Lors de la dernière session de la précédente législature, la Chambre des communes a procédé à une importante réforme de la Loi électorale. Pressés par le gouvernement” qui était animé par des considérations essentiellement politiques et partisanes, on le verra plus tard, mais on s’en doutait bien à ce moment-là, nous avons toutefois procédé avec un trop grand empressement à une réforme qui aurait exigé plus de considération. En effet, le gouvernement voulait faire la campagne électorale en vertu de la nouvelle loi et comme le parti gouvernemental anticipait de tenir des élections précipitées, il devenait impératif pour lui que nous adoptions la nouvelle loi électorale dans les délais les plus courts qui soient.
Cette précipitation nous a empêché de faire le travail de façon aussi consciencieuse que nous l’aurions voulu ou que nous aurions dë le faire, et surtout, cela nous a empêché d’apporter d’autres modifications qui auraient pourtant été nécessaires. Certes, les changements apportés ont eu pour effet d’améliorer le système électoral canadien, mais il aurait fallu passer beaucoup plus de temps à étudier de nouvelles avenues possibles, dont plusieurs nous avaient été fortement suggérées par les nombreux témoins venus faire connaître leur point de vue au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre à propos du projet de loi C-2.
Le désintérêt grandissant de la population envers la chose politique n’est pas un phénomène nouveau. Il s’est manifesté, une fois de plus et de façon encore plus prononcée, lors du dernier scrutin fédéral. En tant que représentant de la population du Québec et du Canada à la Chambre des communes, je me sens profondément troublé et interpellé par la faiblesse des taux de participation aux exercices électoraux. En effet, l’intérêt faiblissant de la part des citoyens et citoyennes à l’égard de la chose politique risque de mettre en péril la légitimité de l’ensemble du processus démocratiqueet par ricochet celle de nos institutions représentatives.
La série d’études publiées par l’IRPP et le présent colloque revêtent donc une grande importance, tout comme les propositions de modifications que le Directeur général des élections s’apprête à déposer pour faire suite au dernier scrutin fédéral. J’aimerais profiter de cette tribune pour présenter quelques unes des options qui devraient être débattues lorsque nous serons éventuellement appelés à étudier et à modifier de nouveau le système électoral canadien.
Nous pourrions d’entrée de jeu nous pencher sur le mode de scrutin et sur le mode de représentation. À ce titre, le système de représentation proportionnelle est attrayant à plusieurs égards. Il aurait pour effet de moderniser le système électoral canadien, comme l’ont été la plupart des démocraties dans le monde, en intégrant une composante de représentation proportionnelle ou en adoptant carrément le système de représentation proportionnelle pure.
La représentation proportionnelle, ou du moins l’intégration d’une composante proportionnelle, pourrait éventuellement permettre une meilleure représentation des groupes minoritaires au Parlement, qu’on pense aux communautés culturelles ou aux personnes handicapées. Les femmes et les jeunes, sous-représentés au Parlement, pourraient également profiter d’un tel changement. Bref, en termes de représentation, ce système peut donner lieu à des innovations fort intéressantes.
Autre élément positif de la représentation proportionnelle, même partielle : sa capacité de mieux refléter, dans les résultats, les différentes idéologies, les différents points de vue qu’on retrouve dans la société, y compris les points de vue plus marginaux. Cela permettrait aux petites formations politiques, qui peuvent difficilement se faire élire dans un système uninominal à un tour, de pouvoir disposer d’une voix au sein du Parlement. À cet égard, notons que si le système électoral allemand ne comportait pas une composante proportionnelle, les verts n’auraient jamais trouvé leur place au Bundestag.
La représentation proportionnelle permettrait également d’éviter les distorsions qu’amène inévitablement le système de représentation uninominale à un tour. Dans un système comme le nôtre, il n’est pas rare qu’un gouvernement élu avec seulement 38 p. 100 ou 40 p. 100 des voix dirige le pays et détienne de ce fait presque 100 p. 100 des pouvoirs.
La proportionnelle encouragerait par ailleurs de meilleures relations entre le gouvernement et l’opposition, de même qu’une plus grande collaboration entre les différentes formations politiques à la Chambre, puisque la composition et la stabilité du gouvernement dépendraient de la coopération des différents partis politiques, possiblement au sein de coalitions. Toutefois, cet arrangement peut aussi entraîner une certaine instabilité gouvernementale. On l’a vu dans les pays où le système de proportionnelle pure a été instauré, comme en Israà«l par exemple. Les gouvernements ne tiennent souvent en place que peu de temps, selon la volonté des différents partis qui composent la coalition.
D’autre part, l’intégration d’une composante proportionnelle dans un système uninominal à un tour, comme en Allemagne par exemple, cause certains problèmes. Cela entraîne notamment la création de deux catégories de députés. La difficulté consiste ici à concilier ces deux catégories de députés : celles et ceux qui sont élus dans une circonscription et celles et ceux qui sont élus à partir d’une liste fournie par un parti. En particulier, cela pose la question de leur imputabilité respective. S’ils sont élus par la population d’une circonscription, nous avons tendance à dire que les députés sont redevables aux citoyennes et aux citoyens qui les ont élus. Mais, s’ils sont élus à partir d’une liste fournie par le parti, à qui sont-ils redevables : à la population ou au parti?
Enfin, parce qu’elle a tendance à uniformiser les attentes et les programmes à l’échelle d’un pays tout entier, la proportionnelle complique les choses en matière de représentation régionale ou provinciale, ce qui est particulièrement préoccupant dans une fédération comme le Canada.
Le mode de nomination des directeurs de scrutin, qui donne encore au Canada une image de démocratie un peu vétuste, vieillissante et archaïque, devrait aussi retenir notre attention lors d’une prochaine réforme électorale. Le directeur général des élections, lors d’une comparution devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, déclarait d’ailleurs à ce propos : « Quand je suis à l’étranger, je ne recommande pas qu’on s’inspire du modèle canadien quand vient le temps de nommer des directeurs de scrutin. Je dis toujours, comme je le fais au Canada, que le système actuel est dépassé. » C’est que, dans le système actuel, les directeurs de scrutin sont nommés par le gouverneur en conseil, c’est-à-dire par le gouvernement. Ils ne sont pas nommés au terme d’un exercice d’appel de candidatures, ni même au terme d’un examen indépendant, où leur nomination serait fonction de leurs compétences et de leurs qualifications. À mon avis, cela est foncièrement antidémocratique et archaïque dans une démocratie qui se veut moderne.
Ainsi que le recommande la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis politiques (la commission Lortie) : « Le personnel électoral doit être indépendant du gouvernement du jour et à l’abri de toute influence partisane. » (p. 503 du volume 1 de son rapport final). Pour ce faire, on devrait donner au directeur général des élections la responsabilité de nommer les directeurs de scrutin au terme d’un appel public de candidatures, à partir d’un examen indépendant qui statuerait sur leurs compétences à exercer ces fonctions. Ils devraient être redevables de leur travail au directeur général des élections et, si cela s’avérait nécessaire, celuici devrait pouvoir les démettre de leurs fonctions.
La question du financement des partis politiques est une autre question fondamentale sur laquelle nous devrions nous pencher. En démocratie, le principe de base doit être « un citoyen égale un vote » et non « un dollar égale un vote ». Ce système doit être influencé uniquement par celles et ceux qui ont le droit de vote le jour du scrutin. Si l’influence doit passer également par une contribution monétaire, seuls celles et ceux qui ont droit de vote le jour du scrutin devraient être autorisés à exercer cette influence, que ce soit entre les scrutins ou pendant les campagnes électorales. C’est d’ailleurs ce qui existe au Québec, soit le système de financement populaire des partis politiques. Ce système de financement, qui stipule que seuls les électeurs et électrices peuvent contribuer aux partis politiques, est cité en exemple à travers le monde comme étant l’un des systèmes les plus modernes de financement. D’aucuns pourraient dire qu’il est possible de contourner la loi, parce que les entreprises peuvent très bien donner à un individu afin que celui-ci donne à un parti. Mais la Loi électorale québécoise est très claire à ce chapitre : cette façon d’agir est illégale. Conséquemment, des sanctions sont prévues pour réprimander de tels comportements, lesquels contreviennent non seulement à la lettre, mais également à l’esprit de la loi.
La Loi électorale québécoise prévoit aussi un plafonnement des contributions électorales. Au Canada, il n’existe absolument aucun plafond. Une compagnie peut donner des montants illimités à un parti politique. Il y a des limites de dépenses électorales, certes, mais il n’y a aucune limite de contributions. Au Québec, les contributions sont limitées à 3 000 $ par électeur.
Cela dit, il faut reconnaître que la politique actuelle concernant les crédits d’impôt octroyés pour les contributions aux partis politiques est foncièrement inéquitable car les crédits d’impôt ne profitent qu’à ceux dont les revenus sont suffisamment élevés pour payer des impôts. Ils ne sont d’aucune utilité aux personnes à faible revenu. Celles-ci ne disposent d’aucun incitatif fiscal à participer financièrement à l’exercice démocratique, alors que ce sont elles qui ont probablement le plus à attendre de leur représentant au Parlement.
Il y a aussi une certaine inégalité dans le traitement qu’accorde la loi actuelle aux travailleurs autonomes. En effet, lorsqu’ils veulent participer au processus électoral, ces travailleurs sont traités différemment des autres citoyens. Ainsi, un menuisier salarié peut exercer son métier pour un candidat en période électorale à condition que le travail soit fait bénévolement. Ce n’est pas le cas du menuisier, travailleur autonome. Dans ce cas, le travail sera considéré comme une contribution et une dépense électorale.
Autre point à soulever dans le cadre d’une réforme électorale en profondeur : l’augmentation de la proportion de femmes participant au processus électoral et, conséquemment, participant aux affaires publiques et au processus politique. La France vient tout juste d’adopter une législation qui fera en sorte que la moitié de l’Assemblée nationale devra être composée de femmes. Certains pays scandinaves se sont dotés de législations qui fixent une proportion minimale de femmes. On pourrait mettre en place des incitatifs législatifs comme ceux-là, mais également des incitatifs financiers, qui pourraient amener les partis politiques à favoriser l’entrée des femmes en politique, et à augmenter le nombre de candidates qui se présentent aux élections.
Je pense que l’idée d’octroyer le droit de vote à nos concitoyennes et concitoyens de 16 et 17 ans mérite également d’être considérée. Dans une société où un jeune de 16 ans a le droit de détenir un permis de conduire et de travailler, il serait normal de lui permettre, en vertu du principe de « no taxation without representation », de choisir les personnes qui seront appelées à administrer ses impôts.
D’ailleurs, la loi actuelle, le Code criminel, permet que l’on puisse considérer des jeunes de 16 et 17 ans comme des adultes. De même, la Loi sur la défense nationale permet que l’on puisse embaucher dans les Forces armées canadiennes un jeune de 17 ans. Un jeune qui n’a pas encore atteint l’âge de la majorité, pourrait être appelé, s’il le souhaite, à servir sous les drapeaux et même, jusqu’à tout récemment, à aller défendre le Canada, au péril de sa vie. Malgré tout cela, nous refusons encore à ces jeunes adultes le droit de choisir qui sera celui ou celle qui les représentera à la Chambre des communes.
Je terminerai en évoquant une autre modification qui aurait pu être apportée tout récemment à la loi électorale. En vertu des dispositions du projet de loi C-9, qui est actuellement devant le Parlement, il faudra dorénavant avoir présenté un minimum de 12 candidats ou candidates à une élection générale pour qu’une formation politique puisse voir son nom inscrit sur les bulletins de vote. Cette nouvelle disposition, qui vise à se conformer à l’arrêt de la Cour dans l’affaire
Figueroa, comporte malheureusement une lacune importante en ce qui concerne les élections partielles. Une formation politique peut être créée entre deux élections générales et être publiquement reconnue comme telle dans la population, mais la règle que vient de proposer le gouvernement fait en sorte que ce parti ne pourrait pas inscrire son nom sur le bulletin de vote.
Nous pouvons faire état d’une exemple fort éloquent qui concerne un député siègeant présentement à la Chambre. Lorsque l’actuel chef du Bloc québécois (BQ), le député de Laurier”” Sainte-Marie, monsieur Gilles Duceppe, a été élu, en 1990, comme premier député du BQ, personne n’aurait pu contester que le BQ constituait au Québec une force politique; une formation politique en gestation, bien sër, mais une formation politique malgré tout.
Évidemment, les règles qui prévalaient à l’époque ne permettaient pas à Gilles Duceppe d’inscrire le nom de sa formation politique sur le bulletin de vote. Mais si les règles maintenant proposées avaient déjà été en vigueur à cette époque, cela n’aurait rien changé pour lui. Il n’aurait pas pu inscrire le nom de sa formation politique sur le bulletin de vote puisque le BQ n’avait pas encore présenté au moins 12 candidats à une élection générale. Cette interdiction constitue, selon l’arrêt même de la Cour, une atteinte aux droits des citoyens et citoyennes d’être informés de l’affiliation partisane du candidat ou de la candidate qui se présente. Je suis d’avis que ce droit devrait également s’appliquer dans le cadre d’une élection partielle.
J’ai proposé à cet effet, une modification à loi. Il faut bien comprendre que cette lacune fait en sorte que le gouvernement prête flanc à de nouvelles contestations judiciaires, lesquelles pourraient s’averer très coëteuses pour les contribuables et desquelles il risque encore une fois de sortir perdant. Ma proposition visait à faire en sorte que nous octroyions ce droit d’être formellement reconnu comme une formation politique, dès qu’un parti s’engage à présenter au moins 50 candidats à l’élection générale suivante. Il faudrait que la Loi électorale prévoit un mécanisme par lequel le gouvernement pourrait récupérer les sommes d’argent qui auraient été octroyées, dans l’éventualité où une formation politique ne se conformerait pas à ses engagements. Cela permettrait, s’il y avait élection complémentaire, à un candidat ou une candidate de faire inscrire le nom de sa formation politique sur le bulletin de vote. Cette proposition avait l’avantage de ne pas créer différentes catégories de partis et de faire en sorte d’éliminer cette lacune que contient la Loi électorale du Canada depuis l’adoption du projet de loi C-9.
Nous devons conclure de ce survol qu’il existe encore présentement des lacunes importantes dans la Loi électorale du Canada. On ne dirait certes pas, aujourd’hui, que la Loi électorale a fait l’objet d’une révision majeure il y a à peine un an. Certains éléments doivent encore être modifiés en profondeur. Or, le gouvernement n’a encore manifesté aucun intérêt sérieux à procéder à des modifications additionnelles à la loi. J’espère qu’il saura se montrer beaucoup plus ouvert à l’avenir, considérant qu’il y a actuellement un intérêt décroissant des citoyens et citoyennes à l’égard de la chose politique.
Il faut en prendre acte et avoir le courage de prendre les décisions qui s’imposent dans les circonstances, afin que le système électoral, le système parlementaire et le système politique en général correspondent davantage aux attentes des citoyens et des citoyennes que nous, parlementaires, voulons et prétendons représenter à la Chambre.