La premié€re page du premier numéro d’Options politiques s’ouvrait sur ces mots : « Cette revue désire contribuer aÌ€ la réflexion sur tous les aspects des poli- tiques publiques canadiennes. Et cette note vise aÌ€ solliciter des appuis pour mener aÌ€ bien ce projet. » Je suis heureux de pouvoir dire que ces appuis, on nous les a bel et bien accordés, comme se propose de l’illustrer le présent article sur les grandes questions qui occupaient alors nos pages.

Rapidement, Options politiques a suscité un intéré‚t bien supérieur aÌ€ tous nos espoirs. Des spécialistes étroitement mé‚lés aux affaires publiques ont trouvé le temps de produire des textes adaptés aÌ€ notre tribune et portant sur les grands enjeux de l’époque. C’est graÌ‚ce aÌ€ eux que la revue a gagné la crédibilité indispensable aÌ€ son expansion.

Mais cette expansion reposait aussi sur d’autres exigences. La déclaration liminaire du premier numéro précisait la néces- sité « d’aller plus loin qu’un simple éclairage sur les questions d’intéré‚t immédiat ». Options politiques voulait proposer de nouvelles orientations et pressentir les questions dont l’im- portance se confirmerait aÌ€ long terme. Ce que nos collabora- teurs plus expérimentés ont su faire certes. Mais aussi et surtout les chercheurs moins connus, des jeunes souvent, impatients de faire valoir des idées qui sortaient parfois des sentiers battus.

AÌ€ propos du déficit démocratique, par exemple. Comme nous le verrons plus loin, des auteurs réputés ont préconisé d’élire les sénateurs et d’améliorer le processus parlementaire. Mais c’est un candidat au doctorat qui a le premier signalé la nécessité d’une réforme plus fondamentale. Eric Mintz a soumis un article clé sur le financement des courses aÌ€ la chef- ferie, qui rapportait que « plusieurs candidats aÌ€ la direction du Parti conservateur auraient dépensé plus d’un demi-million de dollars lors de la campagne de 1983 ». Un bond specta- culaire par rapport aÌ€ la génération précédente. Mais il a fallu que ces dépenses atteignent les sommets vertigineux de la dernié€re campagne pour qu’une loi vienne limiter « la dépen- dance de nos principaux partis aÌ€ l’égard des grandes entre- prises ». Le jeune auteur exhortait aussi les partis aÌ€ dénoyauter la sélection des délégués aux congré€s en mobilisant mieux leur base, de manié€re aÌ€ « freiner la tendance des chefs aÌ€ imposer leur domination ». Une mesure qui devrait aujour- d’hui encore figurer au programme des partis.

Du développement de la petite enfance au Nunavut, nos jeunes collaborateurs ont ainsi fait preuve de perspicacité sur plusieurs sujets. Et c’est aÌ€ un autre candidat au doctorat, Duncan Matheson, que l’on doit l’article le plus pénétrant sur les questions de politique sociale. Il y proposait de rem- placer le systé€me de partage des couÌ‚ts du Régime d’assistance publique du Canada par une division des fonctions, Ottawa fournissant directement tous les programmes de soutien du revenu et les provinces, aidées seulement de la péréquation pour les plus pauvres d’entre elles, s’occupant de la livraison des services.

Au début, les ambitions de la revue étaient inversement proportionnelles aÌ€ ses ressources. D’abord trimestrielle, sa parution est bientoÌ‚t devenue bimestrielle. Mais ses pages étaient moins nombreuses et sa présentation graphique beaucoup plus sommaire. C’est depuis 1985 seulement qu’elle paraiÌ‚t au rythme presque mensuel d’aujourd’hui. Ce bilan des années 1980 aÌ€ 1984 porte donc sur les 27 numéros des cinq premiers volumes.

La période s’ouvre alors que le fugitif gouvernement Clark vient d’é‚tre remplacé par ce qui sera le dernier gouverne- ment Trudeau, et s’aché€ve peu apré€s l’élection des conserva- teurs de Brian Mulroney. Entre-temps, la récession économique de 1981-1982 provoquera un choÌ‚mage jamais vu depuis la dépression des années 1930, accompagné d’une forte inflation toutefois moins marquée que dans la précé- dente décennie. Dans l’actualité internationale, il était surtout question de stagflation, de thatchérisme et de reaganisme.

Les questions économiques et sociales ne tenaient pour- tant pas le haut du pavé. C’est le référendum québécois de mai 1980 qui façonnait surtout la vie politique canadienne. Les Québécois avaient rejeté la sou- veraineté-association, mais le reste du pays était sorti de sa léthargie constitu- tionnelle. L’onde de choc perdura jusqu’en 1992 quand la population, lasse d’entendre parler de constitution, causa une certaine frayeur aÌ€ la classe politique en rejetant l’Accord de Charlottetown par voie de référendum.

Dirigés par Claude Ryan, les fédéralistes n’auraient pas obtenu un tel triomphe lors du référendum de 1980 s’ils avaient proposé le statu quo constitutionnel en échange de la sépa- ration. Aiguillonnés par Ottawa, ils avaient promis de renouveler le fédéra- lisme. Personne n’avait aÌ€ l’époque plus d’expérience des négociations constitu- tionnelles que Gordon Robertson, auteur du principal article de notre deuxié€me numéro. Il s’agissait d’un vibrant plaidoyer en faveur du renou- vellement du fédéralisme, un projet qui semblait encore réalisable.

Une fois réélu, Pierre Elliott Trudeau donnera ainsi priorité aÌ€ la réforme constitutionnelle. Sa proposi- tion initiale s’étant heurtée aÌ€ une vive opposition, et non seulement au Québec, il suggérera un temps d’aller de l’avant sans l’accord des provinces. Pour cela, mais aussi pour de nombreux autres aspects de cette proposition, il sera rudement pris aÌ€ partie par l’émi- nent juriste J. V. Clyne qui, dans notre premier numéro de 1981, préconisait de véritables délibérations dans le cadre d’une assemblée constitutionnelle. En guise de compromis, le premier mi- nistre tiendra des audiences parlemen- taires et entreprendra d’intenses négociations avec les provinces, qui donneront lieu aÌ€ un accord que le Québec ne signera pas.

Dans nos pages, Claude Morin exprimera avec force le point de vue indépendantiste sur cet accord : en trahissant le Québec, les neuf provinces signataires avaient confirmé que le Canada anglais n’accepterait jamais un projet de constitution qui soit accep- table aux Québécois. Moins furieux qu’attristé, Claude Ryan réaffirmera de son coÌ‚té que l’isolement du Québec ne cesserait qu’avec la pleine reconnaissance de son caracté€re distinct au sein de la dualité canadienne. Arthur Tremblay (l’un des discrets architectes de la Révolution tranquille) en appellera aÌ€ la réparation des torts et au colmatage de la bré€che constitution- nelle. Tout comme Robert Stanfield. Autant d’appels qui annonçaient les négociations subséquentes des accords du lac Meech et de Charlottetown visant aÌ€ réintégrer le Québec dans la constitution.

Comme en témoignent les numéros de l’époque, beaucoup soutenaient alors qu’un Sénat élu amoindrirait les tensions liées aÌ€ la diversité canadienne en donnant plus de poids aux régions. Dans un second article, J. V. Clyne avait formulé une proposition particulié€rement détaillée. Elle consistait aÌ€ élire presque tous les sénateurs pour six ans, par scrutin aÌ€ vote unique transférable et dans des circonscriptions provinciales pluri- nominales, la moitié de ces élus se reti- rant aÌ€ intervalles de trois ans. Chaque province pouvait en outre nommer un sénateur de son choix qui serait de fait son délégué aÌ€ Ottawa.

Pour Gordon Robertson, un Sénat élu était un moyen réaliste d’accom- plir le renouvellement promis en 1980, puis refusé deux ans plus tard. Il proposa cette mesure spéciale : toute loi d’importance en matié€re linguis- tique ou culturelle devait obtenir l’approbation d’une double majorité du Sénat, soit d’une majorité des séna- teurs aussi bien francophones qu’an- glophones. En lui conférant certains autres pouvoirs comme celui d’ap- prouver les nominations aÌ€ la Cour supré‚me, un Sénat élu réduirait aÌ€ la fois l’isolement du Québec et l’aliéna- tion de l’Ouest.

Royce Frith, alors sénateur désigné, se prononça pour la réforme et suggéra d’élire lors du scrutin initial la moitié des séna- teurs pour un mandat de cinq ans. Les sénateurs en poste qui ne souhaitaient pas se porter candi- dats resteraient en fonction jusqu’au deuxié€me scrutin, qui marquerait le début de leur retraite.

D’autres collaborateurs d’Options politiques préconisaient un Sénat élu, mais certains se montraient scep- tiques. Robert Stanfield les renvoya dos aÌ€ dos. Au Canada, la particularité de l’exercice des pouvoirs résidait selon lui dans la nécessité de concilier politiques nationales et préoccupations régionales. Nul doute qu’un Sénat élu favoriserait cet équilibre, aÌ€ condition que sa compo- sition et ses pouvoirs satisfassent le Québec autant que les provinces de l’Ouest. Cela étant peu probable, mieux valait tenter une conciliation aÌ€ partir des institutions existantes. Un roÌ‚le tout désigné pour les partis politiques nationaux, que le Parti libéral avait d’ailleurs rempli jusqu’aÌ€ ce Pierre Elliott Trudeau s’alié€ne l’ouest du pays. Quant au Parti conservateur, il lui manquait encore une véritable influence au Québec. C’est ainsi que nos lecteurs ont eu droit aÌ€ une analyse limpide de la stratégie qui allait bientoÌ‚t valoir au parti de Brian Mulroney ses deux mandates consécutifs.

Mais c’est un éminent libéral terre- neuvien qui assignera le plus ferme- ment aux partis politiques la responsabilité de concilier politique nationale et diversité régionale. Réputé pour son sens historique, Ed Roberts les enjoindra de démanteler les belles machines centralisatrices qu’ils avaient mises au point pour décourager leurs militants soucieux d’intéré‚ts aÌ€ la fois nationaux et régionaux.

DéjaÌ€, les observateurs s’inquiétaient de la coupure entre la population et les partis. Alec Corry, sans doute le politologue le plus réputé de l’époque, parlait dans notre premier numéro de « la confiance en chute libre de la po- pulation aÌ€ l’endroit du gouverne- ment ». Dans le suivant, sept politiciens et commentateurs dressaient le bilan de l’élection de 1980. Résumant le senti- ment général, le conservateur Michael Meighen y estimait qu’elle n’avait fait qu’enliser le pays. David MacDonald écrivait, lui, que les subterfuges avaient triomphé de la substance parce que « nos pratiques gouvernementales sus- citent désespoir et aliénation » parmi la population. Sa conclusion, toujours d’actualité : « La leçon aÌ€ en tirer réside dans une réforme parlementaire. »

D’autres textes ont souligné l’inca- pacité grandissante des partis de s’ouvrir aÌ€ la population. Pour remédier au pro- blé€me, on proposait notamment de modifier la procédure parlementaire afin d’étoffer le roÌ‚le des députés face aÌ€ leurs patrons. Trois articles de Paul Thomas, de l’Université du Manitoba, préconisaient des mesures singulié€rement énergiques. Gordon Gibson saluait pour sa part la montée des groupes d’intéré‚t particulier, attribuée aÌ€ la nécessité pour les gens de se rassembler quand le systé€me poli- tique leur déniait toute influence, et que, de mon coÌ‚té, je l’attribuais plutoÌ‚t au délabrement des partis. Je préconi- sais de réduire la taille des cabinets, de renforcer le roÌ‚le des simples députés, d’abréger les campagnes électorales et d’amorcer aÌ€ tout le moins une réforme du mode de scrutin en adoptant le vote unique transférable sous un régime de circonscription uninominale.

Sur certaines questions de l’actua- lité d’aujourd’hui, Options poli- tiques trouvait peu aÌ€ dire aÌ€ ses débuts. Un silence particulié€rement éloquent au chapitre des politiques sociales. Selon toute vraisemblance, les pro- grammes des années 1960 recueil- laient toujours l’assentiment général au tournant des années 1980. On n’y trouvait aÌ€ peu pré€s rien non plus sur les régimes de retraite. Sous la plume de Claude Castonguay et de Nicole Schwartz-Morgan, la solution au problé€me du vieillissement se limitait aÌ€ assouplir l’aÌ‚ge de la retraite et aÌ€ va- rier les activités offertes aux retraités.

De mé‚me, les articles sur la santé n’avaient rien d’alarmiste et traitaient surtout de questions immédiates. On préconisait de modifier la rémunéra- tion aÌ€ l’acte de manié€re aÌ€ favoriser une médecine de groupe. Ou de briser le monopole des médecins sur les soins de premié€re ligne afin d’élargir le roÌ‚le du personnel infirmier. On y documentait le lien entre faibles revenus et problé€mes de santé, ainsi que l’effet sur la santé de la pollution et des mauvaises conditions de tra- vail. Daniel Cappon dénonça plus vivement les politiques de santé axées sur la guérison plutoÌ‚t que la préven- tion, tandis que Shirley Post se prononça clairement pour des pro- grammes de santé de l’enfant centrés sur les soins préventifs.

Un texte solide plaidait en faveur d’un programme en santé et en éduca- tion aupré€s de la petite enfance et exhortait Ottawa aÌ€ en planifier le financement sans plus tergiverser. Certains articles comme celui de Florence Bird annonçaient des progré€s sociaux aÌ€ venir. Deux articles portaient sur l’acceptation de la nouvelle diversité des rapports familiaux. Plusieurs évo- quaient avant l’heure la nécessité d’étendre la portée de l’action des organisations bénévoles. Un autre prévoyait la montée du « pouvoir gris » dans une société vieillissante. Témoignant de l’influence de la jeunesse, une analyse de la dépénalisa- tion des drogues douces jugeait possible une réforme ne retenant que l’accusa- tion de possession, passible d’une amende et non d’une peine de prison.

Les textes porteurs des attentes les plus élevées traitaient de la question autochtone. Des attentes malheureuse- ment déçues, bien que l’article de Peter Jull, intitulé « Next Steps for Nunavut » et publié en 1982, fasse figure d’exception.

Le contenu d’Options politiques traduisait clairement les répercus- sions de la mise en commun opérée en 1977 des transferts fédéraux en santé et en éducation postsecondaire. Tré€s vite, les provinces ont privilégié les services de santé plutoÌ‚t que les universités. De sorte que, pour une bré€ve période, l’é- ducation a constitué l’aspect le plus litigieux des relations financié€res fédérales-provinciales. Les universités « sont aÌ€ la fois assiégées et démora- lisées », disait un article. Plus optimiste, John Graham soutenait qu’elles se porteraient mieux sans subventions de fonctionnement, avec des droits de sco- larité plus élevés mais aÌ€ condition qu’ils soient compensés par une aide finan- cié€re assurant aux étudiants un accé€s correspondant aÌ€ leur capacité de payer.

Nos premiers numéros ne trahissent aucune inquiétude parti- culié€re aÌ€ propos du fédéralisme exécutif. Au contraire, plusieurs auteurs y sug- géraient la création d’agences mixtes. L’un d’eux a mé‚me anticipé le Conseil de la fédération en proposant une « Chambre des provinces » ayant son propre secrétariat. Le député libéral Herb Breau voulait assortir de conditions plus strictes le financement fédéral des pro- grammes provinciaux, ce qui fut fait. Donald Savoie rappelait pour sa part la nature fondamentalement politique des relations fédérales-provinciales. Un col- laborateur au moins, Edward McWhin- ney, recommandait d’accroiÌ‚tre le roÌ‚le des municipalités dans le systé€me fédéral, envisageant mé‚me un statut provincial pour les grandes villes.

Huit importants collaborateurs ont affiché leurs différends sur un thé€me aujourd’hui moins débattu, celui de la bureaucratie. Flora MacDonald, ministre des Affaires étrangé€res du gou- vernement Clark, ouvrit le bal avec une critique des manœuvres servant aux hauts fonctionnaires aÌ€ monopoliser le roÌ‚le de conseiller. Elle leur reprochait moins leur partialité que leur résistance au changement quand il était question de modifier les politiques qu’ils avaient contribué aÌ€ façonner. C’est ainsi que pour un nouveau gouvernement, la bureaucratie venait selon elle affaiblir la démocratie.

Mitchell Sharp soutenait au con- traire que tout gouvernement devait pouvoir compter sur une continuité assurée par des spécialistes familiers des questions courantes et de l’administra- tion. Dans cet esprit, Kenneth Kernaghan exhorta en 1984 le nou- veau gouvernement Mulroney aÌ€ préserver une fonction publique impartiale et indépendante. Mais Hugh Segal estimait qu’on subvertis- sait la démocratie en maintenant aÌ€ un sommet d’influence et de pouvoir une élite de fonctionnaires indélogeables. Il proposait que les sous-ministres soient tenus d’offrir leur démission lors de l’élection d’un nouveau gou- vernement, aÌ€ qui il reviendrait d’en disposer. Enfin, Tom d’Aquino formula un compromis consistant aÌ€ protéger les postes des fonctionnaires tout en permettant aux ministres de s’entourer d’un important personnel de leur choix. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est la formule appliquée de nos jours.

Ted Hodgetts livra une pénétrante analyse du dilemme des sous-ministres. Gordon Robertson insista sur le devoir d’anonymat. Mais c’est aÌ€ J. L. Granatstein que revient la palme de l’intuition, son texte intitulé «Once but not Future Kings » expliquant pourquoi la question retiendrait moins l’attention vingt ans plus tard. Pendant la guerre et les décen- nies suivantes, observait-il, un petit « mandarinat » avait régné sur la forte expansion des affaires gouvernementales. Puis on avait assisté aÌ€ « une explosion massive de l’appareil gouvernemental ». Or, lorsqu’ils sont en tré€s grand nombre, les hauts fonctionnaires voient inévitablement s’affaiblir leur influence individuelle. C’est ce qui explique, du moins en partie, que leurs liens avec les ministres n’attirent aujourd’hui l’atten- tion qu’en cas d’abus flagrants.

Pendant les dix années du that- chérisme, Options politiques a réservé une attention soutenue au rapport entre gouvernement et économie de marché. Maurice Strong en a fait un judicieux compte rendu. Toutes les économies, notait-il, combinent secteurs public et privé de diverses manié€res. Les politiques budgétaires et monétaires étaient déci- sives dans l’établissement du contexte commercial ; aux États-Unis surtout, les dépenses des secteurs militaire et spatial déterminaient grandement l’activité industrielle. Et « dans la Chine d’aujour- d’hui [il y a donc 21 ans], un vaste débat est en cours sur le roÌ‚le de l’investissement privé dans la modernisation du pays ». Au Canada, l’« orientation stratégique de l’économie » devait privilégier l’apport de fonds propres en cas d’insuffisance du capital privé, ce qui nous permettrait de créer « une combinaison public-privé dynamique et pragmatique offrant au monde l’exemple d’une société pluraliste prospé€re ».

Nous avons publié sur ce thé€me des analyses de gauche comme de droite. Deux articles ont traité de l’opportunité de privatiser les sociétés d’État. Tirant les leçons de l’expérience britannique, Tom Kierans concluait que les privatisa- tions sont globalement avantageuses mais qu’elles doivent donner lieu aÌ€ une véritable concurrence.

L’autre article refusait tout compro- mis, qualifiant mé‚me le mot privatisa- tion d’impropre. Le démanté€lement des sociétés d’État consistait en réalité aÌ€ « émettre des titres dans le public » en transférant des actions des « mains privées du gouvernement » aÌ€ celles d’un « investisseur public national ». Dans les transports et d’autres secteurs commer- ciaux, certaines expansions de sociétés d’État fédérales et provinciales s’étaient d’ailleurs révélées « injustifiées ». Elles fai- saient une concurrence déloyale aÌ€ l’en- treprise privée au risque de créer un « impérialisme du secteur public ». L’auteur, PDG d’une société de transport maritime, ferait le saut en politique en 1988. C’était Paul Martin.

Les analyses de politique macro- économique traduisaient une confusion propre aÌ€ l’époque. Malgré la récession, le taux d’inflation n’at- teignit 12 p. 100 qu’en 1981 et dépas- sait toujours les 4 p. 100 en 1984. Les déficits gouvernementaux étaient en hausse constante, mais leurs répercus- sions sur l’économie étaient contrecar- rées par une gestion monétaire serrée et l’incertitude qui s’ensuivait en matié€re d’investissement.

C’est ce phénomé€ne de stagflation qui mobilisa surtout les économistes col- laborant aÌ€ la revue, soucieux de concilier création d’emplois et stabilisation des prix. Aucun ne souhaitait vraiment renouer avec l’expérience du controÌ‚le des prix et des salaires de Pierre Elliott Trudeau. La solution avancée le plus sou- vent consistait aÌ€ établir une politique de revenus prévoyant des incitations fis- cales. Les prix resteraient l’affaire du marché, les salaires relevant de la négo- ciation collective. Mais au-delaÌ€ d’un niveau préétabli, les augmentations de salaires seraient soumises aÌ€ un impoÌ‚t spé- cial versé par les entreprises qui les accor- dent, les salariés eux-mé‚mes ou les deux. Et pour plus d’équité, les hausses de ren- dement du capital seraient imposées de façon correspondante. Parmi les adeptes d’une telle politique de revenus, c’est Walter Gordon et John McCallum (alors professeur d’économie et non homme politique), qui ont le plus vivement cri- tiqué le monétarisme de l’époque.

Comme en témoigne le contenu d’Options politiques, les Canadiens étaient moins préoccupés de la situa- tion mondiale. L’aide aux pays en voie de développement était le seul domaine de politique étrangé€re aÌ€ recevoir plus d’attention que dans la période récente. Sur ce thé€me, le texte le plus convain- cant soutenait qu’il était de l’intéré‚t des pays industrialisés d’accroiÌ‚tre leur aide au Tiers-monde mais aussi d’ouvrir leur marché aÌ€ ses produits, de manié€re aÌ€ mieux protéger le cours des denrées et aÌ€ étendre l’accé€s aux technologies et aux capitaux d’investissement. L’article était signé Pierre Elliott Trudeau.

Certains articles présageaient l’importance que prendraient aÌ€ l’échelle mon- diale la protection de l’environnement et la conservation des ressources, l’immi- nente transformation des économies d’Asie et la croissance du secteur des ser- vices comme moteur de la mondialisa- tion. Il suffirait par ailleurs de remplacer un n par un k pour actualiser cette phrase d’un article de George Ignatieff publié en 1981 : « Comme nous l’avons vu (…) surtout en Iran, l’usage de la force militaire aÌ€ des fins politiques est tou- jours inefficace. »

Pour ce qui est de nos liens avec les États-Unis, les numéros de l’époque indiquent bien qu’ils portaient sur le commerce et l’investissement, loin devant la diplomatie et la défense. Nos collaborateurs partageaient trois points de vue. Ils étaient en principe favorables au libre-échange multilatéral, ils s’inquié- taient de la compétitivité du Canada et se montraient impressionnés par le marché commun européen. Ted English étudia en 1980 différents regroupements com- merciaux, soulevant la possibilité d’une zone de libre-échange canado-américaine mais reconnaissant qu’il serait préférable d’y intégrer d’autres partenaires, tout en spéculant avec audace sur une « zone du Pacifique » qui engloberait le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée et le Mexique.

L’étude de ce grand concept s’arré‚- ta laÌ€, les articles subséquents portant surtout sur une entente avec les États- Unis. Sans toutefois prévoir ce qui s’annonçait. Rares étaient en effet les propositions d’accord général. Mais Darcy McKeough, fort de ses anciennes fonctions de trésorier et de ministre de l’Économie de l’Ontario, affirma sans détour : « Passons aux choses sérieuses aÌ€ propos du libre-échange sectoriel. Déterminons dans quels secteurs réduire ou éliminer les barrié€res aÌ€ l’a- vantage réciproque du Canada et des États-Unis. » Dans la foulée, Pierre- Paul Proulx (l’un des rédacteurs du fameux « Livre beige » des fédéralistes québécois) préconisa « une intégration et une harmonisation » sectorielles, mé‚me si le libre-échange comme tel « n’est pas une option aÌ€ envisager du point de vue canadien ».

Irving Brecher proposa bien « un espace de libre-échange avec les États- Unis pour les biens et services », aÌ€ met- tre en place « aussi rapidement que possible ». Mais personne n’imaginait qu’en désespoir de cause, on négocierait un jour une entente globale sur les importations canadiennes qui laisserait aux États-Unis la liberté d’imposer les restrictions protectionnistes exigées par un groupe de pression… Celui du bois d’œuvre, par exemple.

Dé€s le départ, nos propositions différaient sur un autre aspect clé. Elles portaient sur le commerce sans prévoir une pleine libéralisation des investissements. Plusieurs articles cri- tiquaient en fait le processus qui soumettait alors les investissements étrangers aÌ€ un controÌ‚le aussi tatillon qu’inefficace. Roy Davidson, notam- ment, réclamait l’abolition de toute restriction de nouvelles entreprises étrangé€res mais un controÌ‚le sur les reprises de sociétés canadiennes. D’autres, Tom Kierans en particulier, allaient plus loin en rejetant tout nationalisme économique. Mais les numéros de la premié€re période ne laissent rien entrevoir de la forte inté- gration des investissements trans- frontaliers qui se produirait bientoÌ‚t.

Malgré leur myopie en certains domaines, ce compte rendu aura montré que nos collaborateurs ont dé€s le début traité la plupart des questions d’actualité dans une perspective aÌ€ long terme. Cette capacité de l’IRPP de leur offrir cette tribune fait justement foi de sa riche contribution aÌ€ l’identité démo- cratique du Canada. Car un pays dont la population se répartit sur un continent aussi immense, et dont le voisin immé- diat est le géant que l’on sait, a peu de chances d’é‚tre aussi bien servi par ses médias privés que ne le sont par exem- ple les pays d’Europe occidentale.

Cet élément majeur de notre déficit démocratique a fait l’objet de plusieurs articles signés par des représentants de la presse écrite et électronique. Mais c’est aÌ€ l’avocat Gordon Fairweather, ancien politicien conservateur devenu commis- saire en chef de la Commission cana- dienne des droits de la personne, que l’on doit la contribution la plus impor- tante aÌ€ cet égard. Il croyait la liberté d’opinion entravée par l’indif- férence des grands propriétaires de médias aÌ€ l’égard de leurs respon- sabilités publiques. Notre nouvelle constitution ayant consacré des précédents juridiques qui donnent toute compétence au Parlement fédéral, ajoutait-il, celui-ci devrait légiférer pour assurer la diversité des sources d’information et d’opinion.

Si jamais ce conseil était mis en pratique, Options politiques pourrait se spécialiser franchement en analyse et en conception de politiques publiques. Comme toute société fondamentalement libre devrait le per- mettre. Mais notre tribune doit plutoÌ‚t s’enrichir d’une variété de contributions. Elle doit servir aÌ€ tous, avant tout aux médias et aux partis, aÌ€ transmettre une information de premier plan de mé‚me qu’aÌ€ diversifier les points de vue sur les affaires publiques par rapport aÌ€ ce que les gens ont l’habitude de voir, de lire et d’entendre. Moins les médias jouent leur roÌ‚le et moins les partis suivent une ligne de conduite claire, plus l’importance d’Options politiques est décisive pour éclairer et dynamiser le débat politique. (Article traduit de l’anglais)

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