ€ s’adapter assez rapide- ment mais ces chocs n’en causent pas moins souvent des difficultés temporaires, notam- ment sous forme de mises aÌ€ pied. Et pour les travailleurs peu qua- lifiés ou moins mobiles, ces diffi- cultés peuvent s’avérer plus difficiles aÌ€ surmonter.

Les raisons ne manquent donc pas de justifier des mesures de sécurité économique offrant aÌ€ chacun un « filet de protection sociale ». La premié€re étant d’ordre moral : aider ceux qui sont dans le besoin, mé‚me si leur situa- tion risque de perdurer. Mais Lars Osberg avance un raisonnement plus subtil fondé sur la nécessité de rajuste- ments économiques en cas de perturba- tions. En effet, tout un chacun sera mieux disposé aÌ€ participer aÌ€ une économie sujette aÌ€ de telles perturba- tions s’il se sait protégé par un filet de sécurité qui le prémunit contre les coups durs. En intégrant cette forme de « ges- tion du risque » aÌ€ la notion de protec- tion sociale, Osberg prend en compte les effets de l’incertitude économique sur le bien-é‚tre des individus.

Clairement mis de l’avant par Ken Battle et Judith Maxwell, le thé€me de la sécurité économique est indirectement repris par d’autres auteurs. Ken Battle déplore l’absence d’un systé€me cohérent de « prestations pour adultes » qui met- trait de l’ordre dans notre mosaïque de programmes, de l’assurance-emploi aÌ€ l’aide sociale en passant par les presta- tions pour enfants, l’aide aux invalides et le régime de pensions. Non seulement chaque programme compte-t-il son lot de problé€mes, dit-il, l’engrenage de la pauvreté, par exemple, ou la dis- crimination, mais ils poursuivent parfois des objectifs carrément contra- dictoires. La refonte d’un systé€me glo- bal de prestations pour adultes figure donc en té‚te de ses priorités.

Judith Maxwell se penche de son coÌ‚té sur la situation des adultes en aÌ‚ge de travailler qui sont pris avec des emplois précaires et peu rémunérés. Pour certains, ces emplois servent de tremplin vers un poste permanent mieux payé, mais trop nombreux sont ceux pour qui cette situation persiste. Ces travailleurs trouvent difficilement des services de garde adéquats aÌ€ prix abordable et ils parviennent rarement aÌ€ se perfectionner. Le fait de se trouver dans ce genre d’emploi précaire et sans avenir en termes d’acquisition de com- pétences, de rémunération et de sécu- rité économique a des conséquences néfastes aÌ€ long terme pour leurs familles, leurs enfants et pour les quartiers ouÌ€ ils vivent. Elle con- clut aÌ€ la nécessité de mettre en place de meilleurs parcours favorisant le passage de l’école au marché du travail pour les jeunes adultes.

AÌ€ l’instar de Judith Maxwell, Jim Stanford déplore les conséquences du travail peu rémunéré. Mais il s’inquié€te surtout de la concentration et de l’étendue de la pauvreté au Canada, et de l’exclusion sociale qui s’ensuit. Il observe que l’in- cidence de la pauvreté ne sem- ble pas avoir progressé au cours des dernié€res années, mais il montre que son étendue et sa concentration ”” aussi bien géo- graphique que parmi certains groupes identifiables comme les immigrants et les minorités visi- bles ”” ont sensiblement aug- menté. Le Canada compte aujourd’hui plus de quartiers pouvant é‚tre qualifiés de « défa- vorisés », alors que les familles aÌ€ faible revenu étaient autrefois dispersées dans des quartiers ouÌ€ les revenus étaient plus variés. L’auteur s’interroge sur les répercussions de cette concentration de la « pauvreté selon le code postal » sur le mieux-é‚tre des familles et des collectivités

Lars Osberg s’intéresse pour sa part aux changements intervenus aux deux extrémités de la répartition des revenus, et note qu’il y a eu un accroissement des inégalités de revenus au Canada. Il trou- ve particulié€rement alarmante la baisse radicale du revenu réel des ménages qui se situent au bas de l’échelle. La multi- plication simultanée des sans-abri et des maisons-chaÌ‚teaux illustre cet écart con- firmé par toutes les données. Or l’iné- galité croissante des revenus fragilise le tissu social, porte atteinte aux institu- tions fondées sur la confiance et la générosité, et amoindrit la civilité qui doit régner entre citoyens, une observation qui ren- voie aÌ€ la notion de « capi- tal social » souvent reprise dans le débat public.

La discussion portant sur les enjeux qui entourent la sécurité économique et l’exclusion sociale est reflétée dans trois des priorités identi- fiées par les participants dans leur liste finale : amélioration de la situation d’emploi et de l’employabilité des adultes, amélioration de la sécurité économique des familles avec enfants, réduction de la pauvreté et de l’exclu- sion. Aucun de ces trois défis n’a récolté plus de sept votes, mais neuf participants ont accordé leurs voix aÌ€ au moins l’un d’entre eux.

L’enjeu du vieillissement de la po- pulation ”” la « tempé‚te démo- graphique » qui se pointe aÌ€ l’horizon pour reprendre l’expression imagée de Pierre Fortin ”” figurait parmi les priorités de départ de quatre participants ; il a finalement été retenu comme un des huit principaux défis du Canada par les deux tiers du groupe.

Le débat sur les soins de santé et la viabilité financié€re du systé€me public repose essentiellement sur ce dilemme : comment répondre aux besoins de santé d’une population qui vieillit rapi- dement alors mé‚me que le nombre de travailleurs contribuant au financement des services et programmes destinés aux personnes aÌ‚gées est appelé aÌ€ diminuer. Selon Janice MacKinnon, nous devons aÌ€ tout prix introduire des moyens de financement liés aÌ€ l’usage du systé€me afin d’avoir les bonnes mesures incitatives et empé‚cher que les dépenses de santé n’empié€tent sur le financement d’autres domaines qui influent davan- tage sur l’état de santé de la population, notamment l’éducation, la lutte contre la pauvreté et l’environnement.

La santé constitue une priorité majeure pour l’ensemble de nos spé- cialistes. Alors que cinq d’entre eux ont accordé leurs voix aÌ€ la nécessité d’assurer la pérennité du systé€me de santé, plusieurs ont soutenu en atelier que l’objectif aÌ€ poursuivre était en fait celui d’améliorer l’état de santé de la population, et ce défi connexe a obtenu sept voix. Au total, 11 partici- pants sur 12 ont voté pour l’un ou l’autre de ces défis.

Afin de parer aÌ€ ce grand tournant démographique, Janice MacKinnon et Anne Golden préconisent un renforce- ment des mesures favorisant une plus grande participation au marché du tra- vail. Mais si la premié€re privilégie le développement de la main-d’œuvre actuelle et future, notamment celle des autochtones, la seconde juge plus prometteur de mettre l’accent sur les tra- vailleurs aÌ‚gés.

Par ailleurs, comme il sera impor- tant d’attirer et de retenir de jeunes travailleurs mobiles et hautement qualifiés, Janice MacKinnon et Pierre Fortin sont d’avis qu’il faudra assurer un partage plus équitable du fardeau fiscal entre générations, c’est-aÌ€-dire entre ceux qui contribuent au finance- ment des dépenses publiques et ceux qui en bénéficient. Pour ce dernier, la notion d’équité s’étend également aux prochaines générations et par conséquent nécessite une réduction du niveau de la dette publique.

Le vieillissement de la population et les liens intergénérationnels figurent aussi parmi les priorités de Judith Maxwell. Le plus urgent aÌ€ ses yeux est de répondre aux besoins des familles aÌ€ chaque stade du cycle de vie, afin d’y préserver les liens naturels d’entraide et de partage. Cela nécessiterait selon elle de mettre en place des systé€mes de soins pour les tout-petits comme pour les tré€s aÌ‚gés, ainsi qu’une meilleure pré- paration et trajectoire vers le marché du travail pour les jeunes adultes.

En résumé, les thé€mes issus de cette journée de discussion ont obtenu l’appui de l’ensemble des participants, qui ont ainsi témoigné de leur volonté de trouver un terrain d’entente sur les grands enjeux qui ont été soulevés, du capital humain et naturel aÌ€ la produc- tivité en passant par la croissance, le changement démographique et la sécurité économique.

Néanmoins, ces enjeux sont perçus par chacun sous des angles différents, laissant ouverte la question des instruments politiques les plus adéquats pour relever les défis qu’ils ont recensés. C’est cette question que l’IRRP se pro- pose d’explorer au cours de la prochaine phase de ce projet.

En terminant, nous désirons remercier chaleureusement chacun des participants d’avoir accepté de prendre part aÌ€ cet exercice et de nous avoir accordé le bénéfice de leur jugement et expertise. 

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