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Le déclenchement de la campagne électorale fédérale, sur fond de guerre commerciale avec les États-Unis, laissait espérer un débat à la hauteur des enjeux. On pouvait croire à une campagne qui s’élèverait au-dessus du jeu habituel des promesses électoralistes.
Erreur.
Dès les premiers jours, qu’ont fait les partis politiques? Quatre d’entre eux ont cherché à plaire à l’électorat en jouant à qui ferait les plus grosses baisses d’impôt. Une bonne idée?
Avant d’analyser les impacts concrets des propositions, précisons d’emblée que cette analyse se concentre uniquement sur les promesses de réductions de l’impôt sur le revenu des particuliers. Nous laissons donc de côté les autres engagements qui réduiraient aussi les revenus de l’État, comme : l’abolition de la taxe carbone, le rejet de la hausse du taux d’inclusion du gain en capital, l’exemption de TPS sur certains biens et services, dont l’achat d’une maison neuve, le rehaussement du plafond du CÉLI pour des placements canadiens ou encore le report du gain en capital réinvesti au Canada.
Deux approches pour réduire l’impôt sur le revenu
En 2025, le barème d’imposition fédéral progressif applique cinq taux marginaux d’imposition, de 15 % sur la première tranche de revenu imposable à 33 % pour la cinquième tranche.
Pour tenir compte des besoins essentiels, l’imposition fédérale prévoit un montant personnel de base (MPB), qui exempte d’impôt les premiers dollars gagnés jusqu’à un certain seuil.
Le MPB fédéral est de 16 129 $ et est progressivement réduit jusqu’à 14 538 $ lorsque le revenu imposable se situe entre 177 882 $ et 253 414 $. Ce MPB multiplié par le premier taux du barème génère donc une économie d’impôt.
Essentiellement, tant les libéraux que les conservateurs ont opté pour réduire le premier taux du barème: les libéraux proposent de le baisser d’un point pour qu’il atteigne 14 % et les conservateurs de 2,25 points à 12,75 %.
De leur côté, le NPD et le Parti vert ont choisi de bonifier le MPB. Le NPD propose de le majorer à 19 500 $ (+3371 $) et de le réduire ensuite, comme c’est le cas actuellement, mais jusqu’à 13 500 $ (-1 038 $). Le Parti Vert propose de l’augmenter à 40 000 $, mais seulement pour les contribuables dont le revenu imposable est inférieur à 100 000 $.
À qui va la plus grosse économie?
Pour mesurer ce que représentent ces promesses pour un contribuable, le calcul est effectué pour six niveaux de revenu imposable. Rappelons comme l’imposition est individuelle, l’analyse est faite sans égard à la situation de ménage.
Que ce soit chez les conservateurs ou les libéraux, qui promettent tous deux de baisser le premier taux, le portrait est similaire : le contribuable ayant un revenu imposable de 50 000 $ bénéficie des plus fortes baisses d’impôt en pourcentage, même si ce sont les plus fortunés – par exemple à 300 000 $ de revenu – qui empochent les économies les plus élevées en dollars. Évidemment, comme la baisse du premier taux est plus grande chez les conservateurs, l’économie est plus élevée, en espèce et en pourcentage.
Dans le cas du NPD, l’économie en espèce est la même pour les quatre premiers niveaux de revenus, faisant en sorte que son importance en pourcentage du revenu est supérieure à 25 000 $. Considérant la diminution du MPB minimum, l’économie d’impôt est plus élevée à 250 000 $ et 300 000 $, même si cette hausse reste minime en proportion du revenu.
La promesse des Verts procure la même économie en espèce pour les scénarios de revenus de 50 000 $ ou 80 000 $, avec une réduction en proportion du revenu la plus significative lorsque le revenu est de 50 000 $. Il faut toutefois comprendre que, comme la promesse est limitée aux contribuables ayant un revenu inférieur à 100 000 $, dès lors que le revenu excède ce seuil d’un seul dollar, soit de 99 999 $ à 100 000 $, on verrait sans transition le MPB passer de 40 000 $ à 16 129 $ (une baisse de 23 871 $), soit une variation d’impôt de 2990 $ au Québec et de 3581 $ ailleurs au Canada pour ce dollar additionnel.
Précisons que les économies diffèrent selon que le contribuable réside au Québec ou ailleurs au Canada, étant donné l’abattement spécial du Québec, qui réduit l’impôt fédéral que les Québécois paient à Ottawa.
Une baisse importante des recettes fiscales
Ces promesses de réduction d’impôts ne sont pas gratuites. Elles impliquent une baisse importante des recettes fiscales pour Ottawa, dans un contexte budgétaire déficitaire.
Le coût des promesses va de 5,9 milliards $ pour les libéraux à 47 milliards $ pour les Verts, cela représente une diminution non négligeable des recettes de l’impôt sur le revenu fédéral projetées en 2025, soit entre 2,4 % et 19,3 %.
Même si aucun parti n’a publié de cadre financier à ce jour, certains ont donné des indices sur la manière dont ils entendaient financer leur promesse : les libéraux et les conservateurs n’ont pas donné beaucoup d’indications, mais les conservateurs ont laissé entendre qu’une réduction équivalente pourrait être réalisée ailleurs dans l’appareil gouvernemental; le NPD financerait le tout en s’attaquant aux échappatoires fiscales, ainsi qu’en annulant les réductions d’impôt sur les gains en capital et les conventions fiscales avec les juridictions considérées comme des paradis fiscaux; les Verts augmenteraient le taux d’imposition des grandes sociétés de 15 % à 20 % et réduiraient les dépenses fiscales des sociétés de deux tiers.
Enfin, regardons comment se répartit le coût des promesses selon les tranches de revenus. Environ 28 % des contribuables ont un revenu imposable entre 57 375 $ à 114 750 $, mais cette tranche reçoit une part plus importante des bénéfices pour l’ensemble des promesses analysées. Dans le cas des conservateurs et des libéraux, la part du coût total allouée aux contribuables dans la première tranche de revenus est moindre, car une part plus importante va aux contribuables des tranches supérieures. Notons aussi que seule la promesse du NPD permet de récupérer une part (1 %) des coûts auprès des contribuables de la cinquième tranche, c’est-à-dire les plus fortunés.
La vraie question : est-ce le bon moment?
Au moment du déclenchement des élections fédérales, à la fin mars, plusieurs signaux invitaient déjà à la prudence.
Tout d’abord, le cadre budgétaire fédéral affiche un déficit atteignant 62 milliards $ pour l’exercice 2023-2024 et le Directeur parlementaire du budget l’estime à 50 milliards $ pour 2024-2025, sans retour à l’équilibre d’ici 2029-2030 (-26,7 milliards $).
Ensuite, le Canada doit augmenter significativement ses dépenses militaires afin de respecter ses engagements auprès de l’OTAN, ce qui accentue les pressions sur les finances publiques. Enfin, la guerre commerciale provoquée par les États-Unis crée de grandes incertitudes économiques et budgétaires.
Dans ce contexte, promettre des baisses d’impôts pour les particuliers, plutôt que de constituer une cagnotte pour faire face à toutes les éventualités, est-il une bonne idée? La réponse est non. S’il fallait baisser les impôts, il aurait été plus judicieux de cibler les entreprises, car ce sont elles qui offrent des emplois et qui devront innover pour faire face au nouveau contexte économique. Ainsi, de notre point de vue, les priorités apparaissent ailleurs en ce moment qu’à des réductions d’impôt pour les particuliers.