L’utilisation massive de la publicité électorale est apparue avec la pénétration phénoménale des médias de masse apré€s la Deuxié€me Guerre mondiale. La décennie 1960-1970 vit le lancement pour de bon de cette nouvelle é€re de politicien qui alliait charisme personnel et message politique. John F. Kennedy, aux EÌtats-Unis, et Pierre Elliott Trudeau, chez nous, furent sans contredit ceux qui ont le mieux su profiter de l’impact de la télévision et de la publicité aÌ€ des niveaux inégalés aÌ€ l’époque.
« Dicter le débat », « imposer son message », « créer la nou- velle », voilaÌ€ un enjeu fondamental pour tout parti politique, lors de toute élection. Bien suÌ‚r, la couverture médiatique dans les médias traduit quotidiennement les messages des politi- ciens aupré€s de la population. La nouvelle du jour est rap- portée, commentée et analysée. Toutefois, le meilleur des ralliements, les discours les plus éloquents ou les clips les plus percutants sont parfois relégués aÌ€ des roÌ‚les secondaires lorsqu’un incident banal vient dérouter le message. Une mani- festation, un citoyen en colé€re qui s’interpose lors d’une con- férence de presse, une crevaison aÌ€ l’autobus de tournée ou un mauvais angle de caméra sont la hantise des organisateurs poli- tiques. Et ce, sans compter le ton ou le biais éditorial de certains reportages qui rendent plus difficile l’objectif de « faire passer le message ». C’est pourquoi les partis politiques jugent opportun de renforcer leurs « messages » aupré€s des électeurs via la pu- blicité et le temps d’antenne gratuit offert par les médias.
Au bout du compte, la publicité a un roÌ‚le fort élémentaire lors d’une campagne électorale. Elle traduit en termes simples et imagés le message central du parti. Ce qui, en bout de piste, représente l’essentiel du message. Elle ne dicte pas la tendance, elle la renforce. Elle ne crée pas la stratégie de com- munication, elle la répercute. AÌ€ l’instar des EÌtats-Unis, la montée récente des publicités négatives au Canada nous en apprend davantage sur nous-mé‚mes et notre lien avec la politique que sur tous les programmes des partis et les grands discours de leurs chefs aÌ€ la Chambre des communes.
Les publicitaires au Canada savent depuis les années 1970, en fait depuis la publication du célé€bre livre de Jacques Bouchard, Les 36 cordes sensibles des Québécois (1978), que le marché québécois diffé€re de celui du reste du pays. De nos jours, une campagne électorale fédérale qui ne saurait adapter sa stratégie publicitaire pour le Québec court un risque évident d’é‚tre en déphasage avec l’électorat. Les récentes élections fédérales du 23 janvier dernier n’ont pas fait exception aÌ€ cette ré€gle. Tant les conservateurs que les libéraux ont proposé une publicité distincte pour le marché québécois.
Le « Réussir le Canada » des libéraux de Paul Martin avait pour but de mettre en évidence leur bilan gouvernemental apré€s 18 mois de pouvoir. Les libéraux savaient pertinemment que, aussi bon que pouvait é‚tre ce bilan, ils ne pouvaient uniquement s’en tenir aux réalisations de leur court gouvernement minoritaire. AÌ€ ma grande surprise, ils ont choisi également de miser sur « la peur » de la séparation et l’unité nationale. En dernié€re analyse cela n’a eu qu’un seul effet : rendre leur message plus confus. Alors qu’ils ont débuté la campagne avec des messages qui vantaient les mérites de leurs poli- tiques, la confusion de leurs messages s’est accentuée en fin de campagne avec des publicités négatives aÌ€ l’endroit des conservateurs. C’est ajouté par la suite un dernier message voulant qu’appuyer le Bloc québécois équivalait aÌ€ permettre aÌ€ Stephen Harper de devenir premier ministre.
Les libéraux n’ont tout simplement pas su déceler l’enjeu véritable du débat électoral pour l’électeur moyen, c’est-aÌ€- dire le changement. La confusion de leurs messages publicitaires était telle qu’elle ne fut en fait qu’un simple révéla- teur de comment leur campagne a été menée au Québec. Ils ont lancé leur cam- pagne en se voulant humoristique en reprenant le concept de la LNI et ont ter- miné, comme en 2004, avec des publi- cités négatives qui démonisaient Stephen Harper. Bref, la campagne des libéraux au Québec était confuse, n’a pas su définir l’enjeu véritable ni offrir aux électeurs une vision claire de leur programme et de leurs politiques. Une campagne publicitaire aÌ€ l’image de leur campagne : confuse et sans fil conducteur.
Pour le Bloc québécois, il en fut tout autrement. Parti grand favori au Québec, le BQ affirmait d’entrée de jeu, dans la foulée de la Commission Gomery, « Heureusement, ici c’est le Bloc ». Ce message avait l’avantage d’é‚tre direct, accrocheur, bien qu’un brin arrogant. Un seul adversaire, les libéraux, faisait les frais de leur campagne. Confiant, trop confiant, suffisant par moments, le Bloc québécois a manqué la cible.
Il est quand mé‚me surprenant de constater aÌ€ quel point le BQ n’a pas su mesurer, aÌ€ sa juste valeur, l’humeur de l’électorat, surtout dans la grande région de la ville de Québec et en Beauce. Obnubilés par les libéraux, les Bloquistes ont été déstabilisés par la montée des conservateurs. Le ton de leur campagne ne portait plus. D’un ton jovialiste, la campagne du Bloc s’est transformée de manié€re radicale et négative et ne con- cordait plus avec son plan de campagne lors des deux dernié€res semaines. La dernié€re publicité affirmant que « On ne laissera pas Calgary décider pour le Québec » apparaissait comme un acte désespéré et de mauvais gouÌ‚t. Dans ce contexte, la chute de 7 points de pour- centage et la perte de 3 sié€ges sont plutoÌ‚t remarquables, alors que le Bloc québé- cois aspirait en début de campagne aÌ€ obtenir 50 p. 100 de la faveur populaire.
Contrairement aux autres partis, avec leur slogan « Des résultats con- crets », le NPD a reproduit en français au Québec la mé‚me campagne qu’au niveau national. Essentiellement, les néo- démocrates n’ont fait aucun effort parti- culier pour se présenter comme une alternative fédéraliste valable aux yeux des électeurs québécois. Le résultat des urnes pour le NPD, aucun sié€ge remporté, n’a donc surpris personne.
Finalement, qu’en est-il des conser- vateurs, eux qui ont réussi aÌ€ faire élire un gouvernement minoritaire avec dix députés au Québec?
Contrairement aÌ€ la rhétorique guer- rié€re des mois qui ont précédé le déclenchement des élections, les conser- vateurs, en cours de campagne, ont mo- difié leurs messages aupré€s des Québécois. Moins enclins aÌ€ miser sur le sentiment de rage des électeurs aÌ€ l’endroit des libéraux, aÌ€ la suite de la com- mission Gomery, les conser- vateurs ont mis la pédale douce sur le thé€me de la cor- ruption et ont davantage cen- tré leurs attaques sur l’inutilité du Bloc québécois aÌ€ Ottawa et sur l’importance d’é‚tre au pouvoir pour influencer véritablement le cours des choses. Finalement, Stephen Harper n’a pas manqué l’occasion de mousser cer- tains candidats clés qui seraient invités aÌ€ faire partie du Conseil des ministres. Fruit d’un arrimage bien orchestré, les conser- vateurs ont mis l’emphase sur le change- ment dans leurs publicités et leur chef en a fait la démonstration presque quoti- diennement, lors de ses ralliements, en annonçant de nouveaux engagements.
« Changeons pour vrai » était le thé€me de leur campagne. Les conser- vateurs ont su avec justesse recon- naiÌ‚tre ce désir de changement chez de nombreux électeurs québécois, tout en évitant de tomber dans une rhétorique stérile sur les bienfaits de l’unité nationale. Ils ont présenté un chef studieux, souple, honné‚te, ouvert au changement, le genre de chef que recherchaient les Québécois, autant d’éléments qui ont suÌ‚rement immu- nisé Stephen Harper contre les attaques tré€s dures de ses adversaires. Ce fut une stratégie payante et bien pensée. La publicité était en fait un renforcement du message et des thé€mes des discours quotidiens du chef conservateur. L’uniformité et la cohérence entre la publicité, le thé€me général de la campagne et la stratégie au jour le jour des conservateurs ont clairement eu un impact sur le choix des électeurs. Les 24,6 p. 100 des votes au Québec et les dix sié€ges remportés ne sont donc pas le fruit du hasard.
Quelles leçons retenir des stratégies publicitaires au Québec au cours de cette campagne? D’abord, une cam- pagne nationale doit pouvoir marquer sa distinction au Québec. Il est vrai que le comportement électoral des Québé- cois s’est grandement modifié au cours des ans. La prépondérance électorale du Bloc québécois depuis 1994 a effacé de notre mémoire l’hégémonie des libéraux sous Pierre Trudeau et la percée historique de Brian Mulroney en 1984 et 1988.
La dernié€re campagne des conser- vateurs est la preuve que les Québécois ne sont pas hermétiques aÌ€ une cam- pagne plus nationale et qu’ils ont aÌ€ cœur de participer dans l’aré€ne poli- tique canadienne. Il existe un vote fédéraliste au Québec. Le BQ vient de se faire rappeler aÌ€ l’ordre, aÌ€ ses dépens. Que les Bloquistes l’admettent ou non, ce sont, dans une large mesure, les politiques, les engagements et les prises de position des conservateurs qui ont dicté le débat au Québec lors de cette dernié€re campagne.
La publicité, bien entendu, ne décide pas du résultat du vote. Toutefois, lorsque arrimée adéquate- ment aux engagements et aux thé€mes de la campagne, elle donne l’impul- sion nécessaire pour des résultats électoraux probants. C’est exacte- ment ce que les troupes de Stephen Harper nous ont démontré, le 23 jan- vier dernier.