Les contrecoups conjugués du conflit européen le plus dangereux depuis 1945, du changement climatique et d’une pandémie qui entre dans sa troisième année pourraient s’avérer catastrophiques pour les pays les plus vulnérables. 

La pandémie de COVID-19 étant loin d’être terminée, si l’on ne parvient pas à augmenter les taux de vaccination mondiaux – et ainsi protéger le monde entier contre le virus –, de nouveaux variants pourraient encore apparaître, avec tout ce que cela implique. L’escalade des prix des denrées alimentaires et des carburants, de même que la fragilité croissante des chaînes d’approvisionnement, représentent un réel danger pour la vie de millions de personnes et pourraient ouvrir une nouvelle ère de stagnation économique dévastatrice.  

Tous ces facteurs convergent en même temps. Le Canada peut faire beaucoup de choses pour aider à résoudre ces crises, dans une optique de défense nationale, bien sûr, mais aussi dans celles du développement international, de la diplomatie, du commerce et de la relance économique. 

Une (autre) crise humanitaire 

En date du 5 avril, plus de 4,2 millions de réfugiés ont déjà fui l’Ukraine à la suite de l’invasion de la Russie. Le commissaire européen à l’aide humanitaire, Janez Lenarčič, a prédit que 18 millions de personnes pourraient avoir besoin d’aide à cause de la crise. 

Avant même que l’invasion de la région ne mette en péril les importantes exportations alimentaires qui en proviennent, 44 millions de personnes dans le monde étaient au bord de la famine, et 232 millions d’autres en étaient menacées. 

La flambée des prix des denrées alimentaires signifie qu’un plus grand nombre de personnes souffriront de la faim et que davantage de régions seront confrontées à l’instabilité, car de nombreux pays doivent faire face à des coûts alimentaires beaucoup plus élevés, notamment pour le blé et d’autres céréales. 

La Russie possède plus de terres agricoles que tous les autres pays européens réunis. L’Ukraine possède les terres les plus arables d’Europe, avec 25 % du volume total mondial de terres noires, particulièrement fertiles, qui ont contribué à faire de ce pays une puissance agricole mondiale. 

La Russie et l’Ukraine fournissent environ 50 % des importations de blé de l’Afrique. Pour l’Érythrée, l’Égypte, le Bénin, le Soudan, Djibouti et la Tanzanie en particulier, cette proportion est supérieure à 70 %. La Russie et l’Ukraine fournissent également environ 90 % des importations d’huile de tournesol en Égypte, en Tunisie, au Soudan et en Algérie.  

La majorité de ces exportations transitent par Odessa et d’autres ports de la mer Noire qui sont désormais fermés à la navigation commerciale. Une grande partie de la production agricole ukrainienne est frontalière avec la Russie, et le conflit risque de perturber les plantations cette année. 

Tout cela se résume simplement : l’invasion de l’Ukraine par la Russie aggravera aussi d’autres crises humanitaires. L’approvisionnement alimentaire mondial étant menacé, nous assisterons à des crises convergentes et à des répliques qui se déplaceront sur toute la planète. 

Le Programme alimentaire mondial (PAM) reçoit d’Ukraine la moitié du blé qu’il distribue lors des crises humanitaires. Il pourrait maintenant devoir trouver d’autres fournisseurs, en plus d’aider à nourrir les trois millions d’Ukrainiens qui ont maintenant besoin d’une aide alimentaire. Bien que le PAM soit le principal partenaire du Canada en matière d’aide humanitaire, le Canada n’est que le cinquième donateur en importance. Nous pouvons augmenter considérablement nos investissements dans le développement international dès maintenant et faire une réelle différence. 

L’aide politique et financière pourrait diminuer 

Tout cela se produit à un moment où les investissements du Canada dans le développement international continuent de se trouver près d’un plancher historique. Pour chaque tranche de 100 $ de revenu national, le Canada investit seulement 31 cents en développement international, loin de l’objectif de 70 cents que les autres pays du G7 ont atteint.  

En période de crise intérieure, nous avons souvent vu des pays se replier sur eux-mêmes. Cela a été particulièrement évident pendant la pandémie, lorsque les pays à revenus élevés ont réagi aux nouveaux variants en accumulant les vaccins et en appliquant des politiques du type « moi d’abord ». 

L’invasion russe exerce une pression politique supplémentaire sur le financement du développement international. En l’absence de nouveaux investissements significatifs, le Canada devra « déshabiller Pierre pour habiller Paul » ou transférer des fonds dédiés à la santé mondiale – et ce en pleine pandémie – afin de financer notre réponse à l’invasion de l’Ukraine. 

Une autre crise de la dette? 

L’invasion de l’Ukraine rend également plus urgente et plus difficile la nécessité de s’attaquer à la crise de la dette, qui prend de l’ampleur dans de nombreux pays. 

La Russie est donc maintenant bien susceptible d’être en défaut de paiement. En soi, cela peut ne pas affecter la stabilité financière mondiale ou avoir un impact direct sur la dette souveraine africaine existante. 

Mais pour de nombreux pays africains, les recettes publiques supplémentaires disparaîtront en raison de l’augmentation du coût d’autres biens, dont celui des aliments. Les marchés financiers vont probablement se resserrer et devenir moins tolérants au risque, du moins à court terme. Cela signifie que le coût des emprunts va augmenter pour de nombreux pays africains, ainsi que pour d’autres économies émergentes et en développement. 

La pandémie a aggravé la crise de la dette. Plus de 20 pays d’Afrique présentent un risque élevé ou sont déjà en situation de surendettement. La dette totale des pays africains a explosé, pour atteindre 625 milliards $ US, et les coûts du service de la dette continuent d’augmenter : en 2021, ils se sont élevés à près de 70 milliards $ US. 

Au fur et à mesure que la dette de l’Afrique augmente, ses pays ont moins de moyens à consacrer à la lutte contre la pandémie, au paiement des travailleurs de la santé et des enseignants, et aux investissements dans les infrastructures. 

Quand la covid et les conflits convergent 

En date de mars 2022, seulement 15,2 % de la population africaine avait été pleinement vaccinée. Les pays à faibles revenus, dont la plupart se trouvent en Afrique, ont peu de chances d’atteindre l’objectif de l’Organisation mondiale de la santé de vacciner 70 % de leur population d’ici septembre. Bon nombre des pays où le risque d’apparition de variants est le plus élevé se trouvent en Afrique. Ces mêmes variants mettront notre propre reprise en péril. 

De plus, la géopolitique pourrait également avoir un impact sur l’approvisionnement en vaccins des pays à revenu faible et moyen inférieur. Par exemple, la Lithuanie a annulé un don de vaccins au Bangladesh, suite à la décision de ce dernier de refuser d’appuyer la résolution de l’ONU condamnant l’invasion de l’Ukraine. 

Mais le plus grand défi reste politique. De nombreux pays du G20 assouplissent les restrictions COVID-19, tout en continuant à sous-financer la réponse mondiale à la pandémie. Depuis le début de l’invasion russe, le Congrès américain a choisi de ne pas financer sa réponse internationale à la COVID, et il n’a pas tenu sa promesse quant au partage des droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (qui aident à compléter les réserves de devises des pays membres). Se détourner de la COVID-19 et de la menace que le virus fait peser sur la vie et les moyens de subsistance des populations est une attitude à courte vue et autodestructrice. 

Que doit-il se passer? 

Les gouvernements du G20 doivent veiller à ce que leur réponse tienne compte des répercussions de la pandémie, du changement climatique et de l’invasion de l’Ukraine, c’estàdire : 

  • Résister aux interdictions d’exportation de blé, de maïs et d’autres denrées de base;  
  • Veiller à ce que les nouveaux coûts liés aux réfugiés s’ajoutent aux dépenses d’aide existantes pour les pays à revenus faibles ou intermédiaires;  
  • Réaliser rapidement leur engagement de recycler 100 milliards $ US en droits de tirage spéciaux du FMI pour soutenir les pays à revenus faibles et intermédiaires dans leur réponse à la pandémie de COVID-19;  
  • S’attaquer rapidement aux inégalités en matière de vaccins en finançant entièrement l’accélérateur d’accès aux outils COVID de l’Organisation mondiale de la santé et en soutenant une proposition visant à lever la propriété intellectuelle sur les médicaments liés à la COVID-19. 

Le Canada peut prendre les devants et respecter l’engagement du premier ministre Justin Trudeau à savoir que « le Canada est de retour » en augmentant de manière significative les investissements dans le développement international. Le Canada peut travailler avec ses partenaires multilatéraux et diplomatiques pour accroître la coopération mondiale en ces temps difficiles. Et surtout, les Canadiens peuvent pousser leur gouvernement à agir. Aucun pays n’est une île et avec l’invasion de l’Ukraine et ses répercussions dans le monde entier, nous devons agir maintenant pour éviter des crises plus graves dans les années à venir. 

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David McNair
David McNair est directeur général pour la politique mondiale à ONE, un mouvement qui lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables. Il est également chercheur invité à la Fondation Carnegie pour la paix internationale et membre du Conseil européen des relations internationales. 

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