Certains groupes sociodémographiques sont davantage touchés par la crise sanitaire et économique causée par la COVID-19. L’Observatoire québécois des inégalités publiait à cet égard une analyse des conséquences de la crise sanitaire pour les groupes les plus vulnérables, tant sur le plan humain qu’économique, y compris un aperçu de mesures concrètes qui permettraient de limiter les effets négatifs de cette crise. Si les gouvernements fédéral et québécois ont réagi promptement et mis en place plusieurs mesures pour protéger la population, ils devraient maintenant porter une attention accrue aux plus vulnérables de la société eu égard aux répercussions de la pandémie.

Les enjeux sociaux

Certaines populations sont plus à risque d’être contaminées par le virus. C’est le cas des personnes âgées, des personnes immunodéprimées et présentant certaines maladies. Mais la crise a aussi des effets sociaux et psychologiques considérables pour certains groupes vulnérables de la société.

Les conditions associées à la pauvreté — la difficulté de s’alimenter correctement et la charge mentale qu’engendre le stress financier par exemple — affectent directement la santé des personnes, ce qui peut les rendre plus vulnérables à la contamination. Les personnes moins nanties sont également plus nombreuses à occuper des emplois précaires et à faible revenu requérant un contact humain direct, typiques du secteur des services, ce qui augmente les risques d’être contaminées.

Les personnes âgées et les personnes à faible revenu sont également plus vulnérables au chapitre de l’isolement social. En effet, des données sur les liens sociaux au Québec de 2018 révélaient que 19 % des personnes de 65 ans et plus et 22 % des personnes à faible revenu ne bénéficiaient pas d’un soutien social fort.

Par ailleurs, les pandémies d’Ebola et de Zika ont montré que les femmes pouvaient être plus vulnérables dans ces situations, notamment parce qu’elles sont surreprésentées dans les emplois en santé et services sociaux.

Finalement, la fermeture des frontières peut avoir des répercussions pour les résidents étrangers dont la vie sociale ne se limite pas au Canada ou au Québec, et qui doivent composer avec le fait de ne plus pouvoir rejoindre leurs familles et proches à l’étranger. La réduction du trafic aérien peut quant à elle affecter des communautés autochtones isolées qui comptent sur le ravitaillement et l’aide médicale par transport aérien.

Les enjeux économiques

La crise actuelle n’est pas uniquement sanitaire : elle frappe également, de manière brutale, l’économie canadienne et québécoise.

Contrairement aux crises financières dont les effets ne se concrétisent qu’après un certain temps, celle provoquée par la COVID-19 a des répercussions immédiates, en raison notamment de la mise à l’arrêt de plusieurs secteurs économiques. Ainsi, ceux de la restauration, de l’hôtellerie et du commerce de détail, qui comprennent un grand nombre d’employés à faible salaire, au statut précaire, aux avantages sociaux limités, sans protection syndicale et ne pouvant faire du télétravail, sont sévèrement touchés par le ralentissement économique.

Or, dans un contexte où 10 % de la population québécoise ne parvient pas à couvrir ses besoins de base et où près de la moitié de la population canadienne ne dispose que d’une marge de manœuvre de 200 dollars à la fin du mois (données de 2016) et se retrouve régulièrement à deux doigts de la faillite personnelle, une paie qui n’arrive pas peut faire basculer ces ménages dans une précarité matérielle encore plus importante.

Les organismes sans but lucratif du secteur communautaire souffrent également des nécessaires mises en quarantaine qui les privent des bénévoles et des collectes de fonds, les deux étant essentiels au maintien de leurs activités de soutien aux populations vulnérables.

Rappelons également que les personnes qui présentent deux ou plus des caractéristiques des populations vulnérables, par exemple les femmes immigrantes à faible revenu, courent un risque encore plus grand de souffrir des conséquences de la crise actuelle.

Les mesures potentielles

Les gouvernements fédéraux et provinciaux ont rapidement pris des mesures pour venir en aide aux personnes les plus vulnérables. Certaines de ces mesures faisaient partie des recommandations de notre analyse, notamment celles pour soutenir les communautés autochtones, les sans-abris, les aînés, et les femmes et les enfants victimes de violence.

La mesure gouvernementale la plus importante pour les travailleurs à faible revenu et les travailleurs autonomes est certes la prestation canadienne d’urgence mise sur pied par Ottawa. Malgré ses limites, elle soutiendra bon nombre de personnes vulnérables.

Nous saluons donc ces initiatives, toutefois, plusieurs mesures additionnelles pourraient probablement être adoptées. Nous recommandons la création d’un comité consultatif réunissant les principaux experts et organisations qui œuvrent auprès des groupes les plus vulnérables. Un tel comité pourrait déterminer en temps réel les enjeux auxquels ces personnes font face, et produire des analyses pour mieux évaluer leurs besoins et l’impact des mesures gouvernementales.

De plus, le renforcement de la coopération internationale, sous forme d’aide matérielle ou financière, mais également par le partage bidirectionnel de connaissances et d’expertise, permettrait d’aider les pays aux moyens plus limités à lutter contre l’épidémie.

Nous proposons également que les gouvernements mettent en place une protection des consommateurs face à leurs créanciers, notamment en imposant un moratoire temporaire sur les obligations financières que les personnes les plus durement touchées ne peuvent désormais respecter et en s’assurant que les agences d’évaluation du crédit n’abaissent pas la cote de ces personnes durant la crise.

Contrairement aux crises financières passées dont les effets se font sentir de manière plus diffuse, la crise provoquée par la COVID-19 frappe tant la santé physique que financière des citoyens. Bien que personne ne soit totalement à l’abri de la contamination ou des impacts financiers causés par ce virus, ce risque n’est pas distribué de manière totalement équitable dans la population.

La crise évolue de jour en jour. Déjà, dans les trois semaines qui ont suivi la publication de notre analyse, d’autres groupes vulnérables, que nous n’avions pas mentionnés, sont apparus. Il s’agit notamment des personnes itinérantes, de la population carcérale, des étudiants (en particulier les étudiants étrangers), des personnes présentant un handicap mental et physique ainsi que des personnes en lien avec le marché de la prostitution. Dans un tel contexte, il nous semble nécessaire, non seulement en tant qu’observatoire mais aussi en tant que société, de veiller au sort des personnes les plus vulnérables et d’informer les pouvoirs publics sur les mesures précises à prendre pour assurer la sécurité physique et financière de tous. À cet égard, il nous semble également pertinent de réfléchir à des mesures globales. Puisque la très grande majorité de la population souffre des conséquences de cette crise, le retour à l’avant-plan de l’idée d’un revenu minimum garanti peut servir d’inspiration pour des interventions efficaces et équitables. L’Espagne semble d’ores et déjà bien engagée à poursuivre dans cette voie.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Shutterstock /  Victoria 1

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Pierre Tircher
Pierre Tircher est chercheur à l’Observatoire québécois des inégalités et candidat au doctorat en relations industrielles de l’Université de Montréal. Son champ d’expertise est l’économie du travail, des politiques publiques de l’emploi et des questions sociales liées au revenu.
Nicolas Zorn
Nicolas Zorn est directeur général de l’Observatoire québécois des inégalités. Spécialiste des inégalités, il a publié plusieurs études sur le sujet et est régulièrement invité à commenter des enjeux économiques et sociaux dans les médias.

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