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Les récentes pertes du Québec liées à ses investissements dans Northvolt et Lion Electric, combinées à aux erreurs du passé comme la tristement célèbre usine automobile Bricklin, au Nouveau-Brunswick, et le projet de culture hydroponique de concombres, à Terre-Neuve, soulèvent un débat important sur la politique industrielle et les investissements publics dans l’économie.

Ces exemples d’échecs alimentent le discours persistant selon lequel les gouvernements font des paris coûteux et infructueux avec l’argent public. Mais il y a une question plus intéressante à se poser : comment rendre plus efficaces les interventions inévitables du gouvernement ?

La vérité est que tous les gouvernements, même ceux qui prônent une approche de laissez-faire, s’engagent dans une forme ou une autre de politique industrielle, orientant certaines parties de l’économie vers des objectifs particuliers.

L’expérience récente du Québec pourrait offrir des enseignements précieux non seulement aux autres provinces, mais aussi au gouvernement fédéral, qui envisage des interventions ambitieuses dans les domaines de la production et des achats dans le secteur de la défense, du logement, de la diversification commerciale et des énergies à faible émission de carbone.

Mieux mesurer les résultats des politiques industrielles

Pour que la politique industrielle soit couronnée de succès, les gouvernements devraient mettre en place des cadres d’évaluation solides qui permettent des examens et des débats constructifs et fondés sur des données factuelles concernant les résultats et l’impact des politiques.

Cette approche permettrait aux gouvernements d’identifier non seulement les succès et les échecs, mais aussi les tendances et les victoires partielles, y compris les initiatives qui ont apporté certains avantages tout en échouant peut-être dans d’autres domaines.

Que comprendrait une telle évaluation ?

Tout d’abord, nous devons être clairs sur les résultats attendus. Nous nous concentrons souvent sur la mesure des intrants, tels que le montant des investissements dans un secteur, le nombre de subventions annoncées pour une région ou les retombées économiques obtenues, comme les recettes fiscales récupérées auprès des travailleurs et des entreprises.

Ce qui importe davantage, ce sont les résultats, c’est-à-dire les changements mesurables dans notre économie qui ne se seraient pas produits sans l’intervention du gouvernement. Stimulons-nous véritablement les exportations ? Développons-nous des capacités industrielles stratégiques qui renforcent les chaînes d’approvisionnement ? Créons-nous des avantages concurrentiels durables ?

Telles sont les questions qui devraient guider la politique industrielle. Les réponses nous aideraient à reconnaître les compromis inévitables. Par exemple, si une grande usine de batteries électriques créer des emplois et fait la une des journaux, son impact immédiat sur les émissions de carbone peut être négligeable.

S’inspirer du modèle australien d’évaluation

Ensuite, nous devrions exposer publiquement les moyens mis en œuvre pour atteindre ces résultats.

L’Australie offre un modèle convaincant. Les entités publiques de ce pays doivent répondre à des questions clés telles que : quelles options politiques sont envisagées (incitations fiscales, dépenses de programme, financement (fonds propres, dette et assurance), réglementations ou initiatives telles que les marchés publics ciblés) ? Quel est le bénéfice net probable de chaque option ?

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Cette approche transparente oblige les décideurs politiques à justifier leurs choix et permet aux citoyens de comprendre la logique qui sous-tend les décisions de politique industrielle.

Il est vrai que la mesure des résultats peut s’avérer difficile, car des indicateurs tels que la croissance des exportations peuvent fluctuer pour de nombreuses raisons. Les subventions, le financement, les incitations fiscales ou autres aides accordées peuvent avoir contribué ou non à ces changements. Parfois, tout est fait correctement, mais un changement de la conjoncture économique fait dérailler l’ensemble du plan.

C’est précisément pour cette raison qu’un cadre d’évaluation approprié est nécessaire, afin de pouvoir mieux expliquer exactement où les choses ont déraillé.

Intégrer la reddition de comptes

Au minimum, les gouvernements devraient s’engager publiquement à évaluer régulièrement les aspects clés de leur politique industrielle, par exemple tous les cinq à dix ans pour l’ensemble du programme et au cas par cas lorsque cela se justifie (comme pour Northvolt).

Il serait encore mieux d’inscrire l’engagement à l’évaluation dans la législation, comme c’est le cas dans les lois établissant certaines (mais pas toutes) institutions financières fédérales de la Couronne, notamment Exportation et développement Canada, la Banque de développement du Canada et la Banque de l’infrastructure du Canada.

Qui devrait effectuer l’évaluation ?

Elle pourrait être réalisée au sein des gouvernements, à l’instar des audits effectués par les vérificateurs généraux, ou par un expert externe. Dans les deux cas, toute évaluation devrait être menée indépendamment de l’entité responsable de la gestion et de la mise en œuvre de l’initiative politique, afin d’éviter tout conflit d’intérêts ou toute distorsion.

Qui devrait avoir accès à l’évaluation ?

Il est évident que les décideurs au sein du gouvernement devraient être le principal public cible. Mais si l’on veut renforcer la confiance dans la politique industrielle auprès d’un public plus large, il convient de viser un niveau élevé de transparence publique. En fin de compte, cela impliquerait la divulgation des résultats de l’évaluation et même un dialogue public sur les conclusions et les implications.

Une meilleure évaluation pour de meilleures décisions

Ce que nous proposons, c’est un changement d’attitude, car soyons francs : aucun cadre d’évaluation ne peut à lui seul rendre les politiques plus efficaces. Les décisions politiques restent inévitables, même avec toutes les données du monde. Mais en tant que chercheurs et citoyens, nous pouvons demander aux gouvernements plus de clarté sur les résultats.

Comprendre ce qui fonctionne réellement nous aide tous à faire de meilleurs choix pour notre avenir économique.

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Emna Braham

Emna Braham est directrice générale de l’Institut du Québec. Elle a intégré l’IDQ en 2020 après avoir été économiste principale du Conseil d’information sur le marché du travail, à Ottawa, et gestionnaire de projets en développement international.

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Glen Hodgson

Glen Hodgson est un économiste reconnu internationalement et consultant dans le secteur financier. Auparavant, il a été premier vice-président et économiste en chef du Conference Board du Canada.

 

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