À la mi-mai, un médecin et universitaire très respecté a démissionné en tant que président d’un groupe de travail du Comité d’experts sur l’aide médicale à mourir. Le groupe de travail étudiera la question des directives médicales anticipées. Nommé à ce poste seulement deux semaines auparavant par le Comité d’experts, Harvey Schipper a été jugé sévèrement dans certains cercles pour avoir rédigé un commentaire en 2014 dans lequel, tel qu’un journaliste l’a énoncé, il avait « comparé les arguments utilisés pour justifier l’aide médicale à mourir à ceux avancés par l’Allemagne nazie pour justifier l’Holocauste ».

Schipper a été décrit à plusieurs reprises comme un « adversaire véhément » de l’aide médicale à mourir pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le ton ou le contenu de l’argumentation soutenue dans son commentaire. C’est sa référence à l’euthanasie de l’ère nazie qui semble avoir offensée et lui aurait valu l’étiquette accablante d’opposition « véhémente ».

Aucun des critiques de Schipper n’a contesté les faits sur lesquels sa référence se fonde, et ils ne devraient pas le faire non plus. Comme les historiens le relatent, le programme d’euthanasie nazi a commencé quand un père de Leipzig a demandé de mettre fin à la vie de sa fille handicapée et qu’Hitler a envoyé son médecin personnel, Karl Brandt, l’autorisant ainsi de donner la mort comme un « acte de miséricorde ». L’historien Hugh Gallagher dans son livre By Trust Betrayed: Patients, Physicians, and the License to Kill in the Third Reich (1990) écrit : « Lorsque l’histoire de la petite fille de Leipzig a été connue dans les milieux médicaux, d’autres familles ont fait des demandes semblables au Führer. » Il a incombé à Brandt de prendre une décision concernant chacune de ces demandes et d’autoriser ultimement la mort de plus de 70 000 personnes handicapées, conformément à ce que le United States Holocaust Memorial Museum décrit comme « un programme administré médicalement de “mort miséricordieuse” ».

Les intervenants qui cherchent à accroître la portée de l’aide à mourir au Canada seront heureux de la récusation de Schipper à titre de président du groupe de travail. Les autres qui savent comme moi que Schipper est un homme d’une grande intégrité et d’une grande sagesse sont attristés qu’un comité composé de 43 membres — qui comprenait des experts représentant les deux côtés du débat — n’ait pas réussi à saisir l’occasion de s’élever au-dessus de la clameur et de rejeter collectivement toute suggestion que la politique, plutôt que les faits, régisse leur travail. S’ils étaient intervenus ensemble et avec force à la défense de leur collègue, je ne peux m’empêcher de me demander si le résultat aurait été différent.

Ce n’est pas la première fois qu’une référence mesurée et précise aux faits historiques du programme d’euthanasie nazi soit jugée véhémente, désagréable et offensive, mais cela devrait être la dernière fois.

Rien dans l’aide médicale à mourir n’est anhistorique. Alors que nous réexaminons notre pratique et nos lois actuelles et que nous considérons allonger la liste des exemptions au Code criminel qui permettent maintenant aux médecins et aux infirmiers praticiens de mettre fin à la vie de certaines personnes, nous pouvons certainement faire preuve de maturité et inviter l’histoire à prendre part au débat.

Les médecins ont parfois tué. C’est un fait. Lorsqu’ils ont tué ou blessé, ils n’agissaient pas seuls, mais en tant que représentants de l’autorité de l’État. Avec leur compétence et leur influence, les médecins ont joué un rôle immense dans les pensionnats et les asiles au Canada, ainsi qu’en temps de guerre dans les « centres de délassement » de l’Asie du Sud-Est, de même dans les salles d’interrogatoire renforcées à Guantánamo Bay et dans les centres d’extermination de l’Allemagne nazie.

Les personnes handicapées ont souffert de violence et subi des préjudices entre les mains de médecins, de parents et de soignants. Parfois, le monde est frappé d’horreur, comme devant Satoshi Uematsu, qui a tué 19 personnes handicapées au Japon en 2016 pour les « sauver ». Parfois, comme dans le cas de Robert Latimer, le fermier de la Saskatchewan qui a tué sa fille handicapée en 1993, la cour peut ultimement confirmer la déclaration de culpabilité, même si l’opinion publique ne se range pas derrière lui.

Et parfois, comme dans le cas de Karl Brandt, une nation entière est de connivence.

En tant que personne handicapée, le programme d’euthanasie nazie Aktion T4 fait partie de mon histoire. Il est important de rappeler que cela fait aussi partie de l’histoire de Schipper, car il est médecin. Ceux qui nous interdisent de parler de cette histoire ou qui décrivent notre discours comme étant véhément et indésirable ne peuvent que nourrir un doute sur les leçons tirées du passé.

L’éminente historienne canadienne, Margaret MacMillan, a déclaré qu’en ne connaissant pas le passé, nous nous privons d’une source importante de compréhension. Elle affirme qu’une des clés pour résoudre des problèmes complexes est de poser les bonnes questions et que l’histoire et ses récits nous mettant en garde sont une source remplie de « bonnes questions ». Dans le cadre de l’aide médicale à mourir, certaines de ces bonnes questions seront dans la veine de celles qui ont émergé immédiatement après l’Holocauste, au moment où le code de Nuremberg a été conçu.

Si notre gouvernement fédéral veut bénéficier des examens approfondis que le Conseil des académies canadiennes effectuera pour lui et si les groupes de travail du comité d’experts rassemblent les données que les Canadiens exigent pour orienter les décisions politiques qui ont trait à l’aide médicale à mourir fournie aux mineurs matures, aux personnes ayant une maladie mentale et aux personnes n’étant plus capables d’exprimer leur consentement, alors l’histoire de l’euthanasie et les questions soulevées par les éléments les plus sombres de cette histoire ne doivent pas être hors des limites. Comme MacMillan l’a déclaré : « Nous ne savons pas toujours ce qui est le mieux, et le passé peut nous le rappeler. »

Photo : Une femme passe devant le monument à la mémoire des victimes de l’euthanasie à Berlin. AP Photo/Markus Schreiber.


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Catherine Frazee
Catherine Frazee est professeure émérite à la School of Disability Studies de l’Université Ryerson. Elle est officier de l’Ordre du Canada.

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