Le 18 février 1980, les libéraux de Pierre Trudeau récoltaient la victoire électorale la plus éclatante de leur histoire au Québec avec 74 des 75 sié€ges et une autre encore plus remarquable avec 68 pour cent des voix. Quatre ans plus tard, ils ne conservaient plus que 17 sié€ges et 35 pour cent des voix, une défaite dont ils ne se sont jamais vraiment relevés.

En fait, depuis le rapatriement unilatéral de la constitu- tion en 1982, les libéraux n’ont jamais réussi aÌ€ obtenir une majorité de sié€ges du Québec aÌ€ la Chambre des communes. Et, le 23 janvier dernier, en n’obtenant plus que 13 sié€ges (leur pire résultat de l’histoire) et, devenaient le second parti fédéraliste au Québec, derrié€re les conservateurs.

Bien suÌ‚r, ce résultat désastreux était une sanction de la part des électeurs québécois pour le scandale des comman- dites, mais ce serait une analyse beaucoup trop courte des ennuis du Parti libéral du Canada au Québec.

Les ennuis du PLC au Québec ont commencé en 1982, lors du rapatriement, alors que, pour la premié€re fois, il y a eu une bré€che entre les libéraux fédéraux et la majorité des fédéralistes québécois, incarnés surtout mais pas exclusive- ment par le Parti libéral du Québec.

Sous Claude Ryan, le Parti libéral provincial s’était officiellement objecté au rapatriement. Aucun chef libéral depuis ce temps n’a mé‚me songé aÌ€ modifier cette position.

Il est essentiel de faire ce rappel historique parce qu’il est au cœur du lent et long déclin du Parti libéral du Canada au Québec, tout comme il pourrait é‚tre au cœur de son retour en force.

Depuis 1984, les libéraux fédéraux n’ont plus été la pre- mié€re force politique fédérale au Québec, mais ils ont mé‚me eu du mal aÌ€ é‚tre la premié€re force fédéraliste au Québec, n’y parvenant que par défaut, quand le Parti con- servateur était trop faible pour gagner des sié€ges et faire une différence.

Aujourd’hui, l’état du PLC-Q est lamentable. Le parti ne détient plus de sié€ges hors de la région de Montréal et l’Outaouais et, dans cette dernié€re région, des sié€ges his- toriquement libéraux ont basculé soit vers les conservateurs, soit vers le Bloc québécois au scrutin de janvier 2006.

Dans le Québec francophone, laÌ€ ouÌ€ se trouve la majorité des sié€ges, le PLC-Q n’existe pratiquement plus, ni en termes de membership, ni en termes d’organisation, ni en termes de porte- parole régionaux crédibles.

Il est impossible d’obtenir le nom- bre de membres du Parti au Québec, mais il est clair que la campagne au lea- dership actuelle, normalement le meilleur moyen de recruter de nou- veaux membres, n’a pas apporté beau- coup de nouvelles adhésions. Notons, pour fins de comparaison, que la campagne au leadership du Parti québécois, l’an dernier, avait permis aÌ€ ce parti de doubler son nombre de membres en ré€gle.

L’organisation libérale est si ténue qu’on peut retrouver 15 pour cent du membership total des libéraux fédéraux du Québec dans une seule circonscription élec- torale, celle de Bourassa, représentée par le député Denis Coderre. Un membre du PLC-Q sur sept demeure donc dans cette seule circonscription du nord de Montréal. C’est le résultat d’un travail acharné par le député local, mais un bon exemple des ennuis du parti dans le reste du Québec.

Les résultats électoraux de 2006 ne mentent pas. Les conservateurs ont fait élire 10 députés au Québec, mais ils ont aussi obtenu la deuxié€me place dans plus de 40 circonscriptions devenant ainsi le premier choix des électeurs fédéralistes. Pourtant, en juin 2004, les conservateurs n’obtenaient que 9 pour cent des voix, aucun député et ne terminaient au sec- ond rang que dans deux circonscriptions de la région de Québec.

Bien suÌ‚r, le scandale des commandites n’est pas étranger aÌ€ cette situation, mais il faut noter qu’il a fallu un seul dis- cours de Stephen Harper, aÌ€ Québec, en décembre dernier, promettant un fédéra- lisme d’ouverture envers le Québec pour faire basculer dans son camp des électeurs autrefois libéraux et qui cher- chaient manifestement une porte de sor- tie. Un peu comme, en 1984, il avait suffi d’un discours de Brian Mulroney aÌ€ Baie- Comeau pour profondément altérer le cours de la campagne électorale.

Pourquoi un renversement aussi rapide? Parce que M. Harper a su aller chercher l’adhésion du courant majori- taire des fédéralistes au Québec, qui se retrouve au PLQ, un peu comme Brian Mulroney avait su aller chercher l’ap- pui des troupes de Robert Bourassa en 1984 et 1988.

Par la suite, quand Jean Chrétien a pris le pouvoir en 1993, ces libéraux provinciaux plus nationalistes ont eu le sentiment d’é‚tre plus souvent uti- lisés qu’entendus par le PLC-Q. Comme seule voix fédéraliste viable, le PLC de Jean Chrétien pouvait compter sur leurs votes, mais ils étaient rarement entendus sur le fond et sur leur vision du fédéralisme. Parce que si les libéraux fédéraux avaient abandon- né toute velléité de réforme constitu- tionnelle ou du fonctionnement du fédéralisme, ces réformes restaient un objectif important pour la majorité des libéraux provinciaux.

Une anecdote montre bien com- ment Jean Chrétien traitait ces questions. Il aimait aÌ€ dire qu’il avait rencontré un pé‚cheur aÌ€ Gaspé qui lui avait dit « si vous ne nous parlez plus jamais de constitution, vous serez réélu pour le reste de votre vie». M. Chrétien a continué aÌ€ raconter cette histoire bien apré€s que le comté de Gaspé eut élu un député du Bloc québécois en 1993 et eut voté Oui au référendum de 1995.

Pendant les années Chrétien, la relation entre libéraux fédéraux et provinciaux est devenue complexe et, parfois, carrément étrange. Surtout apré€s l’arrivée d’un ancien chef conser- vateur, Jean Charest, aÌ€ la té‚te du PLQ. Les libéraux fédéraux utilisaient les organisateurs provinciaux sur le ter- rain, ils recrutaient allégrement leurs candidats au PLQ, mais ils n’écou- taient pas vraiment ce que les libéraux du Québec avaient aÌ€ dire.

Les années Chrétien ont été mar- quées par un afflux important d’an- ciennes vedettes du PLQ, qui avaient été recrutées par le PLC. On pense ici aÌ€ Lucienne Robillard, Liza Frulla, Yvon Charbonneau, George Farrah, Pierre Pettigrew (ancien chef de cabinet de Claude Ryan), Denis Paradis (fré€re du député Pierre Paradis du PLQ), etc…

Mais si M. Chrétien recrutait parmi les membres du PLQ, il n’écou- tait pas souvent leur vision du fédéra- lisme. Que ce soit pour des intrusions fédérales dans les champs de compé- tence provinciaux, comme les Bourses du millénaire, ou pour des manifesta- tions de fédéralisme musclé, comme la Loi sur la clarté référendaire.

Cette loi était d’ailleurs devenue une sorte de symbole des diver- gences de vues entre les fédéralistes québécois et ceux d’Ottawa. Parrainée par Stéphane Dion ”” que M. Chrétien avait préféré aÌ€ ceux qui étaient plus proches du PLQ comme ministre des Affaires intergouvernementales ”” la loi a été dénoncée au Québec tant par les souverainistes que par les fédéralistes. Ce n’était d’ailleurs pas la ques- tion de la clarté référendaire qui embé‚- tait tant de monde au Québec, mais l’espé€ce de brevet de démocratie que le gouvernement fédéral se trouvait ainsi aÌ€ s’autodécerner.

Dans l’esprit de la Loi sur la clarté, c’est au gouvernement fédéral et aÌ€ lui seul de décider si le libellé de la question référendaire serait claire et si la majorité serait suffisante. Cela a été vu par plusieurs fédéralistes québécois au minimum comme un manque de confiance envers les institutions démocratiques québécoises.

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Au pire, c’était presque une mise en tutelle de l’Assemblée nationale par la Chambre des communes.

Cela est particulié€rement ironique au regard du scandale des commandites, quand les Québécois ont, en grande majorité, senti que le gouverne- ment fédéral se sentait autorisé d’acheter leur allégeance avec leur propre argent.

Reste que encore une fois, les libéraux fédéraux avaient choisi la ligne dure plutoÌ‚t qu’ouvrir la porte aÌ€ des réformes.

L’arrivée de Paul Martin aÌ€ la té‚te du PLC a également été vue comme une opportunité manquée par les fédéralistes québécois. Les Québécois avaient mis beaucoup d’espoir en Paul Martin, essentiellement sur la foi de leurs souvenirs. M. Martin appuyait l’Accord du lac Meech alors que Jean Chrétien s’y opposait durant la course au leadership de 1990; cela avait été suffisant pour lui faire une réputation d’homme ouvert aux réformes du fédéralisme que souhaitaient les Québécois.

AÌ€ un moment donné, les sondages donnaient une victoire massive des libéraux sous M. Martin et l’élimina- tion presque complé€te du Bloc québé- cois. Mais c’était avant le rapport de la vérificatrice générale sur le scandale des commandites.

Le mandat de M. Martin fut mar- qué, sur la question de la réforme du fédéralisme comme sur tant d’autres, par un manque de leadership et une incapacité de prendre des décisions. En fait, l’entourage de Jean Charest se plaignit d’avoir plus de difficulté aÌ€ obtenir des réponses du premier mi- nistre fédéral, mé‚me sur des questions de routine, avec Paul Martin qu’avec Jean Chrétien. La situation minoritaire du gouvernement Martin compliquait certainement les choses, mais il reste que la porte des réformes constitution- nelles demeurait tout aussi fermée que sous son prédécesseur.

Le scandale des commandites devait faire le reste pour rendre la « mar- que de commerce » libérale fédérale bien peu présentable au Québec, avec les résultats que l’on sait.

La course au leadership actuelle du PLC et les difficultés du gouvernement Harper donnent cependant une nou- velle chance aux libéraux fédéraux.

D’une part, la tendance affichée par le gouvernement Harper vers le conservatisme social ne plaiÌ‚t pas aÌ€ beaucoup de Québécois, tout comme sa politique étrangé€re trop alignée avec celle de l’administration Bush.

Les libéraux pourraient facilement redevenir le premier parti fédéraliste au Québec en démontrant juste un peu d’ouverture aux revendications des fédéralistes québécois et du PLQ.

Les fédéralistes québécois l’ont montré aÌ€ chaque fois qu’ils en ont eu l’occasion : leur option préférée est celle d’une réforme du fédéralisme, autant dans son fonctionnement, comme la question du déséquilibre fiscal, que dans ses aspects plus symboliques, comme la reconnaissance du Québec comme nation au sein du Canada.

Dans cette course au leadership, deux visions s’affrontent sur la ques- tion québécoise. Celle des candidats Stéphane Dion et Bob Rae, qui refusent de rouvrir la question constitution- nelle; ce refus est essentiellement motivé par la peur d’un autre échec et les munitions que cela pourrait donner au camp souverainiste. Avec la possi- bilité bien réelle de l’élection d’un nouveau gouvernement péquiste au cours des prochains mois, on peut comprendre cette prudence.

Mais mé‚me si bien des fédéra- listes québécois ”” comme BenoiÌ‚t Pelletier, ministre des Affaires intergouvernementales dans le gou- vernement Charest ”” croient que toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour une réforme constitu- tionnelle, tous croient aÌ€ la nécessité d’une ouverture aÌ€ la réforme.

Cette ouverture a surtout été incarnée par Michael Ignatieff, qui a promis de reconnaiÌ‚tre le Québec comme nation au sein du Canada. Cela ne satisfera cer- tainement pas les souverainistes, mais cela semble suffisant pour bien des fédéralistes québécois. C’est ce qui lui a valu l’appui de personnalités impor- tantes qui militent au Parti libéral du Canada mais sont issues de la mouvance du PLQ comme l’ex-ministre Liza Frulla ou la sénatrice Lise Bacon.

Comme l’écrivait cette dernié€re dans La Presse le 29 septembre 2006 : « Nous savons bien que la reconnais- sance de la spécificité du Québec ne peut é‚tre continuellement poussée sous le tapis pendant qu’on fait semblant que tout va pour le mieux au Canada. »

Mais, au-delaÌ€ des promesses élec- torales, ce qui compte pour le PLC c’est de se rebrancher sur le courant majoritaire des fédéralistes québécois qui logent en majorité au PLQ. La rup- ture idéologique entre les deux partis date du rapatriement de la constitu- tion en 1982; elle a été amplifiée par l’opposition de Jean Chrétien aÌ€ l’Accord du Lac Meech en 1990 et par son incapacité de réagir positivement aÌ€ la tré€s courte victoire du Non au référendum de 1995.

Tant que les libéraux fédéraux représenteront la voie d’un fédéralisme qui refuse la réforme et la reconnaissance de la spécificité du Québec, il leur sera difficile de reprendre le terrain perdu.

Tant qu’un grand nombre de fédéralistes québécois penseront que, malgré tout, le parti de l’ouverture au Québec est le Parti conservateur, malgré ses positions en matié€re sociale, le PLC ne pourra songer aÌ€ redevenir une force politique de premier plan au Québec.

Le renouveau du Parti libéral du Canada au Québec passe nécessaire- ment par une réconciliation avec le type de fédéralisme préconisé par le PLQ. Les blessures encore bien réelles causées au Québec par le rapatriement de 1982 ne pourront se cicatriser si les libéraux fédéraux et provinciaux ne trouvent pas, d’abord, un terrain d’entente.

L’actuelle course aÌ€ la direction du PLC pourrait é‚tre l’occasion de cette réconciliation ou n’é‚tre qu’une autre occasion manquée.

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