L’objet de la politique est le bonheur du grand nombre " Fontenelle
10 novembre : Pourtant, les Canadiens ne veulent pas d’élections. À quoi bon? se disent-ils : les conservateurs for- meraient-ils un meilleur gouverne- ment? Pour le NPD, la tâche est impossible. Le Bloc, par définition, ne peut é‚tre qu’un « sunday driver » sur la banquette arrière.
Pourtant, élections il y aura : toute campagne présente des risques, mais le ré‚ve de « planter » l’adversaire est tou- jours vif au cœur du politicien. Les députés s’ennuient. C’est la politique qui les excite, pas la gestion. Contrairement au mot cruel de Pierre Trudeau, les députés redeviennent quelqu’un sitôt qu’ils ont quitté Ottawa.
À force de jouer à « Tirez d’abord, messieurs », ils vont déclencher l’inexorable machine malgré leurs appréhensions.
Les Canadiens vont certainement se donner un gouvernement minori- taire. C’est plus payant ! Chaque fois qu’il est question de faire tomber ce gouvernement, les promesses et les sub- ventions pleuvent. Par milliards : du jamais vu. Ç’avait été le cas en juin, après les révélations de l’enqué‚te Gomery. C’est le cas depuis le début d’octobre : garderies, écoles, universités, subventions au fioul de chauffage. Tout le monde passe à la caisse.
15 novembre : Goodale annonce 30 milliards de dollars de réductions d’im- pôts… Le hic? Ce n’est que pour dans cinq ans. En 2010, si je m’en tiens aux statistiques, un million de con- tribuables actuels seront morts, qui n’en bénéficieront jamais !
18 novembre : André Boisclair une porte aux libéraux : il ne tiendra pas compte de la Loi sur la clarté, une loi pour « interpréter » le résultat d’un éventuel référendum.
Tout comme les présidents améri- cains en difficulté font campagne sur la politique étrangère, les premiers ministres canadiens font campagne sur « le problème québécois » et l’unité nationale.
Le chef du PQ demande aux partis fédéraux : comment réagirez-vous si les Québécois votent clairement en faveur du oui? Probablement comme le Parti québécois a réagi quand ils ont voté clairement non !
22 novembre : Après les carottes, le bâton : les libéraux préviennent que la chute du gouvernement impliquerait que leurs promesses (augmentation des pensions de vieillesse, transfert de la taxe sur l’essence aux municipalités, augmentation de la solde des militaires, aide aux fermiers touchés par l’embargo américain sur le bœuf) ne pourront pas é‚tre adoptées le 8 décembre prochain.
23 novembre : Mme Frulla a trouvé $342 millions pour la culture, dont $306,5 millions pour le Conseil des arts. « Je suis fière de montrer que le gouvernement du Canada croit en ses artistes. » Une centaine des « bénéfi- ciaires » assistaient à sa conférence de presse. La plupart de ceux du Québec sont probablement indépendantistes.
24 novembre : Explosion boursière : 30 milliards de dollars de gains ! Goodale renonce à imposer davantage les revenus des fiducies et augmente le crédit d’impôt pour dividendes. Les fonds de pension viennent de s’enrichir considérablement. Les fondations aussi. La Caisse de dépôt. Les consommateurs, enrichis, vont s’endetter un peu plus. Dépenser à la veille des Fé‚tes. Encore faut-il que le prochain Parlement approuve la mesure…
25 novembre : $700 millions de plus pour les services d’immigration. Pour les autochtones victimes d’agressions, 2 milliards. Puis 4 milliards pour cons- truire des maisons. Sur le terrain de bataille central de l’Ontario, aide à la formation de la main-d’œuvre. $1,5 milliard à l’industrie forestière. $750 millions pour les producteurs de grain.
J’arré‚te de compter. Des journa- listes spécialisés assurent qu’on en est à 40 milliards, soit un par jour. Ce n’est plus un programme, c’est la vente aux enchères de l’électeur moyen.
29 novembre : Visite de Paul Martin, hier soir, chez la gouverneure générale. Le gouvernement est tombé. Les jeux sont faits et la mise gouvernementale déjà sur la table. Martin ne peut guère améliorer son score. Il pourrait faire du surplace ou descendre.
30 novembre : Les libéraux lancent une volée d’épluchures. Harper, disent-ils, n’aime pas le Canada. Ses valeurs ne sont pas canadiennes. « Mes préjugés, dit l’adage, sont des valeurs, vos valeurs sont des préjugés. »
1 décembre : Versailles sur Outaouais. Chacun des partis nationaux va dépenser de 15 à 20 millions de dol- lars, le Bloc cinq. Total : 60 millions. Où va cet argent? Principalement à l’industrie du voyage : avions, auto- cars, motels, salles de réunion, essence… Tout cela pour aller se faire photographier pour un clip de 10 à 20 secondes devant un bateau de pé‚che (qui ne sort plus), une usine (fermée), un club de boxe (sic), une association ostiak ou vogoule…
Pour réduire ces dépenses, il y a un moyen : éliminer le financement pu- blic des partis. Cette politique passe pour une grande mesure démocra- tique. On peut voir les choses autrement : d’une part, elle met les partis existants à l’abri des sautes d’humeur de leurs cotisants. Pis encore, en finançant chaque parti proportionnellement au nombre de votes obtenus aux élections précédentes, les partis en place se sont bien protégés en fermant la porte aux nouveaux venus, qui ne peuvent pas, de toute façon, réunir de l’argent privé ! Pour limiter le risque d’abus du financement privé, il aurait suffi de forcer les partis à révéler la provenance des cotisations.
Il y a d’ailleurs quelque chose d’im- moral à prendre l’impôt d’un con- tribuable pour le donner à des partis auquel il s’oppose. Si cette contribution fiscale est obligatoire, chacun devrait pouvoir la diriger au parti de son choix.
2 décembre : L’élection ne sera pas référendaire, dit Duceppe. Bien sûr. Imaginons qu’il prétende, au contraire, qu’elle l’est, et que le Bloc n’obtienne que 45 p. 100 des voix. Référendum perdu. Ce n’est pas un beau risque, et mieux vaut donc faire semblant de présenter un programme. Cinq longs chapitres, dont un épais tome sur l’économie ; or, c’est le seul parti dont on est absolument certain qu’il ne peut faire adopter mé‚me un iota de son programme.
Parti bidon : son but est de priver les Québécois de participer au gou- vernement du pays, pour faire en sorte qu’ils se sentent de plus en plus mar- ginalisés. Et les Québécois, finauds, se dédouanent : si ça va mal, ce n’est pas de leur faute.
7 décembre : Gilles Duceppe ré‚ve de « faire disparaître les libéraux » ! Jean Lapierre dénonce ces propos comme ayant un « petit côté naziste » et exige des excuses. Duceppe obtempère. On se demande pourquoi : c’est vraiment ce qu’il aimerait, et d’ailleurs, est-ce que les libéraux ne ré‚vent pas aussi de faire disparaître le Bloc?
Jack Layton propose de nouvelles doses massives de « British disease », ce cercle vicieux interventions-impôts. Et s’il promet de remettre une partie de l’assiette fiscale aux provinces, il ajoute qu’il va les punir si elles n’obéissent pas à ses prescriptions !
La santé a toujours bon dos : Harper y « injectera » $4 milliards, Martin $6 milliards.
8 décembre : Apparition des affiches du Bloc sur des milliers de poteaux. Le « révérend père » Duceppe, prédica- teur, y est seul sur fond de ciel bleu, sans message. L’imprécateur tonne contre le péché, une vieille tradition québécoise. « La morale faite politique n’a jamais été une politique », écrit Régis Debray (Loués soient nos seigneurs, Gallimard). Un slogan vide : Heureuse- ment, ici c’est le Bloc. Le ciel est bleu, l’enfer est rouge. Ni promesse, ni pro- gramme. Juste l’identitomanie : soyons « nouzôtres ». Les bloquistes pratiquent le râlage continu sur tout et sur rien, sur le ton vengeur des politi- ciens d’antan, l’indignation instanta- née, à jet continu. Ils touillent la colère et les réactions agressives du Canada anglais, une action stérile.
10 décembre : Une candidate libérale rappelle que le Québec, moins riche que la moyenne nationale, touche environ $5 milliards de l’Alberta, de l’Ontario et de la Colombie- Britannique. Rien de neuf, cela est connu et se trouve dans tous les bud- gets du gouvernement du Québec. Duceppe somme cette traîtresse de s”˜excuser ! Le Bloc n’a pas de grandes idées, il n’a que des gros mots. Le pire, c’est que cette dame s’excuse d’avoir appelé un chat un chat. En cette ère de la moumounerie politically correct, on juge les politiciens à leur talent pour appeler minet un hippéléphan- tocamelos.
12 décembre : « It may be smart elec- tion-year politics to thump your chest… and criticize your friend and your No. 1 trading partner. » L’ambas- sadeur des États-Unis menace ; cela n’aura-t-il pas des effets dévastateurs sur nos exportations? Traditionnelle- ment, les ambassadeurs étaient diplo- mates et s’adressaient en privé aux gouvernements. Celui de George Bush se fait chef de l’opposition et montre que les États-Unis sont, au Canada, un parti politique… Les Américains n’ac- ceptent pas la réciproque : la semaine dernière, M. Bush a fait dire à l’ambas- sadeur du Canada de se la fermer.
15 décembre : Le gouvernement Charest met fin aux interminables négociations avec les syndicats de fonctionnaires et décrète leurs condi- tions salariales. Cette action va-t-elle influencer le vote fédéral et apporter de l’eau au moulin du Bloc? Pas néces- sairement : la mouvance nationaliste- syndicaliste est déjà acquise d’office au Bloc québécois.
16 décembre : Débat d’un ennui mor- tel. En fait, il n’y a pas de débat, seule- ment une série de cassettes de deux minutes. Avant l’invention de cette formule insignifiante, la télévision aurait présenté de longues entrevues de chaque chef de parti, interrogé par un animateur coriace. Mais la télévi- sion ne fait plus que dans le show- business. Elle transforme tous les participants en acteurs, et le monde entier en décor. Dans le téléparadigme, la scène appartient aux Bush, aux Chavez, aux Berlusconi, à ceux dont « tout le monde en parle ». La télévi- sion ne sert plus la politique, la poli- tique doit servir la télévision. Les campagnes électorales sont taillées aux mesures mesquines du petit écran. On tient le citoyen pour un débile à qui il faut faire des guili-guili.
L’information est un processus lent, sédimentaire, contradictoire. Churchill, Roosevelt, Adenauer, Gandhi auraient- ils passé le test? Et Pearson, King? Se seraient-ils mé‚me pré‚tés à ce spectacle? Quel chef de parti osera dire NON, pas de débat? Qui osera abolir cette pra- tique stupide? Je voterai pour lui…
Harper propose de réduire la TPS de 2 p. 100. Les économistes ont des opinions contradictoires sur la ques- tion. Mais personne ne signale qu’il s’agit en fait d’une évacuation de l’assiette fiscale, qui laisserait la place à Québec (ou aux autres provinces) de s’emparer de ces 2 p. 100 et d’éliminer le déséquilibre fiscal… Il faut croire que les premiers ministres provinciaux préfèrent se plaindre et recevoir des chèques d’Ottawa. Le BS, en somme.
17 décembre : Débat en anglais. Entre trois personnes. Car Duceppe n’est évidemment pas à l’aise en anglais, tout comme hier les trois leaders anglophones étaient perdus en français. Ni à sa place. Il a l’air de celui que personne n’avait invité. De l’in- trus, puisqu’on discute de l’avenir du Canada, un sujet sur lequel, de son propre aveu, il n’a rien à dire, con- trairement à son prédécesseur régio- naliste Réal Caouette.
La présence du Bloc québécois empé‚chera le Canada de se donner un gouvernement majoritaire et peut-é‚tre mé‚me de changer de gouvernement. La politique du pied de nez est une politique de l’irresponsabilité. Il y a une absence d’éthique dans cette posi- tion. On ne va pas pisser dans la cour du voisin par dépit.
Si le Bloc atteint ses objectifs, qui sera au cabinet : des sénateurs? des non-élus? C’est sans doute le but du Bloc : priver les Québécois de toute influence dans ce pays pour qu’ils n’aient plus qu’à en sortir.
18 décembre : Henri Massé, président de la FTQ, appuie le Bloc québécois. Hier, les socialistes appuyaient le parti socialiste. Aujourd’hui, ils appuient les nationalistes, plus étatistes que vrai- ment de gauche. Est-ce circonstanciel, de convenance? Est-ce bon pour les ouvriers?
Le parti indépendantiste a beau- coup de leaders : celui du PQ, celui du Bloc, les présidents des centrales syndi- cales, les dirigeants de multiples asso- ciations d’éducation, des artistes, des rappeurs… Le parti fédéraliste n’en a aucun. L’indépendance est devenue un discours hégémonique, « entriste » comme disaient hier les trotskistes.
20 décembre : J’ai reçu comme tout le monde mon identification d’électeur. Numéro et adresse du bureau de scrutin. Mais aussi trois dates où je pourrai voter dix jours avant la date des élections.
En théorie, il s’agit de favoriser la participation. Je ne crois pas que cette démarche augmente la participation. Ceux qui ne sont pas intéressés et ne savent pas pourquoi voter ni pour qui ont pleinement le droit de rester chez eux. Il vaut d’ailleurs mieux qu’ils s’abstiennent. Ne pas voter est un droit. C’est aussi un choix qui serait encore plus clair si on comptait les bul- letins annulés comme en Europe.
Et si entre le moment où je vote et la vraie journée des élections survenait un événement majeur, une nouvelle affaire de corruption, un mensonge éhonté, une proposition particulière- ment intéressante? Cette pratique devrait é‚tre abolie : quand on veut voter, on s’arrange pour. Quand on ne peut pas, on ne peut pas, un point c’est tout. Le vote n’est pas une visite au magasin ou au cinéma.
28 décembre : Accalmie. On serait en congé de politique, ne serait-ce cette fusillade entre gangs à Toronto, qui a coûté la vie à une adolescente et fait six blessés. Elle a permis au premier mi- nistre de blâmer la pauvreté " et donc les pauvres " pour la criminalité et la violence. Et les Enron et les Norbourg de ce monde, ce sont des pauvres? Il n’y a pas plus de criminalité chez les pauvres. En fait, la violence des gangs se caractérise plutôt par la couleur ou l’origine ethnique, mais ce n’est pas politiquement correct de le signaler. Personne n’ose le dire parce qu’il faudrait aussi dire que l’intégration, c’est l’assimilation des valeurs de la société d’accueil et l’homogénéisation des cultures. Mieux vaut insulter les pauvres.
Et nul ne voit ce qui crève les yeux : une affiche géante surplombe le coin de rue où s’est produite la fusil- lade : Curtain Call, d’Eminem, ce rappeur qui appelle au meurtre. Quand va-t-on faire le lien non pas avec la pauvreté, mais avec ce que les socio- logues de la rue appellent la culture de larue?
2 janvier : La Gendarmerie va enqué‚ter sur le volume inhabituel des transac- tions sur les blue chips et les fiducies, le 24 novembre, la veille de l’annonce des changements au régime fiscal.
Pourquoi la police annonce-t-elle avant les élections la tenue d’une enqué‚te dont elle n’aura le résultat qu’après. Est-ce un « voyage de pé‚che » pour favoriser une Opposition qui promet d’accroître les pouvoirs et les budgets de la police? A qui profite la décision?
D’ailleurs, y a-t-il vraiment eu fuite? Quand le ministre des Finances a annoncé, le 24 décembre, qu’il ferait une annonce après la fermeture de la Bourse, on pouvait aisément deviner qu’il reviendrait sur sa menace d’ac- croître l’impôt sur les fiducies et aug- menterait plutôt le crédit d’impôt sur les dividendes. Tous les investisseurs le moindrement éveillés le savaient, et attendaient simplement le moment d’acheter. Pas besoin de délit d’initiés : l’indiscrétion était publique.
3 janvier : La publicité du Bloc ne fait pas mention de l’indépendance. Selon Gilles Duceppe, tout le monde le sait, pas besoin de le dire. Mais ça irait mieux en le disant. Après tout, n’est-il pas à Ottawa, depuis 14 ans, « pour préparer la souveraineté »? Il ne cache d’ailleurs pas qu’il souhaite dépasser les 50 p. 100, une sorte de « preuve » de la théorie selon laquelle les résultats de 1995 sont le fruit de manœuvres frauduleuses. La preuve par 50. La démocratie est un exercice de modestie, écrivait Albert Camus
4 janvier : Louis Bernard réitère la nécessité d’un nouveau partage de l’assiette fiscale plutôt que de simples transferts aux provinces, mais évite de signaler que la réduction de la TPS de 2 p. 100 ouvre au Québec l’accès à un champ de taxation valant $2 milliards.
5 janvier : Duceppe arrange à sa façon une déclaration malhabile de Marc Garneau et la chevauche avec fureur. Le célèbre astronaute dit qu’il est facile de voter pour l’indépendance, mais après? Et qu’il va quitter le Québec si l’indépendance se fait. Combien d’autres Québécois vont faire comme lui, pour des raisons sentimentales, économiques, culturelles? Allons donc ! dit Duceppe. L’Ontario vend plus au Québec qu’il n’y achète, ils ne vont pas arré‚ter. Or, ce n’est pas à ces « effervescences » que Garneau fait allusion, mais à celles qui vont se pro- duire parmi « l’autre moitié » de la population, qui ne lâchera pas le Canada sans foutre le bordel. Jeff Filion annonce son intention de fonder un parti pirate postréférendaire. Duceppe ne commente pas.
8 janvier : Maka Kotto, député du Bloc de St-Lambert, dit que le Parti conser- vateur est le parti du « darwinisme social, du terrorisme financier »… « les bourreaux potentiels ou avérés… ». Pourquoi pas « nazis »? Lapierre va-t-il demander des excuses?
9 janvier : Je ne sais comment, mon adresse courriel se retrouve sur la liste de Sondage Léger. Vais-je regarder le débat de demain? En tout, en partie? Pas du tout?
Je réponds « en partie ». Je préfère regarder le débat en anglais, ce soir mé‚me, c’est sans doute là que ça va se passer, puisque c’est hors Québec que se joue la partie entre libéraux et con- servateurs, ces derniers n’ayant aucune chance au Québec.
Donc, débat. On joue à Survivor. C’est besogneux.
Martin répète ad nauseam le mé‚me geste malhabile : il écarte les mains avec avec un haussement d’épaule, un signe d’impuissance. S’enlise dans les généralités. Lui seul a des « valeurs ».
Layton ne cesse de parler des « working families ». Y en a-t-il qui ne travaillent pas? Il veut parler du « monde ordinaire ». On le dirait pro- grammé en 1960.
Duceppe est très handicapé ; sur la péréquation, il est carrément incom- préhensible. Demain soir, ce sera le tour des trois anglophones de tenter de se dépé‚trer. Le moins handicapé des trois marquera des points. La scène politique n’affiche pas beaucoup de leaders à l’aise dans les deux langues officielles, comme Mulroney ou Trudeau. Mais on sourit en pensant qu’il y a cinquante ans on aurait eu un débat Diefenbaker, Pearson, Douglas, Caouette !
Harper débite son programme, prudemment, imperturbable. Il en résulte que c’est lui qui a le plus l’air d’un premier ministre, impression ren- forcée par le fait que les trois autres leaders l’attaquent. Il demande pourquoi faire un nouveau référendum puisque les Québécois ont déjà choisi. Deux fois. Duceppe fait un topo sur la différence entre droits individuels et collectifs. Aucun des leaders fédéralistes ne pose « la question qui tue » : et après un oui, est-ce que les fédéralistes, eux, pourraient recommencer?
Le gagnant? L’animateur Steve Paikin.
10 janvier : Re-débat. En français, cette fois. La guerre est un art simple et tout d’exécution, disait Napoléon. Des robots font du bruit avec leur bouche. Glauque pour les téléspectateurs. Layton lit ses notes. Martin caricature le programme des conservateurs. Harper tire son épin- gle du jeu en évitant, prudemment encore, de se planter.
Étrangement, contrairement à hier soir, la formulation de presque toutes les questions ouvre la porte à Duceppe, qui n’attaque plus les seuls libéraux, mais le Canada, pour essayer de relier les conservateurs à la corruption. Insinuer, éclabousser tous azimuts. Seul le Bloc est « pur ». Il « découvre » que la réduction de 2 p. 100 de la TPS va faire perdre 200 millions au Québec. C’est signaler que le Québec taxe les taxes. Pas un mot sur le fait que le pro- jet libère une assiette fiscale de plus de $2 milliards.
11 janvier : Le débat, c’est l’art de l’esquive. De ne pas répondre. L’animateur pose une question sur le déséquilibre fiscal, on répond en défen- dant le système de santé. À une autre sur l’unité nationale, on répond par un sermon sur la corruption. Sans un interviewer aguerri, un Pierre Nadeau, un Patrick Watson, un Louis Martin, un Mike Wallace, une Denise Bombardier ou un Ted Koppel pour tirer sur la laisse, insister, souligner l’esquive…
Le problème serait moindre si l’on avait des débats à un contre un, comme aux présidentielles améri- caines. Comment y arriver avec quatre ou cinq ou six chefs? Le monde du hockey a résolu le problème aux JO ou aux championnats mondiaux.
Mais surtout, quand un leader populaire, sûr de lui et de son pro- gramme, aura-t-il le courage de dire « NON: pas de débat »? Quand dira- t-on aux nababs des chaînes com- merciales : vous avez le privilège d’ex- ploiter une fréquence publique, vous avez le devoir de couvrir les élections de façon sérieuse. Et aux satrapes d’un réseau qui fut jadis public, le mandat qui a justifié votre création n’a PAS été changé ! À chaque parti vous allez offrir des émissions de qualité qui lui permettent d’exposer son pro- gramme, pas de « clips » de 15 secon- des et de « photo-ops ». Pas de pseudo interviews dans des émissions de divertissement. Vous n’é‚tes plus que des imprésarios, vous devez redevenir des rédacteurs en chef.
13 janvier : Un comité de juristes man- daté par le gouvernement recom- mande de légaliser la polygamie. J’ouvre le calendrier de mon ordina- teur : non, nous ne sommes pas le 1er avril ! Le gouvernement cache le rap- port depuis plusieurs mois, mais la technique du coulage permet de cour- tiser le vote musulman sans s’engager officiellement. Mais qu’arrivera-t-il si le gouvernement qui a commandé ce rapport est réélu?
Lors d’un colloque sur l’immigra- tion où des ministres libéraux sem- blaient pré‚ts à faire de Brossard un Beyrouth-sur-St-Laurent, ou de Laval un Kaboul avec Wal-Mart, j’avais dit : « si vous venez au Canada pour devenir Canadiens, en adopter la cul- ture et les valeurs, bravo, vous é‚tes les bienvenus. Si vous venez fonder une colonie, restez chez vous. » Mais en politique, ça ne se dit pas. Sauf en Hollande et en Belgique, où des élus ont interdit le port de la burka, « sym- bole médiéval de l’esclavage des femmes, et qui empé‚che les femmes de s’intégrer à nos sociétés ». (Geert Wilders, député)
17 janvier : Cinq jours encore. What goes up must come down. L’avance con- servatrice s’amincit ; est-ce l’effet du carpet bombing des publicités négatives des libéraux? Le Québec a pris la vague Harper avec un peu de retard, le pla- fonnement suivra-t-il ici aussi sous les assauts conjugués des libéraux et du Bloc, ces alliés objectifs? Le NPD sem- ble tirer son épingle du jeu. Peut-é‚tre aura-t-il assez de sièges pour former une coalition de centre-gauche avec les libéraux, mé‚me si Harper obtient plus de sièges. Mais alors pourquoi ne pas carrément fusionner avec le Parti libéral pour l’orienter avant les élec- tions plutôt qu’après?
18 janvier : Peut-on vraiment prédire si les partis s’éloignent ou se rap- prochent? En effet, quand on com- pare la position des partis sur deux sondages, il faut additionner les deux marges d’erreur. Deux fois 3,5 égale 7 ! Et que valent les sondages sur les intentions de vote quand 1 600 000 personnes, plus de 10 p. 100 des électeurs, ont déjà voté?
19 janvier : Deux jours encore. La cam- pagne a trop duré, les contradictions se multiplient.
Paul Martin accuse Harper de vouloir remettre le pouvoir ultime aux juges, à l’américaine. N’a-t-il pas lui- mé‚me proposé d’interdire le recours à la clause dérogatoire, remettant ainsi le pouvoir ultime aux tribunaux?
Gauthier et Duceppe ne croient pas les sondages, qui ne correspondent pas avec « la réalité du terrain ». S’ils ne croient pas aux sondages, pourquoi en font-ils? La meilleure protection des Québécois, ajoute Duceppe, ce ne sont pas des juges, mais des députés. Et pas des ministres?
« Méfiez-vous », dit-il. Et sur toutes les routes du Québec, une campagne de sécurité adjure : MÉFIEZ-VOUS… de l’hi- ver (en petits caractères). Coïncidence?
20 janvier : Enfin, la fin approche. Je prends congé pour le week-end. Un sondage Strategic Counsel confirme que l’élan des conservateurs a ralenti.
Se pourrait-il que l’opinion, l’œil sur les sondages, cherche mé‚me incons- ciemment à se donner un gouverne- ment en équilibre précaire, i.e. minoritaire? Divide et impera.
Le Globe and Mail propose un test : quel est votre profil d’électeur? On offre cinq ensembles de mesures pour sept grands secteurs, sans identifier le parti. Mon score? Un choix libéral, un conservateur, un néo-démocrate, un vert et trois bloquistes (l’éducation, la santé et la sécurité). Ça doit ressembler à la vaste majorité des Québécois. Mal- heureusement, nous n’avons pas plusieurs votes. Le résultat pourrait é‚tre intéressant. Et très démocratique.
24 janvier : Qui a perdu, qui a gagné? Les conservateurs ont 1 375 000 voix de plus qu’en 2004, un gain de 34p.100; le NPD, 473 000 voix de plus, un gain de 22 p. 100; c’est à peu près ce que les libéraux ont perdu : 479 000 voix, une baisse de 10 p. 100 ; le Bloc a 121 000 voix de moins qu’en 2004, une baisse de près de 8 p. 100.
Les majorités du Bloc restent con- sidérables, parfois colossales, mais il a reculé mé‚me dans les circonscriptions arrachées aux libéraux, ce qui contre- dit l’idée d’une « percée ».
De toute évidence, ces 121 000 électeurs disparus n’étaient pas des indépendantistes. Combien en reste- t-il d’autres qui n’ont voté Bloc que pour punir Jean Chrétien et les libéraux?
Le rééquilibrage du Canada est commencé. Il était divisé entre l’Ouest et l’Est, il l’est davantage entre villes et campagnes, ce qui est contraire à l’évo- lution démographique. Mais la montée en puissance de l’Ouest, démographique autant qu’économique, est éclatante. Et le reste du pays s’est peut-é‚tre demandé : et si les Albertains n’avaient pas que du pétrole? À surveiller: 665 876 Canadiens ont voté vert.
Dernier chapitre : Paul Martin tire sa révérence. Qui du NPD, des libéraux, ou d’un éventuel rapprochement entre les deux constituera la force de centre gauche? Qui sera son Tony Blair? La prochaine campagne est commencée…