Le 30e anniversaire du référendum sur la souveraineté du Québec offre une occasion toute désignée pour jeter un regard rétrospectif sur l’évolution de plusieurs indicateurs socioéconomiques et de finances publiques.
À la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CFFP), nous avons saisi cette occasion pour brosser un portrait des progrès réalisés et des défis persistants qui façonnent la vie des Québécoises et des Québécois.
L’exercice ne prétend pas à l’exhaustivité : les choix présentés reflètent à la fois les domaines d’expertise de la Chaire et la disponibilité des données statistiques.
Un poids démographique à la baisse
Au cours des trente dernières années, le poids démographique du Québec au sein du Canada a poursuivi sa tendance à la baisse, une diminution de 2,7 points de pourcentage, passant de 24,6% à 21,9%.
Les données de Statistique Canada montrent que l’accroissement de la population au Québec entre 1995 et 2024 n’a représenté que 16 % de l’accroissement de la population canadienne. Cette proportion est un peu plus élevée pour la composante de l’accroissement naturel (19 %) que pour le solde migratoire net (15 %). En d’autres mots, la population du Québec a augmenté plus lentement que celle du reste du Canada, surtout en raison d’un apport migratoire plus faible.
Un écart de niveau de vie qui rétrécit
Le poids économique du Québec a lui aussi diminué (de 1,5 point) au cours de la même période, mais dans une moindre mesure que le poids démographique, ce qui témoigne d’un enrichissement relatif un peu plus marqué au Québec que pour le reste du Canada.
Depuis 1995, la croissance du PIB réel par habitant du Québec a été de 42 % comparativement à 34 % pour le reste du Canada, ramenant ainsi l’écart défavorable de PIB par habitant du Québec de 18 % en 1995 à 13 % en 2024.
L’emploi en croissance, surtout chez les femmes
Le taux d’emploi des 15 à 64 ans au Québec a non seulement rattrapé celui du Canada, mais l’a désormais dépassé. Alors qu’il accusait un retard de 4,2 points en 1995, il devance maintenant le taux canadien de 2,6 points. Corollairement, le taux de chômage de ce même groupe, initialement plus élevé au Québec, est aujourd’hui inférieur à la moyenne canadienne.
La baisse du chômage a été plus prononcée au Québec avec un recul de 6,1 points, contre 3,1 points pour le Canada. Il va de soi, comme c’est le cas pour les autres indicateurs présentés dans cette analyse, que ces écarts seraient encore plus marqués si l’on comparait le Québec au reste du Canada plutôt qu’au Canada dans son ensemble, dont les chiffres sont influencés par l’évolution québécoise.
Ce rattrapage, tout comme l’écart positif des taux d’emploi en 2024, est encore plus important chez les femmes. Le développement des services de garde à contribution réduite, lancé en 1997, et la mise en place du Régime québécois d’assurance parentale, en 2006, y ont largement contribué. Notons au passage que ces deux programmes ont par la suite inspiré les politiques publiques canadiennes.
Un Québec plus égalitaire…
La Loi sur l’équité salariale votée en 1996 s’ajoute aux politiques ayant facilité une participation accrue des femmes au marché du travail et ayant contribué à l’amélioration de l’égalité.
À titre illustratif, le ratio de la rémunération horaire moyenne des femmes sur celle des hommes, déjà plus élevé en 1997 au Québec, a augmenté plus fortement au Québec (6,8 points) que dans l’ensemble du Canada (5,8 points), permettant d’accroître l’écart en faveur du Québec.
D’ailleurs, l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a montré également que le ratio de rémunération horaire mères/pères chez les parents dont le plus jeune enfant avait moins de 6 ans en 2023 était significativement plus élevé au Québec (90 % comparé à 82 % en Ontario).
L’adoption en 2002 de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit aussi être soulignée. Quelques indicateurs exposent les progrès réalisés. Tant pour le taux d’aide sociale, le pourcentage de faible revenu après impôt et la mesure d’inégalités après impôt, l’amélioration québécoise surpasse celle du Canada.
Le taux d’aide sociale, initialement plus élevé au Québec, est maintenant inférieur à celui du Canada, affichant une amélioration de 7 points au Québec contre 4,3 points pour le Canada dans son ensemble.
Concernant le pourcentage de la population à faible revenu, selon la mesure de faible revenu, la tendance est similaire : le Québec, qui partait d’un taux plus élevé, enregistre maintenant un taux plus faible. Alors que le taux canadien est resté pratiquement stable, le Québec a connu une amélioration de 3,8 points. Enfin, en matière d’inégalités, le Québec était et demeure moins inégalitaire que le reste du pays. L’indicateur a même légèrement diminué au Québec alors qu’il a connu une légère hausse au Canada.
… mais parmi les plus imposés
Les finances publiques des gouvernements sont notamment influencées par les éléments déjà abordés: démographie, économie et marché du travail. Or, un incontournable des comparaisons en finances publiques est le taux de pression fiscale, c’est à dire le poids des recettes fiscales collectées par l’ensemble des administrations publiques (fédéral, Québec, municipalités, RRQ) dans le PIB du Québec.
Ce taux est plus élevé au Québec qu’au Canada dans son ensemble. En outre, le Bilan de la fiscalité permet d’observer une tendance à la hausse entre 1995 et 2023, passant de 37,5 % à 39,7 %. Pour le Canada, le taux est stable pour ces deux années (33,6 % et 33,7 %).
Classé dans une sélection de pays (G7, Suède et moyenne des économies avancées de l’OCDE), le poids de la fiscalité au Québec est resté au 4e rang pour les deux années, alors que le Canada est passé du 6e au 8e rang sur 10.
Dépenses de santé en hausse
Si l’on se concentre sur le portefeuille le plus important en termes de poids, les dépenses en santé et services sociaux représentaient 36 % des dépenses du gouvernement du Québec en 1995-1996, et cette part a augmenté à 41 % en 2024-2025. Les comptes publics montrent une évolution similaire pour l’ensemble des provinces.
Les données de l’Institut canadien d’informations sur la santé et de l’OCDE permettent de comparer le poids des dépenses publique et privée de santé dans l’économie pour une sélection de pays de l’OCDE. Ce poids a augmenté partout, mais davantage dans quatre pays : Royaume-Uni (5,4 points), Japon (4,6), États-Unis (4,2) et Suède (4,1) qu’au Québec (3,5 points). Le Québec est ainsi passé du quatrième au deuxième rang de la sélection pour le poids le plus élevé, tandis que le Canada est resté au même rang.
Évolution du solde budgétaire
Une autre particularité québécoise mérite d’être soulignée : la Loi sur l’équilibre budgétaire, adoptée en 1996, dans la foulée du référendum de 1995, pour renforcer la crédibilité financière du Québec. Malgré des révisions et deux suspensions depuis son instauration, elle demeure un ancrage important. En pourcentage du PIB, le solde budgétaire du Québec est passé de -2,2% en 1995-1996 à ‑1,2% en 2024-2025 ou -0,8% avant les versements au Fonds des générations. Pour l’ensemble des provinces et territoires, ce ratio est passé de -1,4% à -0,5%.
Si l’on considère le solde budgétaire de l’ensemble des administrations publiques sur le territoire québécois, les données de Statistique Canada montrent une amélioration du solde au Québec, passant de ‑10,2% du PIB en 1995 à -2,8% en 2023. À l’échelle du Canada, ce ratio est passé d’un déficit, soit -5,2% du PIB, à un surplus de 0,1%. Sur cette base, l’amélioration du solde est plus grande au Québec (7,2 points) que pour le Canada dans son ensemble (5,6 points), même si un déficit subsiste.
Au sein de la sélection de pays de l’OCDE, le Québec est passé du solde le plus déficitaire à la 6e position, tandis que le Canada est passé de la 6e à la meilleure position sur 10.
Dette nette en recul
Un autre ancrage budgétaire du Québec est la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, adoptée en 2006. Cette loi a également été révisée à quelques reprises et, avec la Loi sur l’équilibre budgétaire, elle a contribué à réduire le poids de la dette.
En 1997, la dette nette du Québec représentait 45,8 % du PIB, bien plus que la moyenne des provinces (29,1 %) et ce constat demeure en 2023 (38 % vs 28,7 %). Toutefois, si le poids de la dette nette totale des provinces est resté stable, celui de la dette nette québécoise a diminué, illustrant l’effet des lois adoptées.
En considérant la dette nette de l’ensemble des administrations publiques au Québec, incluant une part de la dette fédérale, on obtient en 2023 un ratio entre 52,5% et 56,6% du PIB (selon le choix de répartition de la dette fédérale sur la base de la population, du PIB ou des revenus fiscaux). Il s’agit de la 6e dette nette la plus élevée sur 10. Ce chiffre pour l’ensemble des administrations publiques au Canada est de 14,4 %, soit la 2e dette nette la plus faible.
Le portrait est fort contrasté si l’on compare à 2001. Alors que la Suède diminuait sa dette nette de 22,4 points, quatre pays voyaient ce ratio augmenter de plus de 50 points (France [51], États-Unis [59,7], Royaume-Uni [61,2] et Japon [61,5]). Le Québec, lui, a diminué sa dette nette, passant de la 3ᵉ à la 6ᵉ position parmi la sélection, montrant une amélioration notable. Précisons que la méthodologie de calcul de la donnée publiée par le FMI pour le Canada a été modifiée, empêchant de la comparer dans le temps.
La vigilance reste de mise
En jetant un regard rétrospectif, on constate le chemin parcouru par le Québec pour certains indicateurs. Mais qu’en est-il pour l’avenir? Les changements démographiques, dont le vieillissement de la population, continuent d’exercer une pression importante sur les variables économiques et les finances publiques, davantage qu’ailleurs au Canada.
Puis, du point de vue social, les avancées sont indéniables. Il faut rester toutefois vigilant, d’autres progrès restent à accomplir, notamment en matière de logement et d’itinérance. Enfin, le défi environnemental, non abordé jusqu’ici, demeure crucial. Le Québec s’est distingué grâce à son système de plafonnement et d’échange de droits d’émission, mais certaines orientations annoncées récemment semblent fragiliser les progrès anticipés.
En conclusion, si mesurer l’évolution positive d’un certain nombre d’indicateurs est assurément un exercice utile pour faire le point sur le chemin parcouru, il doit surtout nourrir notre volonté de viser de nouvelles cibles et continuer à progresser.
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