Le 11 septembre 2001, pré€s de 3 000 personnes sont décédées tragiquement dans l’attaque du World Trade Centre. La mé‚me journée, comme aÌ€ chaque jour, plus de 20 000 enfants et adultes sont morts dans le monde des conséquences de l’extré‚me pauvreté, victimes de la malaria, de la tuberculose, du SIDA, ou d’autres ma- ladies aisément soignables.
En 2003, l’aide publique au développement atteignait 69 milliards de dollars (US), soit environ 0,25 p. 100 du revenu national brut des pays donateurs. La mé‚me année, les producteurs agricoles des pays riches recevaient au-delaÌ€ de 250 mil- liards de dollars en subventions, et les dépenses militaires des seuls EÌtats-Unis s’élevaient aÌ€ 379 milliards de dollars.
Dans un livre remarquable intitulé The End of Poverty, l’économiste Jeffrey Sachs, conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies et directeur du Projet Objectifs du Millénaire, sou- tient qu’il est possible d’éliminer l’ex- tré‚me pauvreté d’ici 2025, et ce sans dépasser les objectifs d’aide auxquels les pays riches se sont déjaÌ€ engagés. Il suffit, selon Sachs, de mettre en œuvre de façon systématique des méthodes et des stratégies éprouvées, afin de permettre aux plus pauvres d’atteindre le premier barreau de l’échelle du dé- veloppement, aÌ€ partir duquel la crois- sance économique s’enclenche.
Sachs n’est pas un économiste ordi- naire. AÌ€ partir des années 1980, il a conseillé plusieurs gouvernements en Amérique latine, en Europe de l’Est et ailleurs, afin de juguler l’hyper-inflation, de faciliter la transition vers l’économie de marché, ou de mieux réussir l’inté- gration aÌ€ l’économie mondiale. De ce travail éminemment concret, Sachs a dégagé un certain nombre de convic- tions. D’abord, les économistes devraient s’inspirer de la médecine et adopter une approche clinique, ce qui implique une plus grande méfiance face aux explications simples ou universelles. La complexité et le caracté€re interdépen- dant des phénomé€nes sociaux imposent ce que Sachs appelle une analyse « dif- férentielle », sensible au contexte et attentive aux multiples facteurs suscep- tibles d’influencer le développement. Sachs note, par exemple, comment sa formation ne l’avait pas préparé aÌ€ pren- dre en compte les difficultés propres aux pays enclavés, isolés des grands réseaux du commerce mondial. Dans le mé‚me ordre d’idée, il insiste sur les con- séquences désastreuses pour l’Afrique d’un climat propice aÌ€ la malaria. Dans cette optique, Sachs estime que le marché seul ne peut permettre aÌ€ tous d’échapper aÌ€ l’extré‚me pauvreté. Dans les pays les plus défavorisés par la géo- graphie et l’histoire, un minimum d’in- vestissement public est nécessaire afin de créer les conditions préalables aÌ€ la croissance. Ceci étant fait, la logique du marché devrait rapidement prendre le relais et permettre un véritable décol- lage, comme en Chine, en Inde et au Bangladesh depuis quelques années.
Dans son livre, Sachs propose un plan inspiré de ces convictions, afin d’éliminer l’extré‚me pauvreté pour la prochaine génération. Ce plan, qui reprend celui présenté en janvier 2005 par le Projet Objectifs du Millénaire, se distingue par la précision et le caracté€re concret des investissements qu’il propose pour chaque pays, dans la santé, l’éduca- tion, l’agriculture, les communications, l’environnement, et les institutions. Le plan est chiffré, s’inscrit aÌ€ l’intérieur d’un échéancier serré, et il apparaiÌ‚t réalisable dans la mesure ouÌ€ les pays riches respectent l’engagement plusieurs fois réitéré d’augmenter leur aide au développement aÌ€ 0,7 p. 100 revenu.
Par sa rigueur et ses ambitions, ce plan mondial est sans précédent. Le contexte international apparaiÌ‚t aussi favorable. Un rapport récent de l’OCDE parlait d’un nouveau « consensus contre la pauvreté », et aÌ€ Davos, en janvier, plusieurs dirigeants ont appuyé un effort en ce sens. Au mé‚me moment, aÌ€ Porto Alegre, on lançait « Action mondiale contre la pauvreté », un nou- veau mouvement mondial réunissant des centaines d’organisations.
Mais un bon plan et des convictions largement partagées ne suffisent pas tou- jours. Comme le reconnaiÌ‚t Sachs, le prin- cipal contributeur potentiel, les EÌtats-Unis, n’a encore rien fait pour amener son aide au développement au- delaÌ€ du niveau actuel de 0,1 p. 100 de la richesse nationale. Il suffirait pourtant d’éliminer les baisses d’impoÌ‚t octroyées entre 2001 et 2003 aux ménages gagnant plus de 500 000$ par année pour dégager les fonds nécessaires.
Cherchant aÌ€ créer des consensus, Sachs insiste sur le caracté€re technique, presque clinique et médical, de ses recommandations. Mais l’approche est aussi éminemment politique. Elle s’ins- crit en effet dans le cadre d’une relance de l’organisation des Nations unies qui, apré€s plus de deux décennies de mise aÌ€ l’écart au profit de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, réaf- firme son roÌ‚le de promoteur de normes collectives aÌ€ l’échelle internationale. Le poids de l’inertie et les résistances au changement demeurent importants. Mais, avec Sachs et les membres du Projet Objectifs du Millénaire, il est au moins permis d’espérer.